Charlie Hebdo s’est intéressé à nos cimetières d’esclaves

Excellent article (une page) dans Charlie Hebdo du 12 janvier 2022. Il est consacré aux cimetières d’esclaves qui se trouvent en Guadeloupe.

Certes, c’est le ton insolent de Charlie Hebdo, et Antonio Fischetti, qui a passé quelques jours en Guadeloupe pour son reportage, n’épargne personne.

De quoi parle-t-il ? Du peu d’intérêt manifesté par les autorités locales pour les cimetières d’esclaves identifiés comme tels — il y en aurait des centaines en fait sur l’archipel Guadeloupe — par les archéologues.

Plage des Raisins Clairs, à Saint-François, comme il le souligne, « à cause de l’érosion, les os surgissent entre les touristes ou sont emportés au large. »

« Un sujet très sensible, ajoute-t-il, qui mêle enjeux scientifiques, écologiques et mémoriels. »

Si, à Saint-François, un panneau signale la présence d’un cimetière colonial, indiquant que « les tombes sont situées sous vos pieds, entre 40 cm et 60 cm de profondeur », demandant de « ne pas collecter ni extraire des ossements, sous peine de poursuites judiciaires », il semble que l’apposition du panneau ait suffit… pour que les autorités pensent que… ça suffit.

En 2013, il y a eu des fouilles sur le site. Un archéologue, qu’Antonio Fischetti a contacté, a reconnu : « Environ 130 squelettes ont té découverts sur cette plage, et on estime à plus d’un millier le nombre d’individus enterrés là. »

Un mausolée… Un lieu de mémoire. Mais, comment sait-on qu’il s’agit d’esclaves ? L’archéologue, toujours, indique que certaines dents retrouvées sont taillées en pointe, « ce qui est un rite initiatique africain. Cela peut se trouver sur des esclaves venus directement d’Afrique, ou bien sur leurs enfants. »

Que fait-on des ossements quand ils ressortent du sable ? « Légalement, affirme le journaliste, c’est le maire qui est responsable des morts de sa commune. Pour les archéologues, l’idéal serait de les conserver dans les services appropriées du ministère de la Culture. Cela permettrait de les étudier… »

Sauf que les Guadeloupéens, du moins ceux qu’il a contactés, ne souhaitent pas que les ossements de leurs ancêtres soient remisés dans un placard et estiment que les recherches archéologiques sont de la profanation. Ils préféreraient que les ossements restent là où ils sont. Sauf que c’est une plage fréquentée…

Pour le service régional de l’archéologie, les ossements prélevés par les archéologues doivent être étudiés puisqu’on sait comment ils ont été prélevés. Pour les ossements éparpillés sur la plage, ils peuvent être réinhumés dans un cimetière… sans que quiconque puisse s’y opposer.

Faute de réactions officielles à ses appels téléphoniques, Antonio Fischetti a voulu savoir ce qu’il en était en Martinique de ces cimetières d’esclaves retrouvés au fil de l’érosion ou de travaux.

Fin 2021, le préfet Stanislas Cazelles a signé un décret stipulant « qu’une fois les études achevées, les ossements reviennent sur l’emplacement où ils ont été découverts. » Il y a été incité par un collectif de citoyens qui considèrent que « les esclaves étaient déjà des objets de leur vivant, mais ce sont nos ancêtres. » Donc, pas question de les laisser dans une armoire dans un bureau ou une caisse dans un hangar.

Antonio Fischetti est allé à l’anse Sainte-Marguerite, au Moule, où il y a aussi un cimetière d’esclaves très connu. Un panneau à l’arrivée, indiquant : « Vous êtes dans un lieu sacré, protégeons la mémoire des aïeux. » Et une banderole, « Parce qu’ils sont morts souvent sans sépulture et sans rite (…) parce qu’ils sont tombés dans le coffre de l’oubli (…) nous, arrière-petits-fils et filles d’esclaves, avons décidé de réhabiliter la mémoire de nos parents, victimes de l’esclavage colonial. »

Il semble, affirme le journaliste, qu’il y ait des cérémonies, en attestent des restes de bougies. Mais, en parcourant le site, il découvre une réalité moins romantique : des ordures parsèment le site, pots de yaourts, bouteilles vides, morceaux de voitures… Bref, un dépotoir.

Sa conclusion est sans appel : « Question mémoire, il y a encore du boulot. »

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