Patrick Vial-Collet est chef d’entreprise dans le secteur touristique et d’autres secteurs de la vie économique en Guadeloupe. Il est aussi président renouvelé de la Chambre de commerce territoriale. Il a son franc parler : la crise sociale est plus simplement, dit-il, une crise insurrectionelle et pas question de négocier avec le collectif* sur la base de revendications sanitaires ou judiciaires… pour lesquelles, dit-il, les entrepreneurs ne sont pas compétents.
Nous sommes en décembre, normalement en plein rush touristique pour l’archipel. Avez-vous une tendance des réservations ?
Jusqu’au 27 décembre, la Guadeloupe a perdu plus de 50% de son activité par rapport à d’habitude. Et on va dire qu’à partir du 26, 27 décembre jusqu’au 3 ou 4 janvier, je crois que la Guadeloupe va faire le plein pour ce qui est des infrastructures touristiques, ce qui veut dire que, globalement, on n’aura travaillé que 5 jours en décembre. C’est ce qui fait un chiffre d’affaires plutôt proche de la moitié de ce qu’il aurait dû être pour une même période, c’est-à-dire pour le mois de décembre, ce qui correspond d’ailleurs à peu près à ce qu’il se passe depuis le début de la Covid.
Depuis mars 2020, on peut considérer que le chiffre d’affaires de l’industrie touristique est entre 40 à 50% de ce qu’il était dans des années normales. En gros, au lieu de faire un milliard de chiffre d’affaires pour l’ensemble du secteur, on fait entre 400 et 500 millions d’euros. Ce qui fait que, sur 2 ans, il va manquer un milliard d’euros. De d’argent frais qui avait l’habitude de rentrer au pays et qui était dépensé dans tous les secteurs confondus, que ce soit le commerce, l’industrie, la maison, la téléphonie, peu importe, mais pour tous ceux qui, finalement, ont fait de cette manne touristique leur quotidien.
Peut-on craindre une 5e vague prochainement et une saison touristique compromise ?
J’ai pour diagnostic ou pour prévision la chose suivante : la première année de la Covid c’est arrivé en mars. La 2e année de la Covid, c’est à dire en 2021, c’est arrivé en février. La 3e année de la Covid, je pense que ça va arriver en janvier. Alors, plus on démarre tôt dans la saison, plus l’impact est fort. En réalité, la première saison Covid, qui était en mars, si on l’avait eue en avril, on aurait pu dire qu’on aurait sauvé la saison. La saison touristique, je le rappelle, c’est de novembre à avril. La deuxième année Covid, qui est 2021, ça nous a pris en février et là la troisième en janvier, donc la troisième année Covid sera la plus dure pour la saison touristique.
On vous reproche souvent de faire le forcing à chaque embellie pour faire rouvrir les frontières aériennes, de faire du lobbying. Que répondez-vous quand on soutient que c’est cet afflux de touristes qui apporte la pandémie ?
Je ne fais le forcing sur rien du tout. Je pense que le gouvernement n’a pas besoin de nos éclairages pour prendre les dispositions de freinage. Et qui sont d’autant plus fortes que nous avons peu de vaccinés en Guadeloupe. Concernant les touristes, je note ceci : c’est que les touristes viennent souvent à deux. Il y a très peu de tribus, de familles, surtout à cette époque de Noël. En réalité, ils ne viennent ni pour fêter des mariages, des fêtes et vous admettrez que les mariages et les fêtes se font plutôt entre nos compatriotes, c’est à dire nous-mêmes, vous et moi, et qu’au final, c’est là qu’il y a les plus gros clusters. Et d’ailleurs, ça devrait interpeller tout le monde. J’ai quand même ce sentiment qu’on n’a retrouvé personne de nos touristes à l’hôpital avec la Covid. Donc si on avait besoin d’une illustration, c’est celle-ci.
Les deux dernières saisons ont été fortement impactés par la pandémie. Chef d’entreprise hôtelière, comment avez-vous affronté cette difficulté ?
