Bac de français. Tous les sujets aux Antilles et en Guyane

Le bac de français 2024 a lieu vendredi 14 juin. Les élèves des régions de Guyane et des Antilles ont planché sur les épreuves.

Les sujets de la voie générale

Commentaire sur un texte de Jorge Semprun, Le grand voyage (1963)

ou :

Dissertations :

A. Le spectacle, dans Le Malade imaginaire, n’est-il assuré que par le comique ?

B. Selon un critique, Marivaux, dans Les Fausses Confidences, offre aux spectateurs « le plaisir raffiné de n’être jamais dupes », c’est-à-dire de n’être jamais trompés. Dans quelle mesure cette réflexion éclaire-t-elle votre lecture des Fausses Confidences ?

C. Selon vous, parvient-on, dans Juste la fin du monde (de Jean-Luc Lagarce NDLR), à comprendre les crises qui traversent la pièce ?

Le texte du commentaire de texte voie générale :

Jorge Semprun, Le grand voyage (1963)

Jorge Semprun, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, est arrêté par la Gestapo. Il raconte le long trajet en train qui doit le conduire dans le camp de concentration de Buchenwald.

C’est la nuit qui tombe, la quatrième nuit, qui réveille les fantômes. Dans la cohue noire du wagon, les types se retrouvent tout seuls, avec leur soif, leur fatigue, leur angoisse. Il s’est fait un silence lourd, coupé par quelques plaintes indistinctes, continues. Toutes les nuits, c’est pareil. Plus tard, il y aura les cris affolés de ceux qui croient mourir.

Des cris de cauchemar, qu’il faut arrêter par n’importe quel moyen. On secoue le type qui 5 hurle, convulsé, bouche ouverte. On le gifle, au besoin. Mais à présent c’est encore l’heure trouble des souvenirs. Ils remontent à la gorge, ils étouffent, ils ramollissent les volontés. Je chasse les souvenirs. J’ai vingt ans, j’emmerde les souvenirs. Il y a une autre méthode, aussi. C’est de profiter de ce voyage pour faire le tri. Faire le bilan des choses qui pèseront leur poids dans ta vie, de celles qui ne pèsent rien. Le train siffle dans la 10 vallée de la Moselle, et je laisse s’envoler les souvenirs légers. J’ai vingt ans, je peux encore me permettre ce luxe de choisir dans ma vie les choses que je vais assumer et celles que je rejette. J’ai vingt ans, je peux gommer de ma vie des tas de choses. Dans quinze ans, quand j’écrirai ce voyage, ce sera impossible. Tout au moins, j’imagine. Les choses n’auront pas seulement un poids dans ta vie, mais aussi leur poids en elles-15 mêmes. Dans quinze ans, les souvenirs seront moins légers. Le poids de ta vie sera peut-être quelque chose d’irrémédiable. Mais cette nuit, dans la vallée de la Moselle, avec le train qui siffle et mon copain de Semur, j’ai vingt ans et j’emmerde le passé.

Ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont des êtres que tu as connus. J’ai compris ça cette nuit-là, une fois pour toutes. J’ai laissé s’envoler des choses légères, des souvenirs 20 plaisants, mais qui ne concernaient que moi. Une pinède1 bleue, dans Guadarrama2. Un rayon de soleil, dans la rue d’Ulm3. Des choses légères, pleines d’un bonheur fugace4 mais absolu. Je dis bien, absolu. Mais ce qui pèse le plus dans ta vie, ce sont certains êtres que tu as connus. Les livres, la musique, c’est différent. Pour enrichissants qu’ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d’accéder aux êtres. Ceci, quand ils sont vrais, 25 bien entendu. Les autres sont desséchants, en fin de compte. Cette nuit-là, j’ai tiré cette question au clair, une fois pour toutes.

Les sujets de la voie technologique

Le commentaire : Texte d’Emmanuel Roblès, « Epilogue »1, Mer libre, 1965.

ou

Résumé et essai au choix :

A. Résumé : Texte d’Arthur Lochmann, La Vie solide – La charpente comme éthique du faire, 2019.

Essai A. Selon vous, l’expérience pratique doit-elle constituer une dimension essentielle d’une bonne éducation ?

B. Résumé : Texte d’Ilaria Gaspari, « Envie : l’oeil et le mauvais oeil », Petit manuel philosophique à l’intention des grands émotifs, 2021.

Essai B : La peinture des défauts humains permet-elle aux hommes de se corriger ?

C. Résumé. Texte de Benoîte Groult, Ainsi soient-elles au XXIe siècle, 2000.

Essai C. En quoi la connaissance des combats passés favorise-t-elle la lutte contre les inégalités ?

