Consensus des élus, volonté partagée par le gouvernement, consultation de la population : chaque intervenant de la matinée de débats organisée par Guy Losbar et son équipe, samedi à la résidence départementale, sur l’évolution institutionnelle dans les sociétés ultramarines a posé le triptyque qui fera passer chaque territoire ultrapériphérique français d’une situation qui est arrivée à son terme à une nouvelle possibilité de développement harmonieux. Des rapports différents avec l’Etat sont souhaités.
Ceux-ci se sont manifestés dans l’Appel de Fort-de-France et les discussions préliminaires avec l’Etat.
Devant des élus, en présentiel ou en visioconfrence, des intervenants ont apporté leur expertise. Intervenants de qualité, experts de la chose politique : Michel Magras, ancien sénateur de Saint-Barthélemy, ancien président de la Délégation sénatoriale aux Outre-mer, Ferdinand Mélin-Soucramanien, Réunionnais, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, président du conseil d’administration de l’Institut national du service public (INSP), président de l’Association des Juristes en Droit de Outre-mer (AJDOM, Antoine Karam, ancien président du Conseil régional de la Guyane, ancien sénateur, signataire de la Déclaration de Basse-Terre (1999), Fred Reno, professeur de sciences politiques à l’Université des Antilles, Julien Mérion, politologue.
Cette initiative, que l’on doit à Guy Losbar, avec le soutien d’Ary Chalus, a permis de faire le point sur les expériences d’évolutions institutionnelles.
« La décentralisation est un modèle d’avenir ! »
ARY CHALUS
Ary Chalus qui a pris la parole au tout début de la matinée — il avait un planning chargé ce samedi — pour rappeler que « réunis en congrès les 26 et 27 juin 2019, nous avions adopté 2 résolutions. A l’unanimité nous nous étions déclarés favorables à l’évolution de la gouvernance locale en vue de permettre l’élaboration de normes à l’échelon local, notamment pour ce qui concerne les politiques publiques de l’emploi, du développement économique, de la fiscalité, de l’urbanisme ainsi que l’adaptation de notre organisation territoriale. Au niveau national, nous assistons à des débats similaires ! Nos interrogations sont nourries par les difficultés actuelles ou plus anciennes de nombreuses collectivités territoriales, tant dans l’hexagone qu’en Outre-mer. »
« Les collectivités territoriales sont unanimes à condamner le réflexe centralisateur qui persiste malgré les réformes et les lois de décentralisations successives, ou encore les transferts de compétences … souvent sans les moyens financiers suffisants. Récemment, les présidents des Régions de France ont réitéré leur plaidoyer pour renforcer la décentralisation. »
Plus tard, dans son discours : « La décentralisation est un modèle d’avenir car elle allie l’identification des besoins réels avec un meilleur ciblage de nos actions et des investissements. Il nous faut rompre avec un système mais aussi avec certaines de nos propres habitudes, qui ont démontré leur incapacité à répondre aux défis de notre pays. Notre liberté nous oblige à agir en responsabilité. Nos majorités, régionale et départementale, tiennent avant tout leur légitimité du peuple guadeloupéen qui, massivement, leur ont donné mandat pour changer d’avenir sur la base d un programme. Mais, au-delà de nos majorités et mêmes si les désaccords existent et c’est légitime dans toute société, nous devons être capables de nous rassembler dès lors qu’il est question de l’avenir de notre pays. C’est d’abord le sens du contrat moral que je prône entre les élus et la population ! »
« Je reste persuadé que les Outre-mer doivent profiter de la révision constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie… »
MICHEL MAGRAS
Michel Magras est intervenu pour donner l’exemple de Saint-Barthélemy, qui a sauté le pas, devenant une collectivité d’Outre-mer, un petit pays autonome et riche après avoir été, jusqu’à la loi organique du 21 février 2007, une de plus petites et éloignées des communes de l’archipel Guadeloupe.
Cette réussite n’a pas été simple. « Depuis 2003, nous pouvons avoir un statut à la carte », rappelait-il. Et après avoir dit les différentes péripéties pour en arriver à cette évolution — accélérée par les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, pas remise en question par François Hollande et Emmanuel Macron — , il soulignait : « Il ne faut pas avoir peur du changement statutaire alors qu’il n’y a jamais eu autant d’action de l’Etat dans les Outre-mer où l’appartenance à la République française ne fait plus débat. »
Le moment semble bien choisi pour manifester cette volonté de changement puisque, disait-il : « Je reste persuadé que les Outre-mer doivent profiter de la révision constitutionnelle sur la Nouvelle-Calédonie pour susciter une nouvelle relation de l’Etat avec les Outre-mer.»
Michel Magras, toujours : « Les régions d’Outre-mer peuvent devenir des pays d’Outre-mer. Il faut obtenir de l’Etat qu’il fasse ce qu’il doit faire pour satisfaire les populations en matière de développement ; que l’Etat remplisse ses obligations ; que la Collectivité prenne la main si l’Etat ne fait pas. Il faut passer de l’égalité à l’adaptation des lois, affirmer la différenciation. »
« Il faut, disait-il encore, saisir cette opportunité », faisant allusion à la révision constitutionnelle, en 2023.
