Charles Virassamy : « Le vrai problème de l’eau en Martinique, c’est la gestion de la ressource »

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Ingénieur agronome à la retraite, Charles Virassamy est membre fondateur, dans les années 70, de l’association écologique APNE. Membre du collectif Séguineau – Non aux chantages, Charles Virassamy revient sur le débat actuel au sujet des travaux de réparation de conduits d’eau à Séguineau, au Lorrain, en Martinique.

Charles Virassamy.

Vous êtes à l’origine de l’association APNE (Association pour la Protection de la Nature et de l’Environnement). Parlez-nous en.

L’APNE est la première association de défense de l’environnement à avoir vu le jour en Martinique. L’association fêtera ses 50 ans dans trois ans. Elle est aujourd’hui présidée par Guylène de Lépine. Au sein de l’APNE, nos premières actions ont été la mise à disposition du public de poubelles à proximité des plages. Nous avons toujours été très sensibles à la pollution marine.

Suite à une scission au sein d’APNE, l’Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Martiniquais (ASSAUPAMAR) est née. Nous entretenons de très bonnes relations. Les membres de l’ASSAUPAMAR ont tenu à garantir l’aspect politique de leurs actions, ceux de l’APNE, non. Néanmoins, nous travaillons souvent ensemble.

Quelle est la mission du collectif Séguineau – Non aux chantages ?

Toute cette histoire n’est qu’une affaire de chantages. Le premier, c’est le fait que les douze élus réclament au président de la Collectivité Territoriale de Martinique, Alfred Marie-Jeanne, de payer les 225 000 euros réclamés par le propriétaire du terrain avant le lancement des travaux sur son terrain. Le deuxième chantage, c’est le fait que le propriétaire du terrain, lui, déclare que s’il ne reçoit pas les 225 000 euros, il ne donne pas accès à son terrain de Séguineau.

Comment vous retrouvez-vous, engagé dans cette affaire ?

J’ai été nommé par le tribunal administratif pour mener l’expertise de 2010, à Séguineau, à la suite d’un glissement de terrain en mai 2009. Ce glissement de terrain a eu lieu parce qu’il a beaucoup plu durant une courte période, plus de 2 600 tonnes d’eau. En ma qualité d’expert, j’ai proposé des dédommagements pour deux exploitants, ainsi que pour le propriétaire du terrain, à hauteur de 45 000 euros. Dans mon rapport, j’ai indiqué qu’il n’y avait pas lieu de dédommager le propriétaire du terrain au niveau du végétal, pour le glissement de terrain. Claude Lise, président du Conseil général, à l’époque, a voulu régler l’affaire à l’amiable et a proposé de payer. Il n’était pas possible de remplacer les tuyaux au même endroit, il fallait un autre site, à cause de la boue et des dégâts. Le propriétaire du terrain a accordé un droit de passage provisoire pour la réparation prévue des tuyaux et quand les travaux ont commencé, il a tout fait arrêter en réclamant 2 millions d’euros de droit d’occupation des sols et pour dégâts sur ces terres. Claude Lise s’est entendu sur le chiffre de 600 000 euros. A la suite de Claude Lise, Josette Manin, au Conseil général, a co-opté cette délibération pour 458 800 euros.

« Séguineau c’est 40% de l’eau dispensée pour la Martinique », rappelle Charles Virassamy.

En 2015, la fusion du Conseil général et du conseil régional a eu lieu et le président de la nouvelle Collectivité territoriale de Martinique, Alfred Marie-Jeanne, a décidé de ne pas payer, estimant que la demande du propriétaire du terrain ne se justifiait pas au regard des documents fournis.

La suite, vous la connaissez. Douze élus ont fait voter une motion plénière – que nous jugeons injustifiée – réclamant au président Marie-Jeanne de payer les 225 000 euros au propriétaire. La préfecture n’a pas jugé nécessaire de déférer la motion de ces élus à la censure du tribunal administratif et après deux mois, elle est donc devenue exécutoire. Mais le président refuse toujours de payer, sans présentation de justificatifs concernant les dégâts sur son terrain.

Ces mêmes douze élus ont ensuite déposé un recours, pour excès de pouvoir, contre le préfet et le président du conseil exécutif, Alfred Marie-Jeanne, pour ce qui est d’une demande de déplacement de servitude, à Séguineau. Pour l’heure, le préfet n’a pas encore signé l’arrêté de servitude.

Sur quoi porte le différend entre le collectif et le préfet ?

Nous exigeons la signature de l’arrêté de servitude par le préfet. Nous avons expédié, en ce sens, un courrier au premier ministre, aux ministres de la justice, de l’écologie et des départements d’outre-mer. L’ordonnance du gouvernement précise que durant toute la période de la crise sanitaire, le président du conseil exécutif, peut prendre des mesures – ici une mesure sanitaire concernant l’acheminement de l’eau en Martinique -, et faire exécuter 7/12ème du budget de l’exercice précédent, sans avoir à réclamer l’aval de l’assemblée. La décision de ne pas payer la somme de 225 000 euros prise par Alfred Marie-Jeanne est ainsi justifiée.

Le problème de l’eau en Martinique ne se limite pas qu’à Séguineau…

Non, pas du tout. Le problème de l’eau en Martinique, ce n’est pas que le problème de Séguineau. En 2020, après le carême, les rivières ont séché et on connaît les difficultés que cela à causer. Le gros problème de la Martinique, c’est la gestion de la ressource. En Guadeloupe, il y a 17 lieux de captage, en Martinique, seulement 6, et bien petits. Nous n’avons aucune réserve d’eau prévue. Et toutes nos nappes phréatiques sont polluées par la chlordécone. Le problème de l’eau, c’est la gestion de la ressource.

Expliquez-vous.

Nous sommes l’un des départements de France où l’eau est la plus chère, parce que nous n’avons pas de site de rétention d’eau. Le maire Gilbert Couturier dit que, petit, il piquait des têtes dans les bassins du Gros-Morne. Tous ces bassins ont disparu aujourd’hui. Il est là, problème : il n’y a plus de bassin de rétention de l’eau et, quand il pleut, cette eau retourne directement à la mer. On nous dit qu’il est possible de récupérer l’eau des nappes phréatiques et de la dépolluer ensuite. Faire cela c’est, d’une part, reconnaître la pollution des nappes phréatiques, et d’autre part, proposer d’assécher les nappes phréatiques et d’aggraver la situation. Les nappes phréatiques ne sont pas la solution. Nous portons aussi un regard particulier sur les forêts du Nord de la Martinique qui représentent le poumon de l’île, notre véritable grenier à eau.

Propos recueillis par Rodolf Etienne

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