Entretien. Olivier Nicolas : « La population veut savoir ce que l’on défend et où on l’emmène »

Olivier Nicolas, Premier secrétaire du Parti Socialiste en Guadeloupe, a répondu aux questions de notre rédaction.

Ce gouvernement fait passer des lois fondamentales en force. Est-ce un déni de démocratie ?

Le Gouvernement, mais plus encore le président de la République, se comportent comme s’ils avaient reçu des Français un mandat clair. Emmanuel Macron semble oublier qu’en avril dernier, il a été réélu par défaut. Certes, il est arrivé en tête au premier tour. Mais, sa victoire au second tour, même indiscutable, a été le résultat d’une forte mobilisation d’électeurs qui ont d’abord voulu — et c’est heureux — faire barrage à Marine Le Pen et à l’extrême droite. Comme la plupart des socialistes, je suis l’un de ces électeurs.
Pour autant, je n’ai pas signé de chèque en blanc à Emmanuel Macron pour qu’il puisse appliquer son programme à sa guise. D’ailleurs, au soir de son élection, n’a-t-il pas lui même déclaré  : « A celles et ceux qui ont voté pour moi, non pour soutenir mes idées mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite, votre vote m’oblige. »
Cela était d’autant plus vrai qu’aux législatives qui ont suivi la présidentielle, il n’a pas eu de majorité à l’Assemblée. Et ça ne s’est pas joué à 2 ou 5 sièges près : il lui en manque près d’une cinquantaine ! La Constitution de la Ve République est ainsi faite qu’elle lui donne malgré tout des armes légales pour passer en force. Il les a d’ailleurs presque toutes utilisées en l’espace de quelques semaines. Mais, on ne peut pas déconnecter le recours à ces outils constitutionnels de la situation politique du moment, de l’état de l’opinion publique et des signaux envoyés par les corps intermédiaires. C’est au regard de tout cela que ce passage en force ne passe pas et qu’il est bel et bien ressenti comme un déni de démocratie.

Michel Rocard, socialiste, a utilisé la même méthode…

Le même outil — le 49-3 — mais justement pas la même méthode. J’avais à peine 15 ans, j’étais déjà passionné par la politique et je crois pouvoir dire qu’on ne peut pas comparer. Déjà, en 1988, il ne manquait aux socialistes qu’une quinzaine de sièges pour avoir la majorité absolue. Ensuite, contrairement aux législatives de 2022 où la coalition présidentielle a subi un vrai revers électoral, les socialistes avaient fortement progressé par rapport aux législatives de 1986, mais pas suffisamment. Enfin, et c’est toute la différence : les 28 utilisations du 49-3 ont concerné au total 13 textes dont aucun n’était aussi clivant que cette réforme des retraites avec des millions de Français dans les rues.
Pour mémoire, cela avait concerné des lois de finances dont celle qui portait création de la CSG, la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le changement de statut de la régie Renault ou encore la réforme hospitalière. Et, à l’époque, on louait les qualités d’homme de dialogue de Michel Rocard, bien aidé par son conseiller Guy Carcassonne qui excellait dans l’art de bâtir des majorités comme, par exemple, pour le vote de la loi créant cette avancée sociale que fut le Revenu minimum d’insertion, l’ancêtre du RSA. Rien de comparable, donc, à la situation d’aujourd’hui.

Faut-il régler ce problème de réforme des retraites par un référendum ?

C’est une évidence. Et si le président de la République se rappelait l’esprit de la Constitution de la Ve République, c’est l’une des voies pour trancher une situation de blocage : on donne la parole au peuple. C’est pourquoi les parlementaires socialistes et leurs alliés ont d’ores et déjà travaillé sur un projet de référendum d’initiative partagée (RIP) qui sera déposé dès cette semaine sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale. Il reviendra au Conseil constitutionnel de valider ce recours au RIP.
Si cette validation est obtenue — il faut bien le comprendre — cela suspendra la mise en oeuvre de la réforme le temps de savoir si nous parvenons à faire signer cette proposition de référendum par 4,9 millions de citoyens électeurs. Ce serait une magnifique campagne à mener pour faire comprendre au plus grand nombre combien cette réforme aura un impact désastreux, en particulier chez nous.

« Les socialistes ne sont les supplétifs de personne »

Le PS restera-t-il longtemps un supplétif de LFI ?

