Instructrice, référent et animatrice de l’atelier Fresque du Climat Martinique*, Martine Lheureux évoque son engagement personnel en tant que femme, maman, être humain, tout simplement.
Un engagement tel que le vôtre n’est pas anodin. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous engager pour la cause du climat ?
Martine Lheureux : J’ai eu le bonheur de mettre au monde mon petit garçon, il y a 7 ans et demi, et, à partir de là, j’ai commencé à regarder le monde autrement. Professionnellement, j’ai amorcé un ralentissement : j’étais à 3 000 pour cent. J’ai écouté, lu, appris. J’ai commencé à manger mieux, à me rapprocher de la nature qui, selon moi, m’avait tant manqué. Cela m’a fait un bien fou.
Au fil des lectures et des écoutes, j’ai découvert l’ingénieur français et enseignant Jean-Marc Jancovici, connu pour ses conférences de sensibilisation et de vulgarisation sur le réchauffement climatique et l’énergie. J’ai alors compris à quel point notre modèle économique impactait profondément l’environnement. J’ai compris les ordres de grandeur, en matière de géologie, par exemple, en termes de climat surtout.
D’où votre adhésion à la Fresque du climat ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
C’est à partir de ce moment, effectivement, que j’ai découvert la Fresque du climat. J’ai lu, appris, progressé encore, et j’ai compris les limites planétaires. J’ai également beaucoup lu sur l’écologie décoloniale, analyse essentielle pour saisir à quel point les modèles d’extractivismes et les modèles post ou néo coloniaux sont imbriqués. Toutes ces connaissances m’ont appris à avoir un impact personnel et familial de moins en moins fort en matière de consommation. Ensuite, j’ai eu envie de partager et la Fresque du climat permet le partage des connaissances. Elle permet un partage enrichissant pour le groupe et pour soi-même qui invite de plus en plus à participer à des activités bénévoles qui s’inscrivent dans le sens de la protection du climat.
Enfin, à titre professionnel, j’ai aussi voulu pondérer mon impact. En arrêtant, par exemple, le conseil, l’accompagnement d’entreprises polluantes pour gagner plus d’argent en continuant à exercer une pression sur son environnement. C’était un vrai challenge et un vrai tournant professionnel. Il s’agissait de réorienter clairement mon activité professionnelle, de sensibiliser toutes les entreprises, collectivités, organisations… jusqu’à accompagner vers une stratégie bas carbone. Mais aussi, une stratégie plus respectueuse du vivant dont nous faisons intégralement partie.
Est-ce une expérience singulière qui fait de vous une militante ?
Je suis passionnée. J’aime passer l’information : arriver à parler d’un sujet complexe comme le climat en tentant de le rendre accessible pour le plus grand nombre. La société, en général, est inscrite dans un fort déni. Or, l’impact de nos gestes quotidiens modifie clairement déjà nos vies, personnelles et/ou professionnelles. Je pense que plus nombreux seront ceux qui comprendront l’urgence du climat, et mieux nous réussirons, ensemble, à amorcer des modifications vers l’adaptation. En clair, mieux on s’engagera dans des actions ou dans des actes de renoncements individuels ou collectifs, parce qu’on aura compris qu’ils peuvent être bénéfiques.
En Martinique, comment jugez-vous le niveau d’information du grand public autour des questions liées au climat ?
Je fais beaucoup de stands, et franchement, 9 personnes sur 10 ne savent pas ce qu’est le dérèglement climatique, 7 sur 10 ne savent pas ce que sont les énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon) ou que notre électricité est produite au pétrole. Peu de personnes savent ce que sont les gaz à effet de serre.
Selon vous, cette situation est dramatique ?
Oui, certainement. On voit aussi qu’après 15 minutes de sensibilisation seulement, ces mêmes personnes commencent à toucher du doigt quelques questions essentielles. Après un atelier de 3 heures, la majorité de ces personnes se sent éveillée à ces questions, même si c’est souvent dans la colère et dans la peur.
