Les avocats de l’Association Médicale de Sauvegarde de l’Environnement et de la Santé (AMSES) ont demandé à rencontrer les juges d’instruction du Pôle Santé de Paris pour leur parler du dossier Chlordécone. Ces mêmes juges qui ont auditionné, par visioconférence, les avocats du dossier en Martinique et en Guadeloupe, mais aussi les plaignants.
Me Rachid Madid et Olivier Tabone, reçus par les magistrats, ont ainsi déposé un mémoire pour contester la prescription, comme ils l’expliquent au quotidien Libération.
La prescription avait été soulevée par les juges d’instruction et quasiment officialisée par le procureur du Tribunal judiciaire de Paris dans une interview (il donnait ainsi la « voix du Gouvernement… »). Les avocats de l’AMSES contestent cette prescription. Ils menacent aussi de déposer plainte devant la Cour de justice de la République contre cinq ministres. Certains de ceux qui étaient en poste quand les dérogations successives ont été accordées.
Une belle brochette
de ministres de gauche
et de droite
Les ministres qui ont signé les dérogations ou étaient en poste durant la période 1972-1993, ont pour noms François Guillaume, Pierre Méhaignerie, Edith Cresson, Louis Mermaz, Jean-Pierre Soisson, Jean Puech pour les vivants, Jacques Chirac, qui est à l’origine de la mise sur le marché aux Antilles de la chlordécone, en 1972, quant il était ministre de l’Agriculture du président Georges Pompidou, Raymond Marcelin, Christian Bonnet, Michel Rocard, Henri Nallet, Louis Mermaz qui ont aussi signé les dérogations successives ou n’ont pas réagi quand ils étaient ministres de l’Agriculture sont tous aujourd’hui décédés. Selon les avocats de l’AMSES, par leurs actions ou inactions dans la poursuite de l’utilisation du chlordécone aux Antilles, ces ministres ont commis des fautes pénalement et civilement répréhensibles.
Rappelons-nous qu’en janvier dernier, les juges d’instruction s’étaient entretenus par visio-conférence avec les parties civiles en Martinique, puis en Guadeloupe. Ils avaient, pour la première fois depuis ces dernières années, évoqué la possibilité d’une prescription des faits.
Celle-ci, selon leur raisonnement contrarié par les parties civiles et leurs avocats, existait dès les premières plaintes, en 2006 et 2007.
« Je ne pense pas que nous aurons une réponse sur le non-lieu avant la présidentielle en 2022 », commente Harry Durimel qui est à l’origine de la plainte en 2006.
Sur l’affaire, il résume : « Aujourd’hui, nous avons des avocats qui déposent plainte contre des ministres. Il y a quinze ans, j’étais seul. Heureux de voir que ma plainte fait des petits… Heureux de voir que de nouvelles parties civiles sont sorties du bois. Il y a même les planteurs de bananes qui sont dans le dossier maintenant. D’ailleurs, d’autres combattants de lèvent. Aujourd’hui, devant le tribunal administratif tout le monde peut ester. Même l’Etat s’est emparé de ce problème. Tout est parti d’une cargaison de patates douces venue des Antilles en 2005. A l’époque, personne ne savait rien. C’était interdit en France depuis 1978 et ici comme en Martinique, on balançait la chlordécone sur les bananes pour empoisonner les sols pour 700 ans. Les lobbies de planteurs avaient tout le monde dans la poche, des élus de chez nous, d’anciens élus, qui font les étonnés aujourd’hui… et qui allaient à Paris dans les ministères demander les dérogations au nom des emplois dans la banane. »
Me Harry Durimel sera sur France Culture, ce mercredi, pour débattre sur le dossier chlordécone, avec un invité prestigieux, Malcolm Ferdinand, ingénieur en environnement, politologue et chercheur au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), qui a travaillé sur la chlordécone et l’incidence de son utilisation aux Etats-Unis et aux Antilles. Il avait été auditionné par Serge Letchimy et la commission sur l’utilisation de la chlordécone et du paraquet aux Antilles.
André-Jean VIDAL
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