A ce stade de son séjour en Guadeloupe, il a semblé pertinent de rencontrer le préfet Alexandre Rochatte, pour faire le point sur la crise sanitaire, la crise sociale, certains dossiers complexes, comme celui de la jeunesse, des sargasses, de l’usine sucrière de Marie-Galante, ses relations avec les élus et la Guadeloupe. Entretien.
En quoi le rôle du préfet a-t-il été accru, modifié avec la crise sanitaire ?
Je ne sais pas si le rôle du préfet a été modifié. Il y a des dimensions dans notre rôle qui ont été exacerbées, notamment la gestion de crise. Même si c’est toujours une dimension très importante quand on est préfet en Outre-mer, en raison notamment des risques naturels. Singulièrement la crise Covid est devenue le sujet quasi-unique de préoccupations à certaines périodes. Le deuxième point, c’est que cette crise a conforté la coordination des services de l’Etat, qui me tient beaucoup à cœur. Je considère que nous avons une nécessité de partager l’information, de regrouper nos diagnostics pour avoir une action commune. Et, la gestion de la crise Covid nous oblige à le faire un peu plus que d’habitude.
Ce n’est pas tous les jours qu’un préfet déclenche un confinement, un couvre-feu…, l’état d’urgence… ce ne sont pas des terminologies habituelles.
Non, bien sûr. Ces dispositifs existent dans l’arsenal juridique, sinon on n’aurait pas pu les mettre en œuvre. En revanche, ce sont des situations exceptionnelles parce qu’elles ont été prises pour des raisons sanitaires. Un des sujets qui a largement évolué dans la responsabilité de préfet, c’est le nombre de textes de réglementation que nous avons pris dans des domaines extraordinaires : l’ensemble des arrêtés que j’ai pris depuis que je suis en Guadeloupe pour le confinement, le port du masque, de restrictions de déplacements, de couvre-feu… dans des circonstances exceptionnelles, pour se prémunir des vagues épidémiques que nous avons connues.
Quelle incidence ce contexte particulier a-t-il eu sur vos relations avec les élus ?
La première, c’est une plus grande proximité avec les élus, notamment dans la gestion de la crise Covid. On le voit aujourd’hui, l’ensemble des compétences sont imbriquées. Il y a les compétences régaliennes, qui sont celles de l’Etat, mais très vite quand on met en œuvre les compétences pour la sécurité publique, la sécurité sanitaire, on est vite confronté à des compétences partagées avec les collectivités : le Département pour certains domaines, La Région pour d’autres, et les communes et les EPCI.
Une plus grande proximité aussi dans le comité des élus que j’anime toutes les semaines ou presque depuis que je suis arrivé. En 2021, il y a eu 47 réunions avec les élus sur 52 semaines.
Le deuxième point, paradoxalement, on s’aperçoit que, sur les champs de responsabilité de l’Etat, les collectivités participent à ce comité des élus, mais assez souvent, elles nous laissent le champ de la décision, même si c’est concerté, même si on explique les choses. La responsabilité dans le domaine sanitaire est portée par l’Etat. De ce fait, même si les collectivités sont concernées, elles laissent l’Etat agir et parfois, elles le font à reculons pour certaines collectivités ou certains élus.
Le plan de relance représente un effort sans précédent. Quel est le budget pour la Guadeloupe ?
Le plan de relance comprend deux volets. D’abord, le soutien aux entreprises dans la crise depuis que le Covid s’est installé en Guadeloupe avec trois dispositifs : le fonds de solidarité, les prêts garantis par l’Etat et le recours à l’activité partielle couverte par le crédit public de l’Etat.
Quand on fait le total de ces différentes mesures qui sont mises en œuvre depuis plus d’un an et qui continuent avec des modalités qui vont évoluer dans le temps, ce sont 390 millions d’euros pour le fonds de solidarité et l’activité partielle, et 730 millions d’euros de prêts garantis par l’Etat d’aides d’urgence pour la Guadeloupe, destinées à soutenir les entreprises limitées dans leur capacité à générer du chiffre d’affaires.
Puis, il y a le plan de relance mis en place depuis un an en Guadeloupe. Nous avons convenu avec la Région et le Département de la territorialisation des montants, soit 135 millions pour l’Etat, la Région 70 millions d’euros en complément et elle a aussi son propre plan de relance, et le Département, 86.5 millions d’euros.