Les socialistes ne sont les supplétifs de personne. Nous sommes dans une coalition — la NUPES — qui s’est formée au lendemain d’une élection présidentielle où notre candidate à recueilli 1,77 %. Cette réalité peut encore faire mal, mais elle est incontournable et a pesé lourdement dans le rapport de forces qui a structuré cette coalition. En y participant, les socialistes ont cependant pu clairement réaffirmer leur appartenance à la gauche, tout en conservant un groupe parlementaire où s’exprime notre identité et aucune autre. Dans cette coalition, les écologistes restent écologistes, les communistes restent communistes et les socialistes restent socialistes. Personne n’est devenu « insoumis ». La NUPES c’est aujourd’hui le seul lieu où la gauche se parle, réfléchit et agit ensemble, sans être forcément d’accord sur tout. Mais, nous savons simplement que si nous voulons avoir une chance de revenir aux responsabilités demain, ce sera par un large rassemblement de la gauche et pas autrement. Et sous la responsabilité de notre Premier secrétaire Olivier Faure, qui a fait un choix politique courageux en mai dernier, nous continuons de travailler pour que le Parti socialiste retrouve une place centrale et un rôle moteur dans ce rassemblement.

Pas de vote avec le RN, même pour l’intérêt général. A ce jeu là les macronistes iront au bout de la mandature !

Ce n’est justement pas un jeu mais un principe sur lequel nous ne transigeons pas : l’extrême droite, quels que soient ses atours, est notre adversaire et aucun compromis n’est possible avec elle autour de l’un de ses textes ou de l’une de ses initiatives. Nous sommes habitués à la voir se déguiser et se camoufler dans les institutions pour continuer à se banaliser. Nous ne tombons pas dans ce panneau là, car nous n’oublions jamais que l’extrême-droite est raciste, qu’elle défend la discrimination et la préférence nationale, et qu’elle cultive des amitiés avec les régimes autoritaires comme la Russie ou la Syrie dont nous connaissons suffisamment les dérives. Nous ne gouvernerons jamais ensemble, c’est un fait acquis.

« Les élus et les partis doivent prendre leur risque,
tracer un chemin et le mettre en débat »

Le PS de Guadeloupe semble bien intégré dans les ateliers de parole du samedi. Quelle utilité ?

Nous avons fait le choix de participer aux forums organisés par la Région et le Département, même si nous avons des réserves sur le processus engagé qui ressemble à d’autres exercices du même genre qui ont été conduits après la crise de 2009 (« Les Etats généraux des Outre-mer »), puis en 2010-2011 (« Le projet guadeloupéen de société ») ou encore en 2017 (« Les assises des Outre-mer »). C’est évidemment utile d’écouter la parole citoyenne et c’est aussi une occasion pour nous, dans l’échange, de faire entendre nos analyses et nos propositions sur tel ou tel sujet. Mais, il semble que la démarche de ces forums consiste, pour leurs promoteurs, à attendre une nouvelle fois de la population qu’elle nous dise ce qu’elle veut. Cela ne correspond pas à notre manière de concevoir le rôle du politique. Nous pensons en effet qu’il revient normalement aux élus et aux partis de formuler et de proposer des choix que les citoyens peuvent approuver, ou pas. On a l’impression à travers ces forums que les élus de la région et du département présentent une feuille blanche en demandant aux citoyens de la remplir.
Or, si la page est blanche, c’est quand même un problème pour ceux qui sont en responsabilité depuis des années et qui reconnaissent ainsi ne pas vraiment savoir où ils vont. Et si, au contraire, c’est un exercice de pure forme proposé par des élus qui sauraient déjà où ils veulent aller sans le dire, c’est tout autant un problème. En réalité, ce qui nous frappe c’est plutôt que tout cela révèle une absence de vision à moyen et long terme et de sens.
Dans les forums, notamment sur les questions de développement économique, nous entendons beaucoup de choses contradictoires entre, par exemple, une volonté d’ouverture vers l’extérieur souvent exprimée et des revendications tout aussi claires de protection, voire de fermeture vis vis de la mondialisation et de l’économie de marché. Tout cela ne dessine pas tout à fait le même modèle de société… Comment cela sera-t-il traduit dans le rendu des forums ? Qui décidera que telle ou telle approche est majoritaire ou minoritaire ? Les forums, qui ont eu des participations citoyennes pour le moins inégales, peuvent-ils être à eux seuls représentatifs des aspirations de notre population ? Ce sont autant de questions auxquelles les organisateurs se gardent bien de répondre et qui nous troublent.
A la Fédération socialiste, notre ambition est de réhabiliter la politique et le politique. Mais, nous pensons que cela ne se fera pas en continuant à proclamer des généralités creuses sur l’amour du pays et sur ses grands potentiels. Sur cela, normalement, nous sommes tous d’accord. Cela ne se fera pas non plus en répétant : « mon choix pour la gouvernance de demain sera celui des Guadeloupéens ». Ni en faisant croire que tout est possible en même temps. Les élus et les partis doivent prendre leur risque, tracer un chemin et le mettre en débat. A la population de choisir de suivre ou pas. C’est à cela que devraient servir les campagnes et les élections, et non simplement à choisir une personne ou une équipe plutôt qu’une autre.

« Il ne suffit pas de dire que l’on souhaite telle
ou telle compétence, il faut aussi avoir les idées
claires sur ce que l’on voudra en faire »

Si vous deviez débattre avec le ministre des Outre-mer sur les compétences dont les élus de Guadeloupe devraient s’emparer en vertu de l’expertise du territoire quelles seraient elles ?

