Crash de Deshaies. Attentat ou accident ?

Ce 22 juin, cela fait 60 ans qu’une tragédie aérienne a endeuillé la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane. Le matin du 22 juin 1962, le Boeing 707 Château de Chantilly a percuté de plein fouet la montagne au-dessus de la commune de Deshaies, en Guadeloupe. 113 morts. L’enquête du Bureau accident de l’Aviation civile n’a jamais été rendue publique avant 2012.

PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL

Sur les hauteurs de Deshaies, une route de montagne, dénommée route du Boeing, pénètre dans la forêt. Après quelques lacets pentus, une légère plateforme terreuse et des monuments épars. Sur l’un d’eux, il y a une longue liste de noms : ceux des 113 victimes d’un drame épouvantable qui a choqué aux Antilles et en Guyane.

Le 22 juin 1962, alors que le jour se lève, un drame effroyable se produit sur les hauteurs de Deshaies : le Boeing 707, Château de Chantilly, de la Compagnie Air France, qui devait atterrir à Pointe-à-Pitre, finit sa course à 4 heures précises sur les flancs de Caféière provoquant la mort de 113 personnes. La rumeur dira qu’un passager est descendu à l’escale aux Açores… Que d’autres ont été prévenus et qu’ils n’ont pas pris ce vol. Entre autres, Aimé Césaire, poète, homme politique…

Pour la plupart, ces victimes sont des étudiants revenant au pays après une année d’étude, mais aussi des originaires d’Amérique du Sud. Le vol Air France 117 était un vol reliant Paris à Santiago (Chili) via Lisbonne (Portugal), Santa Maria (Açores), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Bogota (Colombie) et Lima (Pérou).

Il y avait aussi des fonctionnaires en congés. Et aussi deux personnalités politiques qui n’étaient pas en odeur de sainteté à Paris.

ECRASÉ CONTRE LA MONTAGNE

Ce 22 juin 1962, c’est la stupeur en écoutant la radio aux informations de 7 heures (la nouvelle a mis trois heures pour être rendue publique). Les familles savent bien qu’Untel rentrait au pays par cet avion. Parfois, et la liste des passagers en atteste, il y a deux, trois ou quatre noms identiques… des familles entières décimées.

Les secours s’organisent. Il faut accéder au site. Il n’y avait pas encore de chemin, encore moins de route. Déjà, des Deshaisiens ont pris la piste, grimpent dans la montagne. Ils s’attendent à retrouver au moins quelques blessés. Ils ne ramasseront que des morts, sur plusieurs milliers de mètres carrés autour d’une carcasse fumante écrasée contre la montagne.

Des chapelles ardentes sont ouvertes à Pointe-à-Pitre, à Deshaies, aux Abymes. Les convois de cercueils avancent de nuit et de jour à travers la Guadeloupe, de Deshaies à Pointe-à-Pitre. Il faut identifier les corps, parfois mutilés. Les familles défilent devant les cercueils ouverts… dans une odeur de mort.

Les victimes sont identifiées. Parmi celles-ci, on note la présence de personnalités politiques qui remettaient en cause l’administration des outre-mer. On les appelait autonomistes. Aujourd’hui, on dirait nationalistes ou indépendantistes. Des personnalités surveillées par les officines du pouvoir gaulliste. A Paris et en Guadeloupe, ou en Guyane… en Martinique aussi. Car chaque région aura son martyr politique.

MORT, MORT, MORT…

Mort Albert Béville, Guadeloupéen, un des leaders, avec l’écrivain du Tout-Monde Edouard Glissant et l’avocat Marcel Manville, du Front des Antillais et Guyanais pour l’Autonomie. Ce Front qui avait tenu son congrès en avril 1961 à Paris et avait été dissous 2 mois plus tard par le Gouvernement.

Mort Justin Catayée, député de la Guyane, qui est intervenu à plusieurs reprises à l’Assemblée nationale pour soulever la question du statut de ce territoire et qui rentrait au pays soutenir un mouvement de révolte de la population, ceci après une déclaration mémorable à l’Assemblée Nationale dont les minutes font état et qui sont consultables facilement.

Mort Roger Tropos. Martiniquais, âgé de 24 ans, licencié en sciences physiques, il était, aux dires d’Édouard Glissant, un actif militant du mouvement étudiant, créateur et président de l’Association Générale des Etudiants Martiniquais (AGEM) de Caen.

Rapidement, leurs amis mettent en doute la thèse avancée par les observateurs d’un simple accident. Tandis que Justin Catayée est adulé, célébré en Guyane, le Guadeloupéen Albert Béville tombe dans l’oubli jusqu’à ce que Ronald Selbonne, écrivain de Guadeloupe, le ressuscite dans un ouvrage de référence. Roger Tropos est aujourd’hui oublié. Sauf de sa famille, quelques amis, qui se souviennent quel garçon prometteur il était.

ACCIDENT OU ATTENTAT ?

