C’est le début de la fin d’un monde que nos enfants ne connaîtront pas. Tandis que les forêts de l’Alberta, dans le Grand nord canadien, brûlent sans discontinuer, que l’Europe et les Etats-Unis font face à des vagues de chaleur jamais connues, dépassant les 40% alors que l’été n’est pas encore là, la Caraïbe se débat dans une invasion intense qui sent le soufre.
PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL
Que faire de ces algues sargasses ? On a beaucoup écrit là-dessus. Sylvie Gustave-dit-Duflo, vice-présidente de la Région Guadeloupe, président de l’Agence Française de la Biodiversité, s’est agacée de certains sourires sceptiques quand elle a annoncé en plénière en Guadeloupe qu’il fallait penser à valoriser ces algues qui actuellement polluent les côtes caribéennes.
CUEILLETTE
Jusqu’à présent que ce soit avec des bateaux type Sargator — que sont-ils devenus ? — ou des filets les algues sont difficilement récupérables en mer, avant qu’elles ne viennent polluer les côtes. Pourtant, c’est à ce stade, en mer, qu’il faudrait les cueillir pour assurer leur transformation. Car, fraiches, elles sont moins polluantes que pourrissant sur la côte ou dans des centres de stockage improvisés qui sont parvenus à saturation alors que le gros des échouages est à venir.
Et l’année 2023 pourrait, selon les experts de cette université, « être l’année noire pour la Guadeloupe ». Merci pour cette sollicitude !
Mais, rares sont les îles-pays de la Caraïbe qui pourront échapper à cette calamité. En effet, les îles sont comme un peigne dont les dents (les îles) retiennent les algues sargasses dans leur périple sud-est/nord-ouest.
Et ce sont de 5 à 8 millions (cette année) de tonnes de sargasses qui échouent sur nos côtes ensoleillées !
VALORISER
Valoriser les algues sargasses. C’est la grande discussion chaque année, au moment où celles-ci débarquent de leur traversée de l’Atlantique pour envahir les côtes des îles-pays de la Caraïbe, le Mexique, le sud des Etats-Unis. Comme une malédiction.
On a proposé tout et n’importe quoi jusqu’à présent, pour valoriser non pas les algues qui s’échouent et pourrissent sur les plages mais celles que l’on peut cueillir en mer, y compris en faire de la bière.
Un Mexicain en fait des briques dont la durée de vie pourrait dépasser les cent ans.
Et l’odeur ? Pas d’odeur, affirme-t-il.
Un Guadeloupéen en fait des montures de lunettes. Tendance ! Mais, c’est un marché de niche.
La farine de Sargasse est utilisée comme complément alimentaire pour les poules pondeuses ou les moutons. Elles sont parfois valorisées sous forme d’engrais naturels ou pour la production énergétique (dégagement de biogaz).
A TABLE !
Elles sont utilisées comme ingrédients dans certains pays et pour des plats d’inspiration asiatique. Il est loisible de les utiliser fraîches ou encore de les sécher au soleil ou à la fumée. Elles peuvent agréablement, nous dit-on, servir d’assaisonnement, d’ingrédient pour une soupe ou des plats de légumes. On peut les ajouter à une salade, sans oublier un filet de jus de citron. Sans doute pour masquer le goût assez fort de ces sargasses.
A Hawaï, elles accompagnent de tradition le poisson cru. Elles seraient, dit-on, délicieuses frites ou sous forme de tempura, voire mijotées avec des légumes et de la sauce de soja, o encore mélangées à des oignons verts comme garniture de boulettes. Certains les utilisent en curry avec du lait de coco.
Les spécialités sont nombreuses à travers le monde. Pour les agrémenter, il faut utiliser les parties les plus molles de la plante : on conserve donc les feuilles et on retire les tiges et les pointes.
Il est possible de conserver les sargasses fraîches plusieurs jours dans de l’eau salée, placées dans un récipient légèrement couvert à température ambiante. Ne pas manquer de les laver soigneusement avant de les consommer pour éviter les débris qui pourraient s’y trouver.
POUR UNE BRIQUE
Connaissez-vous Sargablock ? Des briques faites de sargasses, produits de l’imagination d’un ouvrier mexicain, Omar Vasquez, préposé au nettoyage d’une fameuse plage encombrée chaque année de sargasses. Il a construit une maison témoin avec ses briques et entend bien en construire d’autres. Concrètement, les matériaux sont traités puis comprimés, et enfin modelés en blocs dans une usine située à Mahahual, village touristique de l’Etat du Quintana Roo.
Deux modèles existent sont en vente : le premier, dit « industriel », compacté mécaniquement à raison de 112 kilos par centimètre carré, à une vitesse de 435 pièces par heure. Le second, dit « artisanal », compacté à la main dans des moules séchés au soleil pendant dix jours.
Dans des conditions idéales (point trop de pluie), les briques ont une durée de vie de plus de 120 ans selon l’entreprise Sargablock, qui affirme en produire près de 1 000 par jour.
Omar Vasquez est soutenu dans son initiative par le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD).
SAVE C
« En Bretagne comme en Normandie, les anciens utilisaient les algues comme matériau isolant. Dans les vieilles maisons, on en retrouve souvent dans les vides qu’on laissait dans les murs des maisons pour mieux isoler les habitations », explique Valérie Striger-Prouveau, coordonnatrice du projet Save C.
