Cinéma. Malaury Eloi Paisley, de Pointe-à-Pitre à Berlin

Formée aux Ateliers Varan Caraïbe, la réalisatrice guadeloupéenne, Malaury Eloi Paisley participera à la Berlinale, festival de cinéma de Berlin, en février, avec son premier film, L’Homme-Vertige.

Qu’est-ce qui a motivé votre participation aux Ateliers Varan ?

Quand je suis revenue en Guadeloupe, c’était une question de survie. J’ai tout quitté : une relation épanouissante, un emploi qui me permettait de suivre des études en même temps, un atelier où j’allais peindre… Je voulais que mon histoire personnelle assez « complexe » fasse sens par le biais du cinéma ou d’un autre medium. La formation Varan m’a offert un alibi pour rester en Guadeloupe et créer. J’avais longuement voyagé dans le Pacifique, en Nouvelle-Calédonie, Nouvelle-Zélande…, ce qui m’a rendue encore plus pessimiste sur ce monde capitaliste, colonial… Je ne pouvais voir le monde qu’à travers ce prisme de notre histoire, celui de la domination et de la colonisation.

Pendant votre formation, vous avez réalisé Chanzy Blues, déjà très ancré à Pointe-à-Pitre et qui a servi d’amorce à votre documentaire, L’Homme-Vertige

J’ai filmé les derniers moments de la cité Chanzy, à Pointe-à-Pitre, en filmant trois personnages comme s’ils étaient les derniers hommes sur terre, les derniers survivants. Pour moi, il y avait quelque chose de post-apocalyptique quand je suis arrivé à Chanzy, en voyant ces appartements avec des meubles usagés, des traces de vie… C’était comme après un cataclysme où tout le monde était parti d’un coup.

D’où vient votre lien avec ce quartier de Pointe-à-Pitre ?

J’avais une tante que j’allais voir à Chanzy pendant mon enfance avec ma mère. À mon retour en Guadeloupe, j’étais curieuse de savoir ce qu’était devenu le quartier. J’y retournais régulièrement pour parler aux gens, pour essayer de comprendre les jeunes rencontrés là-bas dont certains étaient devenus dealers. J’avais l’impression qu’ils étaient coincés entre ces murs qui représentaient leur histoire, leur enfance… J’ai aussi rencontré Charles Eschylle, dit « Ti Chal », ancien membre du GONG**, qui a vécu à Cuba aux côtés des révolutionnaires du Che et de Fidel Castro. Il finissait sa vie dans un appartement de Chanzy, sous assistance respiratoire parce qu’il avait travaillé dans l’amiante pendant la première rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre. Il est à la fois un témoin de l’histoire, une « victime » de la négligence humaine et une sorte de grand-père que je n’ai pas eu. J’ai filmé Priscilla dans un squat et d’autres personnes. Chanzy Blues, c’était un essai, une recherche sans trop savoir ce que je voulais faire.

Pour sa première diffusion mondiale, L’Homme-Vertige, sélectionné au Forum de la Berlinale 2024, a été construit sur plusieurs années, de 2016 à 2023…

Oui… C’était un projet au long cours. J’ai filmé les mêmes personnes pendant environ cinq ans. Après la formation Varan, j’ai rencontré Sophie Salbot qui intervenait en production. Elle a vu mon dossier de candidature pour la résidence Doc monde Amazonie Caraïbes, en Martinique, puis en Guyane, en 2018. Elle avait apprécié mes écrits sur Chanzy Blues et était prête à m’accompagner pour un autre projet.

Sur mon temps partiel aux Ateliers Varan, j’ai mis en place des ateliers d’éducation à l’image dans les collèges de Pointe-à-Pitre, les lycées de Guadeloupe… pour faire connaître le cinéma d’auteur, le documentaire. Nous avons organisé des projections de films à Pointe-à-Pitre dans les cités, à l’association Saint-Vincent de Paul… Diffuser l’art, en parler, éduquer, pour moi, c’est une forme de militantisme. Dans le même temps, je me suis installée à Pointe-à-Pitre pour être dans la ville, être témoin du monde. Dans mon lien à l’autre, quand je vois quelqu’un, il y a quelque chose dans sa manière d’être au monde, qui me parle. Le cinéma, c’est un alibi pour rester en contact avec la personne. L’idée première n’est pas de faire un film. Mais, je rencontre des gens incroyables dans ce qu’ils sont. Ce qu’ils disent de l’humain, de la Guadeloupe, inspire mon écriture.

Entretien : Cécilia Larney

**GONG : groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe

Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à Malaury Eloi Paisley sur www.lhebdoantillesguyane.com

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