Le doute dure encore. Attentat, accident ? Accident, attentat ? Qui avait intérêt à éliminer ces trois militants ? Au risque d’une centaine de morts supplémentaires. Si Roger Tropos était un simple maillon des mouvements autonomistes il n’en était pas de même pour Béville et Catayée. Le premier avait été haut fonctionnaire de l’Afrique française, inspecteur général de l’administration en rupture de ban, rétrogradé pour le punir d’avoir soutenu les indépendances africaines, interdit de séjour en Guadeloupe ! Le second était député de la Guyane et enflammait l’Assemble nationale en demandant l’émancipation de ce territoire. Qu’ils prennent le même avion, alors que Béville était interdit de voyager… voici qui est surprenant.
D’autant qu’on soupçonne les deux hommes d’avoir, clandestinement, ressuscité le Front des Antillais et Guyanais pour l’Autonomie. D’autant, et c’est René Bélénus qui en atteste, Aimé Césaire le lui a dit, qu’avec les deux premiers ils se sont rencontrés au bar d’Orly, peu avant le départ de l’avion que devait aussi prendre le maire de Fort-de-France… et que Césaire a reculé, dit aux deux autres de ne pas partir et, devant leur détermination… il est rentré chez lui. Quelques heures plus tard il a eu la terrible confirmation que sa sinistre prémonition s’était réalisée. Or, Aimé Césaire était le troisième chef du Front honni par le gouvernement français. 

Deux thèses vont alors s’affronter sous les regards attentifs du Gouvernement. Il y a d’abord celle des experts, qui vont remettre en cause les pilotes de l’avion mais aussi les installations techniques de l’aéroport de Pointe-à-Pitre-Le Raizet. De ce rapport rien ou presque ne filtrera pendant 50 ans, le Gouvernement ayant ordonné qu’il soit classé. Victorin Lurel le fera déclassifier en 2012. D’autres diront que c’est Christiane Taubira.

René Bélénus, l’historien guadeloupéen, aura copie de ce rapport, mais aussi des rapports intermédiaires de l’inspecteur général Bonte, qui dirigeait l’enquête en 1962.

Entretemps, moins de quinze jours après le drame, la préfecture fait venir un bulldozer sur place, qui recouvre la carcasse de l’avion de centaines de mètres cubes de terre.

UNE COMMISSION POUR RIEN

En 2016, une commission est créée pour déterminer le rôle des uns et des autres dans certains événements de ces soixante dernières années : des émeutes en Martinique (1959) et en Guyane (1962), une tuerie en Guadeloupe (1967) et le crash de Deshaies aux implications politiques.

« Dans quelles circonstances s’est écrasé en Guadeloupe, au lieu-dit Dos-d’Âne dans la commune de Deshaies, à 25 km de l’aéroport du Raizet, le 22 juin 1962 à 8h01 (TU), le Boeing 707-328 (F-BHST) de la compagnie nationale Air France, qui effectuait le vol régulier Paris/Santiago-du-Chili, à bord duquel se trouvaient dix membres d’équipage et 103 passagers (des personnes originaires de métropole, des Antilles, de la Guyane, ainsi que des Sud-Américains), dont trois hommes politiques militant en faveur de l’autonomie de la Guyane et des Antilles françaises, notamment, le député de la Guyane, Justin Catayée et Albert Béville, l’un des fondateurs du « Front des Antillais et des Guyanais pour l’autonomie ? »

C’est la question posée à la commission Stora. Celle-ci va lire les documents disponibles, déclassifiés sans difficultés — sauf quelques papiers… puis dire son sentiment que le gouvernement a fait une erreur en voulant protéger les conditions du vol et les conditions d’atterrissage à l’aéroport de Pointe-à-Pitre — pilote expérimenté mais qui n’avait plus atterri à Pointe-à-Pitre depuis plus d’un an, système de navigation défectueux, signalé à l’escale au Portugal, système d’approche de la piste (VOR) en panne, réparé, retombé en panne au bout de quelques minutes… — et pour cela demandé qu’on ne publie pas le rapport du Bureau Enquête et Accidents de l’Aviation civile (BEA). En cachant le rapport on a fait naître plus de soupçons encore. Ce que dit la Commission Stora qui balaie toute autre explication.

La Commission Stora ne résoudra pas l’énigme, qui concluera : « Au vu des sources croisées consultées, le travail de recherche conduit dans le cadre de la commission d’information et de recherche historique a débouché sur la mise au jour de la situation complexe dans laquelle survient l’accident du Boeing 707 d’Air France, le 22 juin 1962, dans la région de Deshaies en Guadeloupe. »
L’accident. Tout est dit. Et rien n’est dit.

Commémorations des 60 ans

– 22 juin 2022 : Deshaies

9 heures : Hommage aux victimes à Caféière
16 heures : Conférence et présentation du livre à Deshaies

– 23 juin 022 : Basse-Terre

15 heures : Dépôt de gerbe (tombe Albert Béville et des autres victimes)
17 heures : Présentation et dédicace du livre à Basse-Terre

– 24 juin 2022 : pointe-à-Pitre

16 h 30 : Dépôt de gerbe au cimetière
18 heures : Présentation et dédicace du livre à Pointe-à-Pitre

– 29 juin 2022 : Cayenne Conférence de presse

– 30 juin 2022 : Cayenne

10 heures : Dépôt de gerbe sur le buste et la tombe de Justin Catayée o 18H Conférence à Cayenne

– 1er juillet 2022 : Cayenne

Présentation du livre

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