Coût de la vie : ces Domiens qu’on assassine

La Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, la Guyane et Mayotte (9 700 euros en 2020 contre 57 600 euros en Île-de-France) sont les régions dont le PIB par habitant est le plus faible. Et ce sont les régions où les prix des produits de consommation courante sont les plus élevés. Cherchez l’erreur.

Malgré la départementalisation (1946) et la régionalisation (1982), ce sont les mêmes grands groupes familiaux qui, en Guadeloupe et en Martinique, et souvent ailleurs Outre-mer, tiennent l’économie d’importation locale. D’où, des prix concertés des denrées alimentaires, des matériaux de construction, entre autres. D’où des différentiels compris entre 17 et 40% des prix comparés entre ceux de l’Hexagone et ceux des Outre-mer. Mais, les marchands accusent le coût du transport, les 40% de surrémunération des fonctionnaires (y compris territoriaux) et l’Octroi de mer.
Quid ? L’octroi de mer est une taxe locale du XVIIe siècle toujours en vigueur sur les importations, spécifique aux Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte, La Réunion), conçue pour protéger les productions locales mais qui est aussi souvent considérée comme responsable de la cherté de la vie. C’est également la principale ressource financière des communes (32% des produits de gestion des communes et régions).

LE COÛT DU TRANSPORT ET DES TAXES…

Quand on demande à ces importateurs-distributeurs pourquoi de tels différences, ils répondent que c’est le transport qui fait tout : transport du producteur dans la campagne française chez le grossiste qui fait la mise en conteneurs, du grossiste au bateau à plusieurs centaines de kilomètres, la traversée de l’Atlantique sur un porte-conteneur, puis, une fois arrivé à destination, le prix du dépotage (vider le conteneur) et le transport chez le grossiste, puis de chez le grossiste dans les magasins.
A ces coûts qui s’additionnent tout au long de l’acheminement, disent-ils, il faut rajouter l’Octroi de mer, taxe qui permet à la Région (Guadeloupe et Réunion) ou à la collectivité (CTM, CTG, Conseil départemental de Mayotte) collectrice d’alimenter les caisses des communes.
En final de compte, c’est le consommateur qui paie l’addition de ces transports et taxes.

LES 44 JOURS LKP N’ONT RIEN CHANGÉ

En 2009, en Guadeloupe, un mouvement social qui a duré 44 jours, avait pour origine, entre autres irrégularités, le prix des denrées alimentaires. Une commission, comprenant des syndicats, des élus, des représentants de l’Etat, des grossistes ou des commerçants, a commencé un long travail pour déterminer la composition du coût des divers produits de consommation courante. Il paraît qu’ils ne sont pas allé plus loin que celui des sardines en boites, ce seul chapitre comportant plus d’une centaine de produits différents : à l’huile, à l’huile d’olive, pimentées, non pimentées, au citron, etc.
Dans les commerces, les produits alimentaires et autres ont continué de coûter de 17 à 38% plus cher que dans l’Hexagone, quelles que soient les protestations des associations de consommateurs, des élus, les mises en place de commissions, les enquêtes diligentées par l’Assemblée nationale, par le Sénat.

UNE COMMISSION D’ENQUÊTE

Les députés ont adopté à l’unanimité, le 9 février 2023, une résolution pour la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie outre-mer, portée par l’élu martiniquais Johnny Hajjar. Si Johnny Hajjar n’a pas été réélu en juin, le rapport de la commission reste plus que jamais d’actualité. D’autant que les prix ont augmenté pour tout ce qui est produits alimentaires depuis le début de 2024 alors que ces prix avaient déjà nettement prix de l’ampleur depuis deux ans (sortie de la pandémie au Covid-19 et guerre en Ukraine).
D’après une étude du conseil économique social et environnemental régional (CESER) de La Réunion, citée dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution, la vie chère s’expliquerait à 80 % par un problème de revenus et à 20 % par un problème de prix.

DES PRIX 7 À 12% PLUS ÉLEVÉS

En 2015, l’Insee remarquait déjà que le niveau général des prix y était de 7 à 12,5% plus élevé qu’en France hexagonale (+12,5% en Guadeloupe, +12,3% en Martinique, +11,6% en Guyane, +7,1% à La Réunion et +6,9% pour Mayotte, hors loyers). La situation s’est aggravée par la spirale inflationniste actuelle.
Les prix de l’énergie ont également fortement progressé selon les données publiées en juillet 2022 par le ministère délégué chargé des outre-mer : +19% dans les Antilles-Guyane, par exemple. Il en va de même pour les tarifs du fret maritime qui, après un moment de ralentissement lié à la décision de Rodolphe Saadé, pdg de CMA-CGM, de ne pas augmenter ses tarifs en période Covid, ont augmenté depuis.

DES DISPARITÉS RENFORCÉES

Ce qui tend à paupériser la population c’est qu’Outre-mer, les revenus sont structurellement inférieurs.
Pourquoi ? Parce qu’il y a des taux de pauvreté plus élevés (beaucoup de chômeurs et d’emplois précaires).
En fait, le rapport sur la proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête note que le financement de l’État n’est pas à la hauteur du déséquilibre qui existe avec l’Hexagone. Le soutien de l’État, à travers les contrats de redressement Outre-mer (COROM) par exemple, ne compense pas la baisse continue et régulière de la dotation globale de fonctionnement.