Les 135 millions d’euros territorialisés de l’Etat, c’est le montant minimum pour des crédits en Guadeloupe destinés à des projets que nous connaissons à l’avance.En revanche, il y a des crédits dévolus à des projets guadeloupéens émis par des appels à projets nationaux. Aujourd’hui, nous sommes à 195 millions d’euros programmés pour la Guadeloupe et ce n’est pas terminé, puisqu’il y a des appels à projets en cours notamment dans le domaine de l’agriculture , de l’industrie, le soutien à l’activité du tourisme.
Quels secteurs ont bénéficié de ces aides ?
Dans le volet Aides d’urgence, tous les secteurs en ont bénéficié dès qu’elles enregistraient une perte de chiffre d’affaires, en particulier les secteurs les plus touchés : l’hôtellerie, la restauration et tous ceux qui sont liés à l’activité touristique, l’événementiel et les activités qui ont besoin de clients qui viennent en nombre. De la même façon, nous avons aussi soutenu les commerces quand nous avons dû prendre des mesures de confinement ou de couvre-feu.
Sur les autres volets du plan de relance, tous les secteurs sont aussi concernés, même s’il y a un volet industriel assez important, puisque nous avons soutenu l’investissement industriel. Il y a aussi un secteur dans lequel le soutien est fort, c’est celui du BTP, également accompagné par les collectivités puisqu’il y a énormément de chantiers portés par les collectivités. Il y a aussi un volet étatique, notamment le chantier de rénovation et de confortement parasismique de la préfecture à Basse-Terre pour un montant de 18 millions d’euros. De la même façon, la sous-préfecture de Pointe-à-Pitre accueillera des travaux pour un peu plus de 8 millions d’euros. Il y a énormément de chantiers qui sont lancés.
Quel est l’impact de ce plan de relance et des aides sur le quotidien des Guadeloupéens ?
Notre objectif, c’est d’aider l’activité économique pour travailler sur le futur, en favorisant l’emploi des Guadeloupéennes et des Guadeloupéens. Sur le temps présent, nous avons mis en place des aides pour tenir les entreprises en dehors des difficultés. Maintenant, il faut relancer ces entreprises par l’activité du BTP, celle des collectivités : ce sera pour nous un sujet de vigilance, la capacité des collectivités à pouvoir conduire les opérations à terme.
Notre objectif, c’est vraiment de régénérer de l’activité économique pour l’avenir, pas seulement d’aider temporairement.
Vous êtes le président du comité de sortie de crise. Quel est le bilan ?
Aujourd’hui, il est paradoxal. Nous avons monté ce comité de suivi de gestion de crise avec le greffe du Tribunal de commerce, les instances de la DRFIP, des acteurs sociaux économiques…, de la CGSS, et pour l’instant, on a peu d’entreprises qui sont en difficulté ou en tout cas qui l’ont signalé. D’où l’importance du plan de relance pour que l’activité demeure. En revanche, quand on regarde en 2020 ou 2021, au Tribunal de commerce, on a eu beaucoup moins d’entreprises. Cela signifie que ce que nous avons mis en place a fonctionné : nous avons maintenu un certain nombre d’entreprises qui étaient en difficulté dans les gros problèmes financiers pendant la crise. Le deuxième point, c’est qu’on les a maintenues, alors que structurellement elles étaient en grosse difficulté et que même sans la crise, elles se seraient retrouvées en difficulté.
Il y a eu une crise sociale qui continue. Les élus qui sont à la manœuvre semblent un peu seuls. Habituellement, l’Etat, les élus parlent aux syndicats. Que s’est-il passé ?
Il me semble que quand on a des syndicats qui veulent négocier, on peut le faire. Mais, quand le premier élément de la discussion, c’est de revenir sur une loi de la République, et deuxièmement, quand l’Etat signale que condamner les violences orchestrées à l’occasion de ces mouvements, notamment, les émeutes, les saccages, les tirs contre les forces de l’ordre est un préalable important, on n’a trouvé personne en face de nous pour discuter de cette façon. Il peut y avoir dialogue quand il y a une volonté de dialogue. Au moment où on a commencé à travailler sur le sujet, il n’y avait pas de volonté de dialogue. Je crois que les élus s’en sont vite aperçus à leurs dépens quand ils ont cherché à discuter avec ce collectif.
Avez-vous reçu les propositions de sortie de crise des élus guadeloupéens, mettant à la charge de l’Etat un peu plus de 500 millions d’euros ?
