Michel-Ange Jérémie est le jeune et dynamique président de l’Association des Maires de Guyane. Il explique pourquoi le président de la République, Emmanuel Macron, doit prendre au sérieux les doléances des élus.
Pourquoi avez-vous interpellé le président de la République ?
Nous avons souhaité interpeler le président de la République à l’occasion de sa venue en Guyane. La Guyane a de nombreux problèmes et nous pensons que le chef de l’Etat, en déplacement chez nous, doit nous entendre.
Vous voulez que l’Etat change de méthode et de braquet. Que voulez-vous dire ?
L’Etat doit prendre en considération les nombreux retards de la Guyane. Changer de méthode c’est écouter les élus qui sont sur le terrain et qui connaissent les problèmes, changer de braquet, c’est aller plus vite, prendre les décisions qu’il faut sans temporiser.
La Guyane est restée longtemps une région sous-développée parce que l’Etat ne s’est pas réellement investie. On a laissé les problèmes grossir. C’est insupportable et il faut changer.
« Certaines zones de la Guyane, pour ne pas dire
toute la Guyane, sont confrontées à la violence. »
Votre région connaît d’importantes tensions sociales. A quoi sont-elles liées ?
La Guyane est confrontée à une importante migration. On ne sait même pas combien il y a d’habitants sur le territoire. Il y a donc une insécurité latente. A ceci, ajoutez le mécontentement des Guyanais qui sont en butte à la violence, au chômage, à ce sentiment que rien ne bouge, que leur avenir est incertain et vous avez les tensions sociales.
L’insécurité est prégnante. Comment expliquez-vous l’impression d’Etat de non droit que certains faits pourraient laisser croire ?
Il ne s’agit pas seulement d’une impression. Certaines zones de la Guyane, pour ne pas dire toute la Guyane, sont confrontées à la violence. Et ce n’est pas envoyer des gendarmes ou des policiers supplémentaires pour un temps donné qui changera quoi que ce soit. Il faut une concertation des élus et de l’Etat pour trouver des solutions pérennes.
Le territoire se compose d’un littoral, habité, équipé, et de zones totalement oubliées. Que font les élus ?
Les élus font avec leurs moyens. C’est vrai que le littoral est aménagé et que l’intérieur est laissé à l’abandon ou pas développé. Regardez, nous avons des problèmes de liaisons aériennes avec les villages et les communautés de l’intérieur, le long des fleuves. Il faut plusieurs heures, plusieurs jours parfois, pour venir à Saint-Laurent ou à Saint-Georges depuis l’intérieur. Il faut faire comme partout ailleurs : construire des routes pour désenclaver l’intérieur et pouvoir développer des activités économiques.
« Nous souhaitons que les chiffres de l’INSEE
reflètent fidèlement la réalité statistique de notre territoire. »
Les données statistiques sur le nombre d’habitants par commune semblent fantaisiste. Or, les aides, les équipements sont prévus en fonction du nombre d’habitants dans un secteur donné. Comment explique-t-on ces approximations préjudiciables ?
C’est tout à fait fantaisiste. Je ne sais pas comment sont faits les recensements. Il y a toujours un différentiel entre les chiffres qu’ont les maires, par exemple, et les données officielles de l’INSEE. Or, c’est sur ces données que se basent les aménagements publics, les aides aux communes. Nous demandons, à l’Association des maires de Guyane, qu’il y ait un audit sur ces recensements. Et aussi qu’il soit mis fin au décalage très problématique des 3 années qui séparent le recensement statistique par l’INSEE et la publication des chiffres. Nous souhaitons que les chiffres reflètent fidèlement la réalité statistique de notre territoire. La référence statistique doit porter sur l’année N ou l’année N-1.
Le mode de calcul de la Dotation Globale de Fonctionnement ne vous semble pas équitable. Que proposez-vous ?
Permettre une prise en compte de la superficie des communes guyanaises dans le calcul de la DGF, garantir à toutes nos communes, même les plus éloignées et les moins peuplées, de pouvoir bénéficier des ressources nécessaires pour assurer le bien-être de leurs habitants et promouvoir un développement harmonieux sur l’ensemble du territoire guyanais.
« Il faut que ce soient les communes qui touchent
ces loyers pour pouvoir financer les infrastructures publiques. »
Comment réformer l’octroi de mer pour que la population en profite ?
A quoi sert l’octroi de mer ? Normalement à protéger les productions locales. C’est une ressource essentielle pour les collectivités. Une ressource gérée localement. Il faut faire attention. Si le gouvernement décide de réduire les taux de l’octroi de mer sur les produits importés, ces derniers vont devenir plus intéressants pour les consommateurs et les produits locaux vont en pâtir. S’il y a des réformes, nous ne sommes pas contre, mais il faut le faire avec des précautions et conserver la gestion locale de cette taxe.
Que sont les opérations d’intérêt national ?
Ce sont les grands projets de l’Etat. On parle d’aménagement du territoire. Entre la décision et l’exécution, il se passe parfois plusieurs années. Or, compte tenu de la démographie galopante, un projet dimensionné pour un certain nombre d’habitants dans une commune ne sera plus valable quatre ou cinq ans plus tard. Il faut aller plus vite.
Pensez-vous que la remise de terres aux collectivités par l’Etat solutionne des problèmes. Si oui, lesquels ?
L’Etat rétrocède aux collectivités des milliers d’hectares. Imaginez-vous que les maires, auparavant, apprenaient par hasard qu’une entreprise venait s’installer sur son territoire sur un terrain concédé par l’Etat, moyennant loyer… sans aucune concertation. Or, qui dit entreprise nouvelle dit salariés, qu’il faudra loger. Et la construction de logements, d’établissements scolaires, c’est une prérogative des communes. Il faut que ce soient les communes qui touchent ces loyers pour pouvoir financer les infrastructures publiques.
« Il faudrait soutenir les entrepreneurs locaux
pour développer la filière pêche. »
La Guyane est riche en or et riche en zones maritimes poissonneuses. Or, elle n’en profite que partiellement. Que doit-on faire ?
La Guyane est très riche mais on laisse des illégaux piller ses ressources. Les placers illégaux devraient, plutôt qu’être détruits par les forces de l’ordre, être proposés à des Guyanais qui pourraient les exploiter. Là, on détruit un site qui est déjà en exploitation alors que le Guyanais qui veut s’installer, qui a une concession, va devoir démarrer à zéro, financer lourdement ses débuts d’orpailleur avant de trouver l’or qui lui permettra de faire vivre sa petite entreprise. Pour ce qui est de la pêche, les ressources sont importantes mais il faudrait soutenir les entrepreneurs locaux pour développer cette filière.
Comment protéger l’environnement guyanais quand on sait que les équipements pour la collecte et le traitement des déchets sont encore rares et que les placers illégaux sont autant de zones de pollution des terres et des cours d’eau ?
C’est un gros problème. Mais, il ne faut pas faire de la protection de l’environnement à outrance. Bloquer des projets d’aménagement importants pour la Guyane ce n’est pas bon. Il y a des lois, des règlements concernant l’environnement et la protection de celui-ci. Il faut les appliquer de manière pragmatique et non dogmatique. Mais, vous savez, les maires de communes de Guyane aiment leurs territoires. Ils ne vont pas faire n’importe quoi. C’est pour cela qu’il faut revoir les pouvoirs des maires qui sont souvent trop contraints par des règlements qui sont faits pour d’autres régions.
« La France laisserait-elle une partie
de son territoire continental sans routes… »
Le Maroni est à son plus bas débit depuis quelques mois. On accuse le changement climatique. Ce qui a des conséquences sur la desserte nautique des villages de l’intérieur. Comme faire ?
Des routes, tout simplement. Certes, il faut des financements pour faire ces routes, mais est-ce que la France laisserait toute une partie de son territoire continental, en Auvergne ou ailleurs, sans routes pour relier les villes, les communautés ?
Faut-il une nouvelle fois que la Guyane change de statut ?
Oui, il faut que des compétences nouvelles soient reconnues aux élus locaux qui sont les plus près du terrain, des gens, des problématiques. Il faut un statut à la carte, à la mesure des attentes de la Guyane.
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com