Il faudrait déjà que les élus de Guadeloupe se saisissent enfin pleinement, et comme il convient, des compétences qui sont les leurs, et parfois depuis longtemps. La première mission des collectivités c’est de proposer des services publics performants à la population. Or, que l’on regarde l’eau et l’assainissement, les transports ou les déchets, on est quand même loin des standards auxquels nous devrions prétendre. Ce n’est pas de la mauvaise polémique que je fais là, car en réalité tout est lié. Pour justifier de réclamer de nouvelles compétences, aussi bien à l’Etat qu’à la population qui a entre les mains le pouvoir de valider une éventuelle demande d’évolution institutionnelle ou statutaire, il faut avant tout être crédible. Le sommes-nous aujourd’hui ? Parce qu’en effet, il y a plusieurs leviers dont les élus de Guadeloupe devraient disposer pour être davantage responsable des politiques de développement du pays.
Je me permets de rappeler que nous les avions listés de manière assez exhaustives dans une résolution du congrès des élus de décembre 2019 que beaucoup semblent avoir oublié. La compétence sur les règles d’urbanisme et de construction serait tout à fait intéressante, car c’est en partie d’elle dont peut dépendre une politique ambitieuse d’aménagement du territoire. De même, la compétence sur le droit d’établissement des activités économiques sur le territoire serait également stratégique pour faire des choix clairs, notamment en matière de secteurs d’activités à privilégier. Enfin, dans un territoire à chômage de masse comme le nôtre, la question de la préférence locale à l’emploi se pose plus que jamais avec acuité et pourrait mériter à tout le moins une expérimentation limitée dans le temps afin d’évaluer son efficacité sur notre taux de chômage.
Le problème c’est qu’aujourd’hui, face à la défiance qu’expriment les citoyens à l’égard de leurs représentants, ceux qui sont en responsabilité aujourd’hui évitent soigneusement de s’avancer sur toutes ces questions. Car il ne suffit pas de dire que l’on souhaite telle ou telle compétence. Il faut aussi avoir les idées claires sur ce que l’on voudra en faire. On en revient à la vision du territoire à 10, 20 ou 30 ans qui nous paraît faire défaut aujourd’hui. Y compris quand on se contente de dire que l’on souhaite une évolution institutionnelle ou statutaire. Défendre cela ne dit pas grand chose en réalité de la Guadeloupe que l’on veut construire, de son projet de société ou des priorités politiques que l’on s’assigne. C’est probablement aussi l’une des raisons pour lesquelles cette manière d’aborder le débat ne passionne pas nos compatriotes.

« Je souhaite que nos deux sénateurs sortants
— Victorin Lurel et Victoire Jasmin — se représentent »

Les sénatoriales ne sont pas loin. Quelques pistes ?

Le Parti socialiste est un parti avec des statuts et une procédure de désignation selon un calendrier précis qui aboutira d’ici à quelques semaines à former la liste de 5 candidats que nous allons proposer aux grands électeurs. Pour ma part, je souhaite évidemment que nos deux sénateurs sortants — Victorin Lurel et Victoire Jasmin — se représentent. Ils ont fait un travail remarquable pour défendre nos territoires face aux mauvais coups portés par le Gouvernement depuis 2017. Dans une haute assemblée où le parti présidentiel est minoritaire, et même si c’est la droite sénatoriale qui domine, ils ont montré leur capacité à nouer les bons compromis pour améliorer de nombreux textes. Grâce à leur expérience et sans jamais mettre leur drapeau dans leurs poches, ce sont aujourd’hui des sénateurs écoutés et respectés. C’est de ce type d’élus dont la Guadeloupe a besoin à Paris.
Le débat sur la réforme des retraites, qui est en réalité un débat sur la manière de répartir les richesses, l’a bien montré. Les sénateurs ultramarins macronistes — dont hélas Dominique Théophile — ont été inaudibles car incapables de s’opposer au Gouvernement, alors que nous accumulions devant eux les preuves du danger que représente cette réforme dans les Outre-mer. Beaucoup ont voté pour, notre sénateur, lui, a préféré ne pas prendre part au vote, suivant en cela la position peu courageuse de son parti : « ni pour, ni contre ». Or, je crois profondément que la leçon politique de ces dernières semaines, c’est que le « ni droite, ni gauche », le « et droite, et gauche », c’est-à-dire l’essence même du macronisme et d’une certaine forme d’opportunisme politique chez nous, sont des impasses qui participent à la défiance des citoyens envers la politique. La population veut désormais savoir ce que l’on défend et où on l’emmène. Et elle voit aujourd’hui de plus en plus clair dans le jeu de ceux qui, à force de vouloir être partout, finissent par être nulle part.

Propos recueillis par André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com

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