« L’autonomie, c’est la cape rouge ! »
FERDINAND MÉLIN-SOUCRAMANIEN
Ferdinand Mélin-Soucramanien relevait que « ce débat sur l’évolution institutionnelle est traversé constamment par la peur du largage. C’est la cape rouge ! Alors que l’autonomie, c’est simplement une évolution normative. » Il appelait les élus à être très prudents dans le choix des mots utilisés, sous peine de faire peur à des populations craintives…
Que veulent les élus ? « Ces élus veulent, répondait-il, l’amélioration des conditions de vie Outre-mer qui passe par l’amélioration de l’exercice des compétences des collectivités. »
Prenant le relais, Antoine Karam, pouvait donner l’exemple de la Guyane française qui, depuis avant le 1er décembre 1999 et la Déclaration de Basse-Terre signée par lui avec le Martiniquais Alfred Marie-Jeanne et la Guadeloupéenne Lucette Michaux-Chevry, a toujours voulu avancer institutionnellement vers une rationalisation des rapports avec l’Etat.
« On l’a moins retenu, mais en février 2000, il y a eu la Déclaration de Cayenne qui a donné lieu à débats. En 2003, à une voix près, le référendum qui a pu se tenir en Guadeloupe et Martinique ne s’est pas déroulé en Guyane. En 2009, la Guyane avait à choisir entre les articles 73 et 74, elle a répondu Non, la fusion des assemblées départementale et régionale, elle a répondu Oui. En 2017, la rue a pris le relais… et l’évaluation du rattrapage économique et social de la Guyane a été chiffré à plus de 2 milliards. »
Enfin, le 26 mars 2022, après la crise sanitaire qui n’a fait qu’exacerber les irritations, l’unanimité s’est faite dans la classe politique, sous l’impulsion dynamique et résolue de Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale, pour un changement de statut.
« Je suis optimiste »
Antoine Karam
Que recèle la demande d’autonomie de la Guyane ? Antoine Karam répond : « Il faut des mesures spécifiques, un pouvoir normatif autonome, être consulté pour toutes les décisions qui concernent la Guyane et qui relèvent de l’Etat. Ensuite, la loi organique qui contiendra ces nouvelles possibilités de développer la Guyane doit être soumise à une consultation populaire. »
Antoine Karam légitimait cette demande d’autonomie au regard de l’action de l’Etat sur le territoire, Etat qui détient encore 95% du foncier de Guyane, Etat qui ne détient par contre pas les solutions pour le développement de la Guyane, en matière de routes, d’aménagement, d’environnement, d’énergie, de reconnaissance réelle des peuples premiers, comme les Bushinengué, de sécurité — « 10 000 garimperos qui pillent l’or de Guyane mettent en échec l’armée française qui va faire la guerre en Afrique », relevait M. Karam. Solutions que pensent détenir les élus de Guyane.
La Guyane qui ne doit pas oublier qu’elle est un pays amazonien. Antoine Karam invitait à rejeter les termes galvaudés de « métropole » pour parler de la France hexagonale, n’ayant jamais vu, sur des cartes de géographie de pays qui porte ce nom, tout comme « l’Outre-mer », fantasme, piège de la colonisation, puisque pour lui, Guyanais, l’Outre-mer… c’est de l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe, la France.
Il concluait : « Pour réussir l’évolution institutionnelle, il faut trois conditions : la recherche d’un consensus de toutes les forces, ce qui est fait en Guyane, doit être fait ailleurs ; il faut la volonté partagée de ce changement avec le gouvernement ; enfin, il faut une issue favorable de la consultation populaire. »
« Je suis optimiste », lançait-il sous les applaudissements.
Derniers intervenants, Julien Mérion et Fred Réno faisait, le premier un rappel des péripéties de l’évolution du statut de la Guadeloupe, souhaitée avec un « gouvernement local », une « assemblée délibérante locale », depuis avant la Seconde Guerre mondiale, débat qui s’est transformé au fil des décennies, en militantisme pour une autonomie, puis pour une autonomie plus poussée, enfin le désir d’indépendance pour certains. Toutes évolutions qui ont leurs adeptes. Et dont il faudra tenir compte au fil des débats qui s’engagent en attendant 2023 et la révision constitutionnelle.
Ceci étant à mettre en balance, comme le faisait remarquer Fred Réno, avec le réflexe des élus et de la population dès qu’il y a un gros problème, une catastrophe, et Fiona l’a encore démontré… de faire appel à l’Etat et ses représentants locaux comme recours pour régler les problèmes.
Dans sa synthèse des travaux, Guy Losbar indiquait que d’autres débats de ce type vont ponctuer l’actualité de la vie politique au cours des prochains mois.
André-Jean VIDAL