Après une journée de sensibilisation, avec en plus une explication des ordres de grandeur, de quelques limites planétaires, le concept d’écologie décoloniale et la situation économique en Martinique liés à la préservation de l’environnement, beaucoup comprennent les bons ordres d’action : passer à 10 % d’import au lieu de 90 %, arrêter les monocultures, limiter les voitures individuelles sur une période par semaine, privilégier le covoiturage, arrêter la production de vêtements, stopper l’artificialisation des sols, arrêter la construction de neuf ou encore reconsidérer le modèle touristique.
Quelles sont les menaces qui pèsent directement sur la Martinique ?
Montée des eaux, érosion des plages, plus de chaleur, des pluies plus intenses, possibilité de cyclones majeurs. Il y a aussi les vagues de submersion, le risque de manque d’eau, avec des carêmes plus chauds, l’impact sur les cultures et les impacts économiques directs et indirects sur nos organisations et nos vies.
Qu’apporte La fresque du climat au reste du débat ?
La Fresque du climat est un atelier d’intelligence collective, interactif, où chacun participe. Il permet ainsi de comprendre les causes et conséquences du dérèglement climatique, l’urgence climatique, et l’action, comme le renoncement d’ailleurs ! Cet atelier permet, comme le disent les participants, de « prendre conscience », « de s’engager dans l’action ».
Nous complétons souvent cet atelier par une sensibilisation aux limites planétaires, à l’écologie décoloniale, aux ordres de grandeur, et poussons à créer un récit martiniquais, caribéen, notamment à travers la Fresque de la Renaissance Ecologique.
Quel accueil est réservé à vos actions en Martinique ?
Il est parfois difficile de convaincre de donner 3 heures de son temps pour le climat. Mais toutes les personnes qui participent ressortent ravies. De plus en plus de collectivités veulent organiser des ateliers pour poser cette première brique de la sensibilisation. Les entreprises privées également commencent à s’y intéresser. Certaines, par obligation, d’autres parce que cela donne une bonne image pour leur Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), d’autres encore, parce que le dirigeant ou autre est très motivé à sensibiliser ses employés ou ses collègues, et, bien plus rarement, parce qu’ils savent qu’ils doivent s’adapter et baisser réellement leurs émissions. Au niveau du grand public, c’est plus difficile, il faut des fois convaincre au cas par cas pour remplir un atelier. Les principaux médias ne parlent que très peu des grandes questions sur le climat.
Comment convaincre ?
Il est primordial de comprendre les phénomènes physiques. Savoir que nous sommes sur une planète aux ressources limitées. Que nous sommes partie intégrante du vivant. Il faut aussi concevoir qu’une fois passé le choc des réalités du climat, on s’engage naturellement, des fois par petits pas, des fois par des plus grands pas. Et cela rend heureux, permet de mieux percevoir une autre réalité de la vie, de reprendre contact avec la nature, par exemple, avec le vivant plus généralement, de remettre les mains dans la terre, d’apprendre à prendre le temps de s’écouter de nouveau et d’écouter la nature autour de soi, puis de rencontrer des personnes à différents niveaux d’engagement, d’apprendre de chacune, de chacun.
Propos recueillis par Rodolf Etienne
*La Fresque du climat est un atelier scientifique, collaboratif et créatif conçu pour sensibiliser, de façon ludique, aux réalités du changement climatique.
En pratique…
L’atelier Fresque du climat dure 3 heures et se déroule en 3 phases :
- Manipulation de cartes, la compréhension de l’enchaînement des causes à conséquences, l’enchainement de la systémie du climat et les conséquences sur les effets météos extrêmes et sur le vivant.
- Partie créative qui permet un premier jet des émotions et ressentis sur le papier. Les premières discussions naissent pour trouver un titre à la fresque.
- Tour d’horizon qui ouvre les débats.