Le projet Save C est l’étude des Sargasses holopélagiques responsables d’échouements massifs et surtout sa valorisation et écologie sur les côtes des Caraïbes.
Financé par l’ ANR Sargasses, l’ADEME, la CTM et la Région Guadeloupe, Save C est un projet du LEMAR, le Laboratoire des sciences de l’Environnement Marin.
« La valorisation des algues sargasses est non seulement possible, mais elle permettrait de transformer cette énorme biomasse en opportunité économique. »
La transformation industrielle de ces algues brunes demande néanmoins d’importants financements et l’identification précise de secteurs qui peuvent utiliser de la matière sargasse. C’est l’autre mission du projet Save C : « On a les idées, on sait que ça marche avec les sargasses Caraïbe, reste à développer les chaînes industrielles adéquates », dit encore Valérie Striger-Prouveau.
ILS ONT DIT
« Les sargasses s’accumulent sur les rivages de la Martinique. Ces algues dégagent,
en séchant, de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac, qui peuvent provoquer
maux de tête, nausées et vomissements, nous devons agir et vite. »
Serge Letchimy, président de la CTM
« Chaque territoire aura un organisme unique pour gérer le sujet des sargasses.
Ils serviront à recueillir l’argent de l’État et à le dépenser pour qu’il n’y ait pas de sargasses. »
Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer
« Faire plus, faire mieux, avec moins de moyens… »
Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe
« Les sargasses, lorsqu’elles sont en mer, ne représentent aucun danger.
Elles sont même considérées par les pêcheurs comme d’excellentes nurseries,
car elles permettent d’attirer de plus gros poissons venant se nourrir sous ces radeaux flottants. »
Parc national de la Guadeloupe
Des vitamines, entre autres
La composition des algues sargasse varie en fonction de l’espèce. Elles peuvent contenir en différentes proportions des constituants variés :
Caroténoïdes(fucoxanthine)
Cellulose
Protéines
Acides aminés (lysine, tyrosine, glutamine, asparagine, thréonine, phénylalanine)
Acides gras oméga 3
Polysaccharides
Sodium, potassium, magnésium, calcium
Cuivre, fer, zinc
Vitamines C et A
Polyphénols et tanins (phlorotanins, suscitant l’intérêt des scientifiques pour prévenir et traiter les tumeurs)
Fortes teneurs en iode et en brome.
Arsenic…
La consommation de sargasse est déconseillée aux personnes allergiques à l’iode ou dans certains cas d’hyperthyroïdie.
Notons que le séchage et le rinçage font perdre une grande partie de leur iode aux algues fraîches.
Certains pays déconseillent la consommation de la Sargasse en raison de sa capacité à capter les métaux lourds dans l’eau (arsenic, cadmium, etc.).
La médecine chinoise en raffole
La Sargasse est conseillée par la médecine traditionnelle chinoise depuis le 8e siècle, avec diverses recommandations : bronchite, laryngite, infections, fièvre, œdème, cataplasme pour traiter les plaies…Appliquée localement, elle soulagerait la douleur et l’inflammation due aux hernies testiculaires. Combinée à la châtaigne, elle atténuerait les symptômes de la silicose.Elle est le plus souvent recommandée pour le traitement de différents troubles thyroïdiens. En cas d’augmentation de taille de la glande thyroïde ou de goitre, de thyroïdite chronique, maladie de Hashimoto. Cette algue aurait aussi des propriétés résolutives, diurétiques (rétention d’eau) et vermifuges.Les polysaccharides qu’elle contient en quantité soutiennent une glycémie saine et une bonne tension artérielle.Grâce à sa composition nutritionnelle, elle serait bénéfique aux systèmes nerveux, digestif, circulatoire (cholestérol), osseux et métabolique (satiété, richesse en fibres, aide à la perte de poids). Elle est reminéralisante. Elle prend soin du cuir chevelu.Les herboristes en Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) prescrivent le plus souvent Sargassum pallidium, plus rarement Sargassum fusiforme.
Source : passeportsante.net
Un coup d’épée dans l’eau ?
Face à cette menace, chaque territoire concerné tente de se battre avec des armes différentes. Armes souvent dérisoires. En 2022, la France a adopté sur quatre ans le Plan sargasses II dont l’objectif est de développer la recherche autour de ces algues brunes, mais aussi aider les collectivités territoriales à les ramasser, en mer comme à terre, à assurer leur transport et leur stockage.
Il s’agit d’un défi majeur très coûteux. Mais, en Guadeloupe, par exemple, la moitié des sites de stockage est déjà saturée. En Martinique, des citoyens ont déployé des filets anti-sargasses pour éviter qu’elles viennent envahir le littoral.
En Guadeloupe, encore, un premier filet a été installé en début de semaine face à la plage de Pompierre, l’un des sites touristiques les plus prisés de Terre-de-Haut/Les Saintes.
Une cellule de crise a été activée en préfecture de Guadeloupe, avec du personnel sous la houlette du directeur de cabinet du préfet. Ils surveillent l’arrivée des algues sargasses suivies par satellite. On sent bien que la volonté est là mais que c’est un travail de titan pour réagir à ces invasions.