On compte sur les PGE (NDLR : Prêt garanti par l’Etat), ce qui veut dire qu’on emprunte nos recettes; c’est quelque chose de dramatique. L’emprunt, je le rappelle, c’est fait pour financer un investissement qui génère du chiffre d’affaires. Là, on emprunte carrément le chiffre d’affaires pour survivre. Il faudra le rembourser, ce qui veut dire qu’en gros on est en train, tout simplement, d’aggraver nos situations. Deuxièmement, ça crée des pertes et les pertes ont pour conséquence finalement de diminuer nos fonds propres, qui maintenant commencent à être négatifs. Je rappelle qu’une entreprise qui a des fonds propres négatifs normalement doit décider de la poursuite de son activité avec engagement de les reconstituer ou, à défaut, d’aller au tribunal de commerce pour se mettre en redressement judiciaire. Enfin, on a l’activité partielle qui, finalement nous permet de diminuer nos coûts de fonctionnement. En ce qui concerne les salaires, en fait, on a les fonds de solidarité qui compensent une partie des pertes, mais, en fait, on est très loin de compenser les pertes et, au bout de la troisième année, moi ce que je crains — et je l’avais dit dès la première année —, c’est l’effondrement de notre économie et alors là personne ne survivra, c’est à dire que, globalement, vous aurez une crise économique, une déflation liée au fait que nous avons moins de dépenses. Je rappelle aussi que lorsque j’avais dit la première année que nous avions de l’épargne, c’était simplement que l’on a démontré qu’au final, lorsqu’on n’a pas de dépenses dans les entreprises, comme rien ne se perd, rien ne se crée… C’est tout simplement le fait que les gens épargnent, ce qui veut dire que ce que nous ne faisons pas comme chiffre d’affaires avec la clientèle, la plupart du temps, sauf à dépenser sur les sites Internet, se retrouve sur le compte de ceux qui ont épargné, c’est mécanique. On peut espérer qu’ils dépenseront un petit peu plus par la suite, c’est la seule chose qu’on peut se dire pour tenter de se rassurer.
La crise sociale qui est venue en début de saison touristique, s’ajoute à la crise sanitaire. A-t-elle fortement impacté votre activité ? Dans quelle proportion ? Que faut-il en conclure ?
Crise sociale, je n’aime pas ce terme. J’ai toujours dit que c’était une crise insurrectionnelle. Oui, tout simplement. On a bloqué les routes, empêchant nos salariés et nos clients de venir dans des entreprises qui étaient ouvertes. Ce qui a posé un double problème, c’est que les entreprises étaient ouvertes et les salariés venaient travailler. Il fallait non les payer mais pour autant nous n’avions pas de chiffre d’affaires parce que pas de client. Donc toutes les entreprises, industrie, services, commerce, quelles qu’elles soient, ont souffert énormément de cette crise.
Alors, on peut se poser la question de ceux qui défendaient quoi, qui, à travers cette crise ! Ils disaient qu’ils voulaient sauver notre jeunesse en créant des emplois. Moi, je n’ai jamais vu une économie bloquée qui crée des emplois : les emplois des jeunes, c’est dans le secteur privé. Je ne crois plus à l’emploi public. On entend désormais dire qu’on va limiter l’emploi public. Donc, c’est dans les entreprises privées qu’il faudra chercher des emplois. Et comme les entreprises privées ont énormément souffert de ces barrages, de cette insurrection, ça veut dire que ce mouvement a détruit des emplois et n’a aucune chance de doper la création d’emplois.
S’il y a des négociations, si vous êtes invité comme le demandent les élus, vous y allez ?
Bien sûr que non ! Je réponds fermement que je ne vois pas comment je vais négocier avec ceux qui sont là. Je rappelle que la négociation que veut le collectif, ce ne sont pas des négociations d’entreprise, ce sont des négociations sur la vaccination obligatoire et le passe sanitaire. J’ai cru comprendre d’ailleurs que celui-ci se transformait en passe vaccinal en janvier. Je ne vois pas comment on peut aller négocier sur ça.
