SORTIR DE L’ASSIMILATION : LES EXEMPLES D’ALBERT BEVILLE ET DE JUSTIN CATAYEE
Le crash du Boeing d’Air France, le 22 juin 1962, sur les flancs de la montagne à Deshaies va soulever bien des questions. Les circonstances du drame n’ont toujours pas été entièrement élucidées. La présence à bord de leaders connus des mouvements autonomistes des Antilles et de la Guyane, tels Albert Béville, Justin Catayée et Albert Tropos ont ouvert la voie à de nombreuses interrogations que le rapport remis le 22 novembre 2016 par la « Commission d’information et de recherche historique sur les événements de décembre 1959 en Martinique, de juin 1962 en Guadeloupe et en Guyane, et de mai 1967 en Guadeloupe » n’a pas évacué.
Lorsque s’ouvrent les années 60, un peu plus de 10 ans après le vote de la Loi de Départementalisation du 19 mars 1946 et pendant une bonne dizaine d’années, les Antilles et la Guyane vivent un tournant essentiel. Bien qu’encore dominées par les lobbys coloniaux, ces contrées ultramarines s’éveillent à la responsabilité politique. Des questions qui n’avaient jamais été posées le sont. En tout premier lieu, il apparait, et c’est un trait commun qu’il importe de noter, que les deux personnalités objet de cette étude, ne sont pas des doctrinaires. Ils ne se réclament d’aucune école de pensée.
Certes, Catayée a côtoyé le Parti Socialiste Français, mais on ne trouve pas trace chez lui d’un endoctrinement qui enfermerait sa pensée. Il en a conservé une fibre sociale sans sacrifier à la nécessité de partir des réalités territoriales guyanaises. Il semble davantage guidé par sa formation scientifique et la rigueur qu’elle implique. Le cas d’Albert Béville est plus complexe.
Fonctionnaire colonial, il est au cœur de la doctrine de l’Etat qu’il a pour mission d’appliquer. On peut penser que son passage en Afrique et le spectacle d’une colonisation déshumanisante et d’une fausse décolonisation ont contribué largement à forger sa pensée. On ne lui connait d’appartenance partisane. Mais il a une solide formation juridique et économique. Il est de plus tenté par la littérature où il exprime une sensibilité très perceptible. Ces pensées peuvent s’analyser à partir de trois axes qui expriment parfaitement les exigences de l’heure et la démarche de ces deux géants politiques.
L’impasse économique et sociale et le nécessaire
recentrage des sociétés et des rapports sociaux
L’affirmation d’une culture et d’une personnalité différenciée – La décolonisation par la responsabilisation et le transfert de compétences essentielles. Une émergence politique en quelque sorte…. Ces 3 thèmes sont aujourd’hui encore au centre du débat politique. Les concepts ont évolué mais les problématiques restent les mêmes :
– Crise économique et sociale et promotion de l’économie endogène
– Valorisation de l’identité
– Responsabilité politique et autonomie
Béville et Catayée ne sont-ils que les témoins d’une histoire, l’incarnation d’une mutation des Antilles et de la Guyane. ? Les questions qu’ils ont portées dans le débat public dans les années 60 ans ne sont-elles encore largement reprises dans les propositions politiques des élus. Béville se place résolument dans la perspective de la décolonisation. La problématique qu’il induit est éminemment politique et ne saurait se limiter à une simple adaptation juridique des institutions. L’autonomie est conçue comme un partage de souveraineté avec l’Etat, laissant aux autorités locales une large part d’initiative pour la définition des objectifs à atteindre.
Il est vrai que la situation est différente en Guyane, vaste territoire multiethnique dont l’essentiel du foncier appartient à l’Etat. L’ambition exprimée par Justin Catayée est la reconquête territoriale par une sortie de la départementalisation.