Dans son jugement du 24 juin 2022 rendu dans l’affaire de la chlordécone* plaidée par Me Christophe Lèguevaques, avocat de plusieurs Guadeloupéens et Martiniquais, le Tribunal administratif de Paris a reconnu que l’État avait commis des négligences fautives. Il a néanmoins refusé que des indemnités soient versées aux victimes. On verra pourquoi.
Dans sa décision rendue le 24 juin, le Tribunal administratif de Paris a critiqué la procédure de validation de l’utilisation dérogatoire du chlordécone, établissant une faute de l’État. « C’est une jurisprudence qui fera date, vingt-neuf ans après l’interdiction officielle du chlordécone aux Antilles », a commenté Me Lèguevaques qui a plaidé le dossier au tribunal administratif.
Il rappelle : « Le chlordécone est un pesticide très nocif qui a été utilisé pour lutter contre les charançons qui ravageaient les cultures de bananes aux Antilles entre 1972 et 1993. En effet, une expertise de l’Inserm a confirmé en juin 2021 une « présomption forte d’un lien entre l’exposition au chlordécone de la population générale et le risque de survenue de cancer de la prostate ». Côté environnement, le chlordécone mettra jusqu’à six siècles à disparaître de l’environnement, selon les estimations de l’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). »
Les victimes ne seront pas indemnisées, a dit le tribunal
Quoique la décision du 24 juin soit, comme l’a dit l’avocat, « une étape décisive et indispensable pour établir la responsabilité de l’État dans cette affaire », elle n’est pas suffisante pour obtenir l’indemnisation des victimes.
Pour ce faire, rappelle le tribunal, « il est nécessaire de réunir trois conditions cumulatives : l’existence d’une faute, le constat d’un préjudice et la démonstration d’un lien de causalité direct et certain entre la faute et le préjudice. »
Le Tribunal administratif s’est refusé à retenir l’indemnisation. Celle-ci portait sur 15 000 euros par demandeur.
L’avocat des 1 230 demandeurs et trois associations, Maître Christophe Lèguevaques, a conclu : « Le tribunal confond préjudice moral d’anxiété et préjudice corporel ! À la différence du préjudice corporel qui est personnel et individualisé, le préjudice moral peut concerner toute une catégorie de personnes placées dans une situation factuelle identique. En cela, il ne varie pas en fonction du demandeur — âge, sexe, situation professionnelle, antécédents médicaux, etc. Le préjudice moral d’anxiété est identique pour toutes les personnes placées dans cette situation (ici l’exposition directe et/ou indirecte au chlordécone depuis de très nombreuses années). Pour déterminer le préjudice d’anxiété, l’exposition à un produit dangereux suffit ! »
Me Lèguevaques s’appuie sur une décision rendue le 11 mai 2010 par laquelle la Cour de Cassation reconnaissait que « l’employeur devait bien indemniser un préjudice spécifique d’anxiété lorsque les salariés ont travaillé dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration, à tout moment, d’une maladie liée à l’amiante » et sont « amenés à subir des examens réguliers propres à réactiver cette angoisse ».
Me Christophe Lèguevaques va intejeter appel de la décision du Tribunal administratif de Paris.
La décision du Tribunal administratif de Paris :