J’ai reçu ces propositions en même temps que la presse…
Vous avez multiplié les discussions directes avec certains interlocuteurs, notamment la jeunesse.
Nous étions dans une phase où on voyait bien que les intermédiaires n’avaient pas envie de discuter des problèmes de fond. On l’a bien vu par la suite puisque le collectif a expliqué qu’il avait maintenant une posture politique qui visait l’indépendance. Ce n’est pas le quotidien des Guadeloupéens et des Guadeloupéennes qui était au cœur de leurs préoccupations. C’est pour cela que nous avons établi un contact direct avec quelques jeunes et les acteurs de la jeunesse qui connaissent la problématique, en passant par les maires, les associations, les structures intermédiaires, pour réfléchir ensemble à l’avenir.
Nous avons beaucoup travaillé jusqu’à la fin du mois de décembre. Le gouvernement travaille sur les propositions pour présenter d’ici une dizaine de jours des avancées issues de ces réflexions. Mais, nous n’abandonnons pas cette concertation : nous continuons à travailler avec les acteurs de la jeunesse. L’association Jeunesse Outre-mer nous aide dans cette concertation pour continuer à alimenter les discussions autour de la jeunesse et faire émerger des propositions. Nous y travaillerons avec les élus, mais aussi les EPCI et les communes pour le logement, l’emploi, la formation…
Vous avez aussi rencontré le monde culturel ?
Oui, notamment les groupes de carnaval. Il n’est pas forcément très simple d’organiser avec tous les groupes les « déboulés » du dimanche et l’ensemble des manifestations en prenant le plus de mesures de protection contre le Covid.
J’ai ressenti avec beaucoup de peine l’annulation du carnaval, l’an dernier. Cette année, on essaie de l’organiser au mieux avec le plus de protections sanitaires possibles. Le virus est toujours là avec un risque de remontée de l’épidémie.
La sécurité routière : les chiffres vont de mal en pis.
On en parle de plus en plus positivement et j’en suis plutôt content. Fallait-il arriver aux chiffres de la fin de l’année dernière pour avoir une prise de conscience ? Ce serait un peu triste, mais constatons simplement ensemble que ce sujet préoccupe beaucoup de monde et j’en suis plutôt satisfait. A la préfecture, nous y travaillons avec beaucoup d’acteurs de la sécurité routière : il y a beaucoup d’actions positives qui sont mises en place. Prochainement, nous mettrons en place les Assises de la sécurité routière avec l’ensemble des acteurs.
Je suis frappé par le fait que 90 % des accidents résultent d’une erreur de comportement : plus de la moitié des personnes qui sont victimes de ces accidents sont blessées graves ou mortes. Pour tout cela, il faut toucher tous les usagers de la route avec d’autres types de messages. La route est un bien collectif que nous partageons tous, mais qui est dangereux. Il faut que nous ayons une attitude prudente. La sécurité routière c’est à la fois de la sensibilisation et de la prévention mais aussi du contrôle et de la répression : c’est un ensemble.
Les sargasses. Que fait l’Etat ?
Beaucoup, comme d’autres ici ! Un comité interministériel de la mer doit se réunir avant la fin du mois de février pour valider le plan Sargasses II. Puis, nous travaillerons avec la Région, le Département qui sont compétents sur certains domaines et les collectivités. Heureusement, nous avons peu d’échouages de sargasses, nous travaillons sur l’avenir.
A Marie-Galante, la campagne sucrière démarre dans quelques semaines. Quelle part prend l’Etat dans ce dossier ?
L’Etat a pris sa part dès l’an dernier quand l’usine a montré qu’elle était incapable de produire du sucre : nous avons beaucoup travaillé à la coordination d’une solution de transfert de la canne vers l’usine de Gardel pour au moins un tiers de la production. Il faudra que nous fassions un retour d’expérience : nous ne sommes pas à l’abri d’une panne. Aujourd’hui, la chaudière de l’usine est en train d’être remontée : elle devrait être opérationnelle vers le 12 mars, pour le début de la campagne prévue à partir du 15 mars. Tout cela s’est fait avec la contribution de l’Etat et des comités de pilotage. Surtout, il faut que nous réfléchissions à la pérennisation de cette filière à Marie-Galante. Une mission d’inspection était à Marie-Galante : je me rendrai sur place dans peu de temps pour présenter les conclusions de cette mission. Le rôle de l’Etat c’est de coordonner et non de faire tout seul.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL