Le départ de nombreux médecins et l’absentéisme des soignants, lié à l’obligation vaccinale ou à la contamination à la Covid-19 « rend la continuité des soins compliquée », selon Stéphane Berniac, directeur général adjoint du CHU de Martinique. L’hécatombe du mois d’août a aussi laissé des traces au sein des équipes toujours à l’oeuvre.
Deux ans après son apparition, l’épidémie de Covid-19 et les pics de contaminations sont-ils gérés avec plus de fluidité ?
Oui, deux ans après, nous avons le recul des 5 vagues Covid que nous avons vécues au CHU de la Martinique. Aujourd’hui et depuis la dernière vague, on s’est adapté à l’évolution de la maladie et au virus. Contrairement au variant Delta qui a décimé les patients que nous accueillis au mois de juillet et août 2021, le variant Omicron est moins agressif. Il ne génère pas de détresse respiratoire aigüe nécessitant une hospitalisation en réanimation, mais plutôt des hospitalisations en médecine avec un nombre de passages importants de patients qui décompensent de leur pathologie respiratoire ou d’autres pathologies qu’ils pouvaient avoir antérieurement.
Un variant moins virulent, mais un taux d’absentéisme qui entrave le bon fonctionnement des services ?
Oui. Nous avons un absentéisme important lié à des cas de Covid positifs dans nos services, mais aussi en lien avec l’obligation vaccinale, depuis les tensions sociales du mois de novembre 2021. Une situation qui nous met en difficulté : l’absentéisme a doublé, ce qui rend la continuité des soins compliquée.
Comment le CHUM compense-t-il ces absences ?
Nous avons toujours depuis août 2021, la présence des renforts de la réserve sanitaire. Nous avons des arrivées régulières d’infirmiers. Fort heureusement, nous avons ce soutien continu depuis le mois d’août, sans lequel nous aurions été obligés de fermer encore plus de lits par défaut de personnel médical. Nous avons eu beaucoup de départs de médecins en plus de l’absentéisme des soignants.
Les autres pathologies peuvent-elles être prises en charge ?
Depuis le début de la crise sanitaire, nous avons toujours priorisé les Urgences et dans la mesure du possible, les filières cancérologiques, parce que ce sont celles où on a assez rapidement des pertes de chances. Sur les autres services, avec des patients programmés qui attendent soit une ablation, une prothèse de genou ou d’autres interventions, les délais s’allongent. Clairement, il y a une « crise du non-Covid ». Nous enregistrons une baisse de 20 à 30 % de notre activité chirurgicale parce qu’entre deux vagues Covid, nous n’avons pas suffisamment de temps de rattraper toutes les déprogrammations. Nous en avons tiré des enseignements, mais nous peinons à rebondir parce que les délais sont réduits entre les vagues et les ressources médicales ne sont pas légion. Nous manquons d’anesthésistes en nombre suffisant pour maintenir les Urgences, la cancérologie et rattraper toutes les interventions déprogrammées.
La contamination, qui remonte depuis la mi-mars, a-t-elle une incidence sur votre activité ?
Nous sommes entrés dans la 5e vague en janvier avec une progression du nombre de cas, puis une baisse en février et les contaminations remontent depuis la mi-mars. L’impact que nous avons pour l’instant est observé au niveau des professionnels de santé positifs à la Covid et qui s’absentent. Cette situation nous met en grande difficulté pour boucler les plannings et assurer la continuité médicale.
Du côté des patients, nous sommes toujours sur un volume de 10 à 12 patients Covid quotidiennement, aux Urgences. Le tiers, voire la moitié, d’entre eux retournent à leur domicile, les autres sont hospitalisés. Nous n’avons pas pour l’instant, une accélération du nombre de cas positifs à hospitaliser. Mais, nous restons extrêmement vigilants.
Le CHU de Martinique a connu une période difficile où les tensions sociales se sont ajoutées à la gestion de la crise sanitaire. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Les équipes restent profondément marquées, notamment par ce qui s’est passé lors de la 4e vague. Nous avons enregistré une hécatombe qui a touché profondément chacun des soignants présents dans les services Covid. Il y a un sentiment d’impuissance face à des patients qui étaient en situation de détresse respiratoire aiguë et au nombre de décès. Les agents étaient en stress post-traumatique. Là-dessus, sont venues s’ajouter les tensions sociales autour de l’obligation vaccinale. Il y avait vraiment un profond malaise en décembre et janvier, les agents étaient abattus. Sur le front social, nous avons eu un répit assez précaire. Notre souhait, c’est vraiment d’apaiser les relations et de repartir sur les projets, le développement de nos activités. Notre territoire est le dernier de France pour le recours aux soins, en termes d’hospitalisations. Soit les patients arrivent trop tard, soit ils ont des difficultés à accéder à un généraliste ou un spécialiste pour réaliser les diagnostics. Le CHU de Martinique a une carte à jouer. Mais, pour cela, il faut qu’il fonctionne correctement.
Propos recueillis par Cécilia Larney