Dédié à l’un des acteurs, Ralphe Théodore, assassiné pendant le tournage, en 2023, et à Paul-Henri Mourral, abattu en 2005, Kidnapping Inc., premier long-métrage du réalisateur Bruno Mourral, est une comédie noire éminemment politique qui dénonce la violence et la corruption en Haïti.
Kidnapping Inc., premier long-métrage du réalisateur Bruno Mourral a débuté sa carrière au festival de Sundance (Etats-Unis), en janvier. Le film vient d’être doublement primé au Cinestar International Film Festival (Guadeloupe) en remportant le Prix du jury et le Prix de la meilleure interprétation (Jasmuel Andri et Rolaphton Mercure). Il est à l’affiche en Guadeloupe depuis 11 octobre. Il est attendu en Martinique, le 18 octobre, puis en Guyane, le 26 octobre. Entretien avec Bruno Mourral.
Votre fiction, Kidnapping Inc., témoigne de la violence quotidienne qui a sévi en Haïti. Une insécurité que votre équipe et vous avez subie…
Bruno Mourral : Oui… Pendant le tournage, trois membres de l’équipe ont été kidnappés, en 2021. Puis, quand nous avons repris en 2022, l’un de nos assistants a reçu une balle au visage. En 2023, l’un de nos acteurs, Ralphe Théodore, a été assassiné. En 2005, alors que j’étais étudiant en école de cinéma, mon père, Paul-Henri Mourral, a été abattu de plusieurs balles.
C’était important d’utiliser ce sujet, la violence des gangs, qui touche tellement de personnes en Haïti pour parler de cette société. J’ai voulu faire un film-miroir où on se voit, pour discuter de notre société et noter tout ce qui ne va pas.
Vous avez choisi l’humour pour un sujet aussi dramatique. Pourquoi ?
J’ai fait ce choix en observant notre façon de fonctionner en Haïti. Nous avons très souvent recours à l’humour pour surmonter une difficulté, toutes nos tragédies. Quelques jours après le tremblement de terre de 2010, qui est l’une des plus grandes tragédies qu’a connues Haïti, une chanson, inspirée de ce tragique événement, est sortie et elle a connu un vif succès. J’ai vécu assez longtemps en Haïti pour savoir que tout ce qui nous affecte, nous le tournons en dérision, les gens deviennent très créatifs pour alléger les sujets qu’on n’a pas envie d’aborder avec trop de tristesse.
Comme beaucoup d’autres, vous avez quitté Haïti pour vous installer à Miami. Quelles relations avez-vous gardées avec votre pays ?
J’y suis tout le temps ! J’y étais pendant l’été. Il y a deux semaines, nous avons organisé une projection du film Kidnapping Inc. au Cap-Haïtien. J’y retournerai prochainement en octobre, puis en décembre, pour une projection à Port-au-Prince.
Comment la population vit-elle cette insécurité au quotidien ?
En ce moment, il y a une fausse accalmie : aucun gang n’a été démantelé. La population est dans une sorte de bulle : les gens souffrent, mais ils ont en même temps besoin de ce moment de répit, de paix. Ils recommencent à sortir. Mais, je constate que même les renforts envoyés sur place ne font rien de ce qui avait été prévu. Les policiers, même s’ils font un travail extraordinaire, manquent d’effectifs, de moyens et beaucoup sont corrompus.
De mon point de vue, le tableau n’est pas extrêmement positif, mais beaucoup de personnes me disent qu’elles sortent, reprennent certaines activités… Ce calme n’est que temporaire : on a mis un pansement sans soigner la plaie. Je crains que les mêmes problèmes d’insécurité refassent surface. Je pense que ce n’est pas une force internationale présente ponctuellement qui résoudra le problème. Il faut vraiment que les Haïtiens prennent les choses en main, que le gouvernement investisse dans la Police nationale. Ce qui nous permettra d’envisager un avenir dans le pays.
Les drames qui ont émaillé le tournage ont été une motivation supplémentaire pour achever le film ?
Oui. Ça représente bien la résilience haïtienne ! C’était malgré tout une belle aventure, même si nous avons souvent pensé que le film ne serait jamais terminé. Nous avons tous un point de vue, une histoire à raconter par rapport à cette insécurité. C’était important de finaliser le film surtout que nous avons perdu l’un des acteurs connus en Haïti, avec qui on a beaucoup travaillé, Ralphe Théodore. Le film lui est dédié, ainsi qu’à mon père, Paul-Henri Mourral. L’insécurité nous touche tous et crée un lien entre nous.
Quel a été le parcours de Kidnapping Inc. depuis le début de l’année au festival du film de Sundance, aux Etats-Unis ?
Le film a été diffusé en avant-première mondiale au festival Sundance, en janvier 2024. Puis, on a redémarré avec une première européenne, en Belgique, au festival de Bruxelles, puis à Angoulême, au Festival européen du film fantastique de Strasbourg. Nous avons obtenu le prix du jury et du public. Grâce à un distributeur, Kidnapping Inc. sera prochainement aux Etats-Unis, en février, et au Canada. Il sera programmé dans la Caraïbe francophone, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane à partir du 11 octobre. Lors de la présentation au Cap-Haïtien, il a été bien accueilli. L’année prochaine, nous espérons le présenter aux Oscars.
Votre prochain film est déjà en préparation ?
Oui ! Je suis en train d’écrire sur mes deux prochains films. J’ai hâte que les scénarios soient terminés ! Le premier est basé sur un livre de Gary Victor, écrivain haïtien. L’histoire d’un zombie qui prend sa revanche. On va traiter du vaudou, de la corruption… ça se passe aussi dans le milieu de la Police.
Le deuxième film relatera le kidnapping de l’ambassadeur noir-américain Clinton Knox, en 1973, par trois jeunes pour obtenir en échange la libération de 50 prisonniers politiques pendant la dictature de « Baby Doc ». L’ambassadeur français Bernard Douay avait négocié avec les kidnappeurs.
Les tournages se dérouleront en Haïti ?
On verra ! C’est difficile d’exposer les équipes à la violence, mais sur place il y a des zones plus paisibles comme le Cap-Haïtien, Jacmel, même si c’est plus compliqué. Sinon, la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane ont des paysages un peu similaires. Le kidnapping de Knox se déroule dans les années 1970 : Haïti ne présente plus le même visage, surtout après le tremblement de terre de 2010. Mais, j’avoue que j’aime bien tourner en Haïti !
Entretien : Cécilia Larney