« Je suis venu écouter. Celui qui vient ici dix jours après sa nomination et qui affirme qu’il a la solution, c’est pas un signe d’intelligence, c’est pas un signe de respect. »
Tout Jean-François Carenco est dans ces phrases. Il l’a dit lors de la première réunion officielle, avec les représentants du patronal, ce jeudi matin, « La Guadeloupe ne se réduit pas à ses emmerdements. »
Pourquoi ? Parce qu’on lui a dit, à Paris et en Guadeloupe, on le lui a seriné : les problèmes, ce sont l’eau, les sargasses, l’hôpital. Vraisemblablement, on lui a aussi dit qu’il aurait affaire à forte partie s’il rencontrait les syndicats, notamment ceux du LKP, UGTG en tête. Des « emmerdements » donc.
Mais, cet ancien préfet n’est pas rebuté par mettre les mains dans le cambouis pour voir comment fonctionne le moteur. Son passage en Guadeloupe a forgé un caractère déjà bien trempé.
Alors, après avoir rencontré « beaucoup d’élus » dès sa descente d’avion mercredi, lors d’un dîner hors planning officiel, mais aussi les actionnaires de Corsair, le ministre délégué, chargé des Outre-mer a entamé, ce jeudi, un marathon : rencontre avec Guy Losbar, président du Conseil départemental. Avant son départ de Paris, Jean-François Carenco a eu un entretien assez long avec Ary Chalus, président de la Région Guadeloupe.
Avec Guy Losbar, discussion consensuelle, au terme de laquelle les deux hommes ont convenu que les grands dossiers : l’eau, les sargasses, l’hôpital, ça ne se règlerait pas les uns sans les autres ; il faut l’Etat, la Région, le Département pour travailler en commun et mettre des ressources en commun.
Les deux hommes — avec le président de Région — sont appelés à se revoir rapidement.
Seconde rencontre, avec le patronat, sans trop de difficultés, tout le monde se connaît, c’étaient les mêmes il y a vingt ans quand Jean-François Carenco était préfet de la Région Guadeloupe. De plus, certains l’avaient rencontré la veille, puisqu’ils sont aussi actionnaires de Corsair. Si le ministre n’a pas dit grand-chose de cette rencontre, les patrons ont parlé. L’un d’eux a dit qu’il avait été entendu qu’il fallait que patrons et syndicats se parlent… Sans doute cette bonne pratique a-t-elle été rappelée par Jean-François Carenco qui a été un préfet ferme… mais social.
Ensuite, alors qu’on annonçait qu’ils ne viendraient pas, les syndicats représentatifs, UGTG en tête, sont venus. Discussions — Gaby Clavier, historique de l’UGTG et le ministre l’ont reconnu — musclées, avec de grands éclats de voix… mais un réel respect et en final de compte, parce qu’il s’agissait d’une réunion entre personnes de bonne volonté, le ministre a dit qu’il étudierait les demandes des syndicats et les syndicats ont dit qu’ils attendaient les propositions du ministre. Le dialogue est renoué.
Jean-François Carenco avait dit qu’il n’y aurait pas d’ordre du jour à cette rencontre puisqu’il laissait les syndicats s’exprimer en toute liberté.
A la question posée de savoir comment il a pu obtenir en quelques heures ce que son prédécesseur n’avait pu obtenir, une ouverture de discussion, il a répliqué : « A chacun sa méthode. Celle-ci, c’est la mienne. »
« Nous nous sommes serrés la main… », a dit Jean-François Carenco qui n’a pas souhaité, lors du point presse en fin de séjour, en dire plus. « Je n’ai pas l’habitude d’aller répéter des conversations qui se tiennent ainsi. Maintenant, je vais rentrer à Paris avec plein de petites notes, de feuilles remplies, et c’est à moi de voir comment on peut sortir de cette situation maintenant qu’un dialogue est renoué. »
Avec les filières économiques, BTP, canne, pêche, tourisme, reçues après un déjeuner avec le monde de la culture — « J’ai eu beaucoup de plaisir à converser avec mon amie Simone Schwarz-Bart ! La culture c’est important. » — une rencontre calme, chacun ayant dit ses problèmes, le ministre assurant qu’il y était sensible, le préfet Alexandre Rochatte, comme c’est de règle, faisant remonter les informations, les solutions envisagées pour chaque secteur en crise, à charge pour le ministre délégué, son ministre de tutelle, la Première ministre et le gouvernement d’agir.
Enfin, dernière rencontre, celle de l’Observatoire des prix, des marges… Ecoutons Jean-François Carenco : « Le problème, ce n’est pas l’inflation, qui est somme toute faible, 4, 4,5%. Moi qui suis vieux, j’ai connu 17%. Le problème c’est celui du chômage, des bas salaires, de la précarité, de la pauvreté en Guadeloupe. »
Le fameux panier des produits du bouclier qualité prix (BQP), limité à 153 produits devrait, selon lui, passer à 1 000. « Le panier, ça ne marche pas vraiment. Il faut revoir tout ça. Le préfet a reçu une note à ce sujet, que j’ai faite avec le ministre Darmanin, avant mon départ de Paris, avec pour consigne d’associer à l’Observatoire des associations de consommateurs. »
Quand on lui demande quand les premières mesures pour soulager les Guadeloupéens face à la hausse des prix de l’essence, de certains produits alimentaires, etc. seront prises, le ministre lance : « En septembre ! D’ici là, ici et à Paris, nous allons travailler sur le sujet. »
Jean-François Carenco, avant son départ, et il ne s’en est pas caché, a reçu « un ami ». C’était Louis Théodore, dit Camarade Jean, personnalité du monde agricole, partisan d’une très (très) large autonomie de la Guadeloupe, militant indépendantiste. Un patriote guadeloupéen qui force le respect. Y compris rue Oudinot, siège du ministère des Outre-mer.
« La Guadeloupe ne se réduit pas à ses emmerdements », c’est vrai. Le ministre part avec le sentiment — et il souhaite « que ceux qui ont dit des choses ne reviennent pas sur ce qu’ils ont dit » — maintenant que le grand chantier du changement est ouvert et que les volontés sont là, que, demain, la Guadeloupe changera… en mieux.
André-Jean VIDAL