Le texte du commentaire de texte voie technologique :

Texte d’Emmanuel Roblès, « Epilogue »1, Mer libre, 1965.

Magellan, célèbre navigateur et explorateur portugais du XVIe siècle, et son équipage ont embarqué à la recherche d’un passage au sud du continent américain. Après une longue errance en mer, les hommes de bord pensent qu’ils ont fait fausse route et souhaitent rentrer en Europe. Mais Magellan décide de poursuivre l’exploration. Lorsque les marins, peu rassurés pour leur vie, demandent à consulter les cartes de navigation, Magellan refuse.

L’équipage se révolte. Magellan, soutenu par son neveu Alvaro, mate cette révolte et organise un tribunal à bord du navire. Il condamne à mort quatre marins pour désobéissance.

ALVARO. – Tant pis pour eux !… Aussi pourquoi s’étaient-ils mis dans l’esprit que vos cartes étaient fausses ?

MAGELLAN, après un silence et avec douceur. – Mais elles sont fausses !

ALVARO, saisi. – Ah !… Puisque vous le dites, Monsieur…

MAGELLAN, même ton. – Je le dis à toi seul, Alvaro, à toi seul !

ALVARO, angoissé. – Mais le passage existe, vous le savez, vous en êtes sûr !

MAGELLAN, calme. – Il « doit » exister !

ALVARO. – Vous n’oubliez pas que vous m’avez incité à demander la tête de ces quatre hommes ! Trois d’entre eux vont mourir ! Seront-ils donc des victimes ?

MAGELLAN. – Oui, Alvaro ! victimes de leur impatience. A forte dose l’impatience est un poison dont on meurt ! La preuve !

ALVARO. – Pourquoi ne pas leur avoir révélé à temps la vérité ? Peut-être aurait-elle apaisé cette impatience ?

MAGELLAN. – La vérité ! Mais ils ne l’auraient pas supportée ! Ils me haïssent trop !

J’encourageais alors leur rébellion et leur livrais des armes !

ALVARO. – Ils étaient inquiets et vous venez de reconnaître, là, tout de suite, qu’ils avaient raison de l’être !

MAGELLAN, que cette émotion agace. – Ils étaient inquiets, dis-tu ? Et moi, alors ? -Penses-tu à ce que j’éprouvais, moi, chaque jour et chaque nuit, depuis ma découverte ? Enfermé dans cette caisse, seul, en tête à tête avec cette conviction : que les cartes ne valaient rien et que je risquais le pire ?

ALVARO. – Oui, je comprends…

1 Epilogue : dernière partie de la pièce, dénouement.

2 Caisse : bateau.

MAGELLAN. – Bon. Toutefois je t’interdis de comprendre que je te fais ces confidences par faiblesse ou parce que j’incline ce soir à m’épancher ! Mais tu t’apitoyais sur leur inquiétude !

Et moi ? Qui pouvait me donner la paix ?

ALVARO. – Je voulais dire que je comprends votre tourment3 à imaginer ce que sera le retour en Espagne et surtout à ce que sera l’accueil du Roi !

MAGELLAN. – Tu délires ! Je n’ai jamais songé au retour ! Ce que je redoutais, c’était cette révolte que je sentais couver ! Je la souhaitais proche, j’aurais voulu la provoquer tant me hantait la crainte d’être surpris ! D’être jeté comme toi à fond de cale4 ! Ramené à Séville dans les chaînes et sous le poids d’accusations infamantes5 ! Non, la révolte ne m’a pas surpris et c’est moi qui la tiens ce soir, la nuque sous mon talon !

ALVARO. – Vous triomphez et rien n’est fait pourtant. Et pour avoir douté de vous, des hommes vont mourir !

MAGELLAN. – Ils ne devaient pas douter ! Et pour cela ils méritent de mourir ! Que valent donc ces hommes s’ils ne sont pas capables d’aller à l’extrême pointe de leur courage et de leur volonté ? Ce monde nous résiste et nous écrase ! A nous de le rendre moins opaque, moins dur à nos mains, moins ennemi ! Vivre c’est défier !

ALVARO, perdu. – Mais qu’allons-nous faire à présent ?

MAGELLAN. – Alvaro, tu le sais bien ! Nous allons attendre ici le printemps puis nous descendrons davantage encore vers le sud, nous recommencerons à fouiller un à un chaque recoin de la côte, sans repos, tant qu’il flottera une planche sous nos pieds, tant qu’il nous restera un carré de voile, un morceau de rame. Nous perdrons tout et jusqu’à notre âme. Nous ne renoncerons jamais.

RIDEAU

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