Dossier. Sexisme : la mort en douce

La femme est l’égale de l’homme. Certes, mais pas dans la vie courante : il y a comme un hyatus incompréhensible que la résurgence de l’image de l’homme des cavernes trainant derrière lui sa femme par les cheveux n’explique pas. Si on ne sait pas comment l’homme des cavernes traitait sa compagne, on sait bien comment certains hommes agissent, avec leurs proches mais aussi dans l’espace public ou au travail. Pourvu qu’il n’y ait pas de témoin.

PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL

62 000 femmes sont victimes de tentatives de viol chaque année en France et 53 000 de mutilations sexuelles, des violences qui ont des conséquences très graves sur la sexualité et la santé des femmes.

Le sexisme, nous dira n’importe quel dictionnaire, c’est la discrimination fondée sur le sexe, sur le genre d’une personne. Des synonymes ? Machisme, phallocentrisme, misandrie, misogynie.

Le machisme, on connaît bien dans nos régions Antilles-Guyane. C’est la tendance naturelle de nos peuples. Et si, en France, dans tous les milieux — parce qu’il y a autant d’imbéciles dans les conseils d’administration que dans les ateliers d’usines — le machisme est bien ancré, chez nous il est institutionnalisé. Le sexisme, c’est la mort en douce. Chut chut !

Ce qui se voit

En apparence machisme et sexisme sont en perte de vitesse. Imaginez ! Une Première ministre, une présidente de l’Assemblée nationale, une présidente de l’Autorité des marchés financiers, des présidentes de grands établissements et de grandes entreprises. Les hommes de pouvoir n’ont plus qu’à filer droit !

Les grandes écoles aussi se féminisent, tout comme les professions qui étaient très masculines : de plus en plus de magistrates (dans certains tribunaux elles sont majoritaires). En Guadeloupe, deux femmes président les deux tribunaux judiciaires (anciens tribunaux de grande instance), en Martinique, une femme dirige le parquet de Fort-de-France.

Des femmes commissaires sont venues rejoindre la cohorte des responsables de commissariats de services de police judiciaires.

Tout ceci participe-t-il à une situation plus égalitaire entre femmes et hommes ? Sûrement. Mais, si les femmes peuvent relever la tête et crier fort leur droit à l’égalité, il y a les autres.

Ce qui reste caché ou ignoré

S’il faut féliciter la société d’avoir fait sa place aux femmes, il faut se souvenir que c’est à marche forcée : des lois ont imposé la parité homme-femmes dans toutes les fonctions relevant du politique ou de l’Etat. Sinon… on en serait encore au XIXe siècle.

Si de plus en plus de lois, ordonnances, règlements sont favorables aux femmes, leur permettant de trouver une écoute plus attentive en cas de violences, au travail, à la maison, dans les espaces publics, plus de latitude en matière d’IVG, de PMA, etc., si les dénonciations de comportements indignes ont permis de dénoncer, de condamner des personnalités aux comportements sexistes, il y a de plus en plus d’actes répréhensibles.

Une banalisation qui résiste

En fait, les chiffres des violences sexistes et plus particulièrement celui des violences conjugales est en hausse, dans l’Hexagone de 21%.

#MeToo, mouvement mondial contre les auteurs de violences sexuelles (le moyen de dénoncer des personnalités aux comportements réels ou supposés), s’adresse à une certaine classe. Il s’agit de la médiatisation exacerbée de comportement déviants de porcs glorieux à l’encontre de VIP qui disposent des moyens médiatiques de dénoncer.

Les « pauvres femmes » n’ont que leurs mains pour pleurer dedans.

On ne s’étonnera donc pas de leur timidité, hésitation, crainte de dénoncer les actes dont elles sont victimes au quotidien, à la maison, dans la rue, au travail.

D’autant que, malgré les ordres venus d’en haut, l’accueil dans les commissariats et gendarmeries n’est pas toujours encore bien adapté. On a du mal à casser deux mille ans (et plus) de pratiques discriminatoires.

Les phénomènes nouveaux

Hurler dessus, toucher, frapper… les victimes de violences sont plus nombreuses encore parce qu’il y a de nouvelles possibilités de leur porter atteinte. Et celles-ci n’en sont pas moins brutales, qui ne laissent pas de traces aussi visibles que des coups mais peuvent tuer tout autant.

Il s’agit des violences en ligne, par internet interposé. C’est le perfectionnement de l’abject harcèlement téléphonique. On poste… et on laisse tourner. Photos, vidéos, allégations. Fake repris en boucle. On détruit des personnes, d’abord leur réputation, puis leur esprit (il est très difficile de demander à un réseau social type Facebook de supprimer un post ou de bloquer un internaute indélicat, même si depuis quelques années ce réseau social se montre moins obtus). Assez souvent on détruit aussi leur corps puisque le harcèlement est tellement violent qu’il n’y a qu’un moyen d’y échapper, le pire.

Des profils à risques

Virage Outre-mer a réalisé un important travail qui permet de mieux cerner le profil des victimes potentielles de violences conjugales (Martinique).

Virage a créé un indicateur global de violence conjugale qui tient compte du type de violences, de sa fréquence, de la gravité ressentie et en le testant avec un certain nombre de variables (âge, situation matrimoniale, rapport à l’emploi, durée de couple, etc.). L’indicateur global de violences conjugales ainsi élaboré concerne près de 18 % des femmes à la Martinique.

29 % des jeunes femmes âgées entre 20-29 ans déclarent des violences conjugales.
24% des femmes inactives se plaignent de violences conjugales, 30% lorsque les deux conjoints sont inactifs ou au chômage.
60 % des femmes qui pensent ou savent que leur mari va courir ailleurs se plaignent davantage de violences psychologiques que les autres (contre 26 %) et 11 % de violences physiques (contre 1 %).
26 % pour les femmes ayant déclaré un climat de tensions ou de violence entre les parents, à 23 % pour celles ayant eu des conflits très graves avec le père et/ou la mère, et monte jusqu’ à 29 % pour celles qui ont subi des punitions perçues comme injustes et des coups dans l’enfance courent le risque de connaitre des violences conjugales.

Répéter les comportements

Les parents – le père et la mère – sont les principaux auteurs des violences psychologiques et physiques dans le cadre de la famille et l’entourage proche (Guadeloupe). Le père est l’auteur le plus désigné, plus souvent cité que la mère : pour 36 % des femmes et 49 % des hommes, les pères sont auteurs de violences psychologiques, et pour 29 % et 42 % respectivement de violences physiques. Cependant, les femmes désignent leur mère comme auteure de critiques, d’humiliations et d’insultes nettement plus souvent que ne le font les hommes (27 % des femmes victimes contre 14 % pour les hommes) et également un peu plus souvent comme auteure de violences physiques (34 % et 29 % respectivement) et ce, quelle que soit la configuration familiale (parents en couple ou famille monoparentale).

En Guadeloupe, les mères, sur lesquelles reposent principalement les tâches éducatives, exerceraient un contrôle plus important sur leurs filles, donnant davantage lieu à des tensions et des conflits et, a contrario, accorderaient des marges de liberté plus grandes à leurs fils dans leurs comportements au foyer et à l’extérieur. A l’inverse, d’après les résultats de l’enquête, ce seraient les pères qui exerceraient un plus fort contrôle sur leurs fils qu e leurs filles par l’usage de mots et de gestes violents.
Enquête Virage Outre-mer

Le chiffre

10

Dix recommandations pour un plan d’urgence de lutte contre le sexisme.

1 Augmenter les moyens financiers et humains de la justice pour former plus et en plus grand nombre les magistrats (es) au sein des juridictions chargées de traiter les violences intrafamiliales
2 Instaurer une obligation de résultats pour l’application de la loi sur l’éducation à la sexualité et à la vie affective dans un délai de trois ans et prévoir une sanction financière en cas de non-respect de cette obligation dans le délai
3 Réguler les contenus numériques pour lutter contre les stéréotypes, représentations dégradantes, traitement inégaux ou violents des femmes, en particulier les contenus pornographiques en ligne
4 Rendre obligatoire les formations contre le sexisme pour les employeurs
5 généraliser l’égaconditionnalité qui conditionne l’argent public à une contrepartie en termes d’égalité et la budgétisation sensible au genre
6 créer une haute-autorité indépendante pour lutter contre les violences sexistes en politique
7 conditionner les aides publiques à la presse écrite à des engagements en matière d’égalité
8 rendre obligatoire un système d’évaluation et ne publication annuelle sur la part de présentation des femmes dans les manuels scolaires, informant voire conditionnant leur mise sur le marché
9 interdire la publicité pour les jouets genrés
10 institutionnaliser la journée nationale de lutte contre le sexisme le 25 janvier.
Source : Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France

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