Akajaklin est un lieu enchanté. C’est Jean-Claude Nelson, président de la Commission Culture de la Région, qui a eu le mot juste en en parlant, à bâtons rompus, avec un journaliste : « émouvant. »
Oui, le lieu créé de toutes pièces par Jacqueline Cachemire et son époux Yves Thôle, dans les Grands Fonds des Abymes (Guadeloupe), est un lieu émouvant.
Imaginez une succession de maisons créoles, tout en bois, s’emboitant les unes dans les autres au gré de la configuration du terrain pentu et de l’imagination fertile de celui qui a tout bâti de ses mains.
C’est ce que raconte Jacqueline Cachemire-Thôle : « Nous habitions dans un immeuble à la Darse de Pointe-à-Pitre, Yves m’a dit Je vais te faire une maison. Je lui ai répondu que j’étais bien là où j’étais. Et puis, il m’a fait visiter cet endroit où il n’y avait rien et voilà ce que c’est devenu. Akajaklin ! Un musée de tout ce que nous avons connu enfants et nos parents avant nous. Yves a posé poutre à poutre, cloison par cloison, le toit… Et nous avons meublé, décoré. »
Deux trésors vivants :
Jacqueline et Yves
C’est vrai que la maison des époux Thôle est un musée. Un musée habité. Habité par ces deux êtres qui se sont voués toute leur vie à la musique au ka et à la danse. Yves Thôle est le seul maître d’art de l’archipel. Il façonne des kas de toute beauté, mais il en joue aussi. Et là aussi, c’est un maître, un maitre ka. Yves Thôle a son atelier dans lequel il forme des successeurs, au pied de la maison qui est juchée sur un morne.
Jacqueline Cachemire, c’est un trésor vivant, celui de la danse : aucune ne lui est étrangère. Et il faut simplement effleurer un ka pour que Jacqueline envoie voler ses escarpins pour, pieds nus, entamer une virevolte inspirée. Combien a-t-elle formé cette jeune fille de jeunes femmes — et de jeunes hommes — aux pas cadencés ? Des centaines. Certaines (et certains) font aujourd’hui sa fierté parce qu’elles (et ils) sont devenu (e) s à leur tout des passeurs de mémoire.
Un musée vivant,
une œuvre d’art
Akajaklin, c’est une maison magique, qui renferme autant de salles d’exposition qu’il y a de pièces. Ici des robes, ici des costumes de carnaval, là des poupées, là encore des lampes à huile, des moulins à café, des verres, des assiettes, des objets de la vie courante dans les cases de nos enfances, et puis des kas, superbes, pièces de collection. C’est l’univers de Jacqueline et Yves, qu’ils ont offert à la Guadeloupe.
Il y a quelques années, invité à une remise de décoration à Jacqueline Cachemire-Thôle, Ary Chalus, président de Région, a été séduit par les deux Guadeloupéens passeurs de mémoire. Et par les lieux. Ceux-ci, cinq ans plus tard, viennent d’être rachetés par la Région pour devenir…
Mais, laissons parler Ary Chalus. « Cette acquisition est le premier jalon pour la création d’un Centre Régional des Musiques et Danses Traditionnelles des îles de Guadeloupe. Un lieu creuset de notre identité voulu comme le symbole de notre vivre ensemble. Il nous permettra de nous retrouver autour de notre culture plurielle et de notre patrimoine commun.
Ce lieu sera la maison de tous les guadeloupéens grâce à la transcendance et à la diversité de nos musiques et de nos danses. Gwoka, biguine, quadrille, viendront rencontrer musique et danse indiennes ou même les chants et danses folkloriques libanaises. »
L’acte fondateur d’une
grande politique culturelle
Ces paroles sont celles d’un discours prononcé ce mercredi 29 décembre, devant un aréopage du monde culturel réuni Akajaklin. Au moment de concrétiser l’achat des lieux par un acte notarié, signé devant cent témoins privilégiés, les invités d’une fête qui est aussi un baptême avant tout, celui d’une grande et belle idée : « Aujourd’hui, nous vivons un acte fondateur de la structuration de cette politique culturelle avec la signature de l’acte de vente de la Maison Thôle, a dit Ary Chalus.
C’est l’un des trois projets structurants que nous portons : nous travaillons également sur la création d’un pôle industriel cinéma et audiovisuel avec le collectif Karibbean Hive au sein du cinéma REX à Pointe-à-Pitre. L’acquisition du bâtiment a été votée et nous finaliserons la vente dans les deux prochains mois.
Le projet de centre d’art contemporain qui sera situé sur le site de Darboussier deviendra un centre de ressources pour nos artistes et répondra au besoin d’un lieu d’exposition dédié à l’art contemporain en Guadeloupe. Le site est en cours d’acquisition également.
Dans les prochains mois, nous allons créer un label afin de développer un réseau de lieux qui permettront de faire vivre l’art contemporain sur l’ensemble de l’archipel. »
« On pawòl ant dé moun séryé,
pawòl sé papyé tenbré ! »
Quand il leur a promis de faire quelque chose de leur maison-musée, parce qu’il ne pouvait pas imaginer qu’ils disparaissent avec eux, un jour — c’était il y a six ans — Ary Chalus a tenu parole. « On pawòl ant dé moun séryé, pawòl sé papyé tenbré ! Restaurer la confiance entre nous Guadeloupéens, est une priorité pour moi. Je tiendrai mes engagements envers les Guadeloupéens afin de construire sereinement et collectivement notre société de demain. Monsieur et Madame Thôle sont les témoins de la force de la parole engagée qui est la mienne. »
André-Jean VIDAL