Haïti. L’agriculture en chute libre !

Les problèmes de l’agriculture en Haïti sont plus structurels que conjoncturels.

Représentant la plus grande composante du secteur primaire, la branche agricole accuse, au troisième trimestre de l’année fiscale 2021-2022, un taux de croissance négatif en rythme annuel de 5.2 %, contrairement à la hausse de 2.4 % enregistrée pour la même période en 2021.

En termes cumulatifs, l’indice global de l’Indicateur conjoncturel d’activité économique (ICAE) de l’agriculture, sur les trois trimestres de l’exercice, cette branche a décru de 5.6 %, une situation qui, selon des spécialistes du secteur, traduit encore plus clairement la descente aux enfers du secteur primaire, notamment l’agriculture.

Selon l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IHSI), l’ICAE du secteur agricole pour le troisième trimestre de l’exercice écoulé a enregistré une décroissance en glissement annuel de 5.2 %. Cette évolution négative du trimestre est consécutive à une baisse des deux sous-branches, en l’occurrence la branche agricole et les activités extractives. Tout cela a conduit à une forte variation cumulée négative, d’octobre à juin, de 5.7 %. 

Pour la branche agricole, cette décroissance est sur le point de devenir chronique. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les conditions de vie des ménages pauvres, notamment les ménages ruraux. Plus que l’insécurité, Aldago Dorisca, agroéconomiste et professeur d’économie rurale, explique cette situation par un long processus de destruction continue de la chaine de valeur agricole, tenant compte du poids actuel de l’agriculture dans l’économie du pays.

L’évolution de l’agriculture haïtienne, explique-t-il, est caractérisée pendant ces trente dernières années par un processus de détérioration institutionnelle, entrainant une contraction économique. Elle se traduit, poursuit-il, par le déclin des exportations agricoles ainsi qu’une incapacité croissante à couvrir les besoins alimentaires. Il n’a pas non plus minimisé le poids de la politique de libéralisation de l’économie haïtienne initiée depuis 1987 avec le programme d’ajustement structurel, lequel a été renforcé en 1994.

Cette décision malheureuse, soutient-il, a provoqué la fermeture de nombreuses entreprises de production et renforcé le processus de décapitalisation des entrepreneurs de la chaine de valeur agroalimentaire, l’accroissement du chômage, la baisse des revenus et l’accélération des migrations.

Le plus inquiétant, laisse-t-il entendre, est que rien n’indique que la situation va s’améliorer, car à cette situation déjà difficile s’ajoute aujourd’hui l’insécurité. Ça fait bien des temps, explique-t-il, que l’agriculture n’arrive pas à nourrir la population.

La mauvaise gouvernance du secteur, c’est-à-dire, la non-définition d’une vision claire et cohérente entre les principales parties prenantes du secteur : les décideurs politiques, les cadres techniques et les organisations de producteurs, est aussi à la base de cette situation.

Aussi met-t-il l’accent sur l’absence délibérée d’un audit technique pour évaluer la performance du secteur. Ainsi, au lieu de pointer du doigt l’aspect conjoncturel, le technicien avance des causes plus structurelles pour expliquer la descente aux enfers de l’agriculture haïtienne.

Pour remédier à la situation, en plus d’assurer la sécurité des producteurs sur les routes haïtiennes, selon l’agronome, l’agriculture doit être considérée pour sa multifonctionnalité de pourvoyeur d’aliments mais aussi comme générateur d’activités économiques et sociales largement disséminées dans l’espace haïtien.

Se basant sur les recherches de la Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA), de la Banque mondiale, et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de Fred Dura, entre autres, M. Dorisca expose la situation de ce secteur d’activité et affirme qu’il est inconcevable que le secteur agricole soit autant méprisé par les décideurs.

Dans certaines régions du pays, l’autoconsommation ne représente que 30% de l’approvisionnement alimentaire pour les ménages les plus aisés. L’agronome se montre d’autant plus critique à l’endroit des décideurs en comparant les chiffres des décennies de 1970 et de 1980.

En 1981, fait-il savoir, les importations agroalimentaires participaient à hauteur de 19% dans le bilan alimentaire global et l’offre agroalimentaire nationale couvrait plus de 50 % des besoins alimentaires du pays jusque dans les années 1980. En 2012, se désole l’agronome, la consommation alimentaire de riz est satisfaite à plus de 80% par les importations, les œufs (96%), la viande de volailles (94%) et pour le lait et ses produits dérivés (65%).

En 2022, la situation n’a guère évolué dans le bon sens. Aucune décision pour protéger la production locale. Tandis que les dispositions des accords signés entre l’OMC, les pays moins avancés (PMA) ont la possibilité de fixer un plafond tarifaire élevé pour les produits alimentaires de base, les autorités haïtiennes, poursuit l’agronome, sont donc allées au-delà des règles de ces accords (De La Cruz, 2002), passant ainsi à une « politique de non-protectionnisme » et devenant le pays le plus pauvre et le plus libéral de l’Amérique.

Mais tout n’est pas perdu. On peut encore remédier à cette situation. Pour cela, il faut des politiques publiques adaptées prenant en compte le développement de cette branche d’activité. « Globalement on peut dire qu’il y a une disponibilité d’au moins 214 millions de dollars de la Coopération internationale pour investir dans le secteur agricole-agro-industrie- agroalimentaire dans le pays », affirme M. Dorisca. Cependant, sans une vision claire et une décantation claire entre l’agriculture familiale et l’agriculture d’entreprise, le processus de décapitalisation des exploitations agricoles va continuer et l’ICAE du secteur agricole continuera de chuter.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/239251/les-problemes-de-lagriculture-haitienne-sont-plus-structurels-que-conjoncturels

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