L’ETAT QUOIQU’IL EN DISE SE DÉSENGAGE

Ces dernières années, l’État a aussi diminué les montants attribués dans le cadre de certains mécanismes.
Ainsi, la TVA non-perçue récupérable des entreprises a été supprimée pour 100 millions d’euros en 2018, l’allègement des cotisations sociales des travailleurs indépendants a diminué de 40 millions d’euros à partir de 2018, la défiscalisation est passée de un milliard en 2012 à 500 millions d’euros en 2022.

De plus, et c’est le rapport qui le dit, les mécanismes mis en place pour lutter contre l’augmentation des prix sont insuffisants. Le Bouclier Qualité Prix  ou Qualité Prix +, qui sert à réguler les prix des produits de première nécessité, élaboré par l’Etat, avec la Région ou la Collectivité majeure et les organisations professionnelles du secteur du commerce de détail et leurs fournisseurs, qu’ils soient producteurs, grossistes ou importateurs, ainsi qu’avec les entreprises de fret maritime et les transitaires, d’une part, et les moyens donnés aux observatoires des prix, des marges et des revenus (OPMR), d’autre part, semblent bien insuffisants pour contenir les hausses de prix.

UN MAELSTROM AU SOMMET DE L’ETAT

Sur les 53 auditions qu’elle a menées, la commission d’enquête a entendu Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, Jean-François Carenco, ex-ministre des Outre-mer, Rodolphe Saadé, PDG de la compagnie de fret maritime CMA CGM, Stéphane Hayot, directeur général du Groupe Bernard Hayot (GBH) qui possède de nombreuses entreprises de distribution dans les Outre-mer.
Le 10 juillet 2023, le gouvernement d’Elisabeth Borne avait tenu un Comité Interministériel des Outre-mer (CIOM).

Pour lutter contre les monopoles qui plombent les budgets des ménages ultramarins, le gouvernement s’était engagé à augmenter de 10% « dès 2024 » les effectifs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans les cinq DROM. Le gouvernement entendait également « renforcer la souveraineté alimentaire » des territoires d’Outre-mer, notamment en débloquant 10 millions d’euros pour « soutenir les producteurs de fruits et de légumes. »

Depuis, Elisabeth Borne n’est plus Première ministre, deux ministres délégués aux Outre-mer se sont succédé, le chef de l’Etat et son Premier ministre, Gabriel Attal, ont vécu des moments difficiles renforcés depuis la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024 après la défaite aux Européennes. De Johnny Hajjar et son rapport comme des CIOM on ne parle plus…

En Guadeloupe, ZOBAN

La Région, l’Etat et des associations de consommateurs ont signé une convention de partenariat relative à la lutte contre la vie chère.

En 2015, pour calmer les associations de consommateurs, la Région avait lancé ZOBAN, une plateforme informatique sensée regrouper toutes les informations afin d’informer les Guadeloupéens sur le coût réel des produits divers importés en Guadeloupe.
Sans réelles suites…

Le 26 octobre 2022, les associations de consommateurs se sont rencontrées dans le cadre de l’assemblée constitutive de l’Union des associations de consommateurs agréées de ZOBAN (UACAZ). Avec l’appui de la Région, cette union se compose aujourd’hui de la Consommation Logement cadre de Vie (CLCV  971), de l’Union Départementale de la Confédération Syndicale des Familles de Guadeloupe (UDCSFG), de la Confédération Nationale du Logement (CNL) et de l’Union des Associations Familiales (UDAF).
Cette union UACAZ a pour mission de conduire des actions volontaristes pour réduire les écarts de prix entre la Guadeloupe et la France hexagonale.

Côté Région, la majorité d’Ary Chalus a accepté de jouer le jeu en relançant ZOBAN. La commission développement économique du 20 octobre 2021 a émis un avis favorable au projet UACAZ, la commission permanente du 28 juillet 2023 a émis un avis favorable au projet UACAZ. Mais, cette fois-ci en association avec l’Etat et des associations de consommateurs volontaires, et des moyens financiers pour réaliser la plateforme, embaucher des opérateurs et des prestataires pour réaliser un comparateur de prix. Cette opération s’inscrit ainsi dans le cadre de la mise en œuvre de la fiche action n° 1-1-06 « Union des associations de consommateurs, ZOBAN », du contrat de convergence et de transformation (CCT) de la Guadeloupe.

Une convention, signée le 30 juillet 2024, s’attachera notamment à définir l’organisation, pour la mise en place par l’Union des associations de consommateurs agréées, accompagnée par la Région Guadeloupe et l’Etat, de la mise en place et de la gouvernance d’un portail internet, ainsi que de la gestion d’un comparateur de prix afin d’apporter des solutions durables en matière de modération des prix. Etat et région mettent 200 000 euros au pot pour créer la plateforme, l’application qui va avec, embaucher les personnels pour faire fonctionner le tout.

Un comité de pilotage, un comité technique, un conseil de surveillance, un comité de rédaction animeront cette initiative.

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