La deuxième chose, c’est, comment voulez-vous qu’on négocie sur le plan pénal puisque le collectif veut qu’on amnistie ceux qui ont été interpellés ? Je ne vois pas en quoi les chefs d’entreprise pourraient venir négocier cela. Donc moi, honnêtement, je ne vois pas ce que nous irions, nous entreprises, faire dans ces négociations.
Chefs d’entreprises, nous négocions tout le temps dans nos entreprises, nous sommes habitués à le faire, nous avons des instances de négociation, nous rencontrons notre personnel de façon quasi quotidienne, les instances également. Je ne crois pas que nous ayons grand-chose à faire dans cette négociation. Et d’ailleurs, vous noterez que nous ne sommes absolument pas invités.
La croisière ne s’amuse plus en Guadeloupe au bénéfice d’autres ports-base qui ont remplacé Pointe-à-Pitre. Comment faire revenir les compagnies, d’autant que les pays voisins, qui ont les mêmes problèmes que la Guadeloupe, reçoivent des bateaux ?
On peut s’étonner qu’on ait supprimé les escales en Guadeloupe. Alors que la plupart des pays voisins ont les mêmes problèmes de crise sanitaire. Moi, ce que je ne peux que déplorer est le fait que nous ne puissions pas disposer des bases opérationnelles pour accueillir une activité croisière qui fait vivre les taxis, qui fait vivre les commerces. Encore une fois, je crois que, quand on a le choix, c’est un luxe. Le choix, on peut le faire. Nous avons choisi de nous protéger. J’ai l’impression que les autres îles de la Caraïbe, elles, n’avaient pas le choix de se priver de la croisière.
Elles ont pris un risque…
Elles ont pris ces décisions de faire tout, de mettre en œuvre tout ce qui est possible pour accueillir la croisière. Je ne dirai pas qu’on n’a pas su faire chez nous pour accueillir la croisière malgré la pandémie. Nous avons un principe de précaution qui est beaucoup plus fort que ces pays qui, quelque part, ont tellement besoin de cette manne touristique.
J’ai envie de dire que le problème, au bout d’un moment, c’est de savoir si on va pouvoir se passer de ces recettes ou est-ce que les conséquences de ce manque de recettes ne vont pas créer finalement une telle crise qu’on ne s’en sortira pas. C’est là le problème.
Donc ces pays voisins, je le rappelle, n’ont pas hésité à rendre obligatoire le vaccin. Certaines n’ont pas hésité à dire que les fonctionnaires qui ne se faisaient pas vacciner seraient tout simplement licenciés.
Le problème de cette crise sanitaire, c’est qu’en 2022, en 2023, selon la manière dont on a géré, on verra quels sont les survivants.
Les plans de relance de l’État et de la région ont-ils été efficaces ?
On imagine mal notre économie si l’on n’avait pas eu ces plans de relance et ce plan de soutien. Je rappelle qu’au-delà de ce qu’a fait l’État, il y a eu la Région Guadeloupe qui est venue au secours des très petites entreprises en faisant des prêts, de la résilience, des prêts rebonds. En faisant le complément du Fonds de solidarité. Tout ça a été capital. Si tout le monde ne s’y était pas mis, honnêtement, je pense qu’aujourd’hui, il y aurait déjà eu beaucoup d’entreprises qui auraient mis la clé sous la porte et quelques dizaines de milliers d’emplois qui auraient été perdus à la suite de ces fermetures.
Donc oui, c’est très important.
Est-ce qu’on sait s’il y a eu des licenciements et des fermetures d’entreprises ?
Il y en a eu, mais aussi paradoxalement que ça puisse paraître, pas plus que d’habitude. Et je vais vous expliquer pourquoi : en réalité, on a congelé les dettes. Et on a prêté de l’argent. Donc les entreprises, aujourd’hui, elles ont des emprunts, même certaines qui n’auraient jamais pu emprunter et les dettes ont été congelées. Mais rien n’a été effacé. Ça veut dire que non seulement vous avez les dettes d’avant mais en plus, vous avez les dettes qui sont nées de la Covid, c’est-à-dire les emprunts. Je pense que, raisonnablement, un grand nombre d’entreprises, surtout les petites entreprises, celles qui n’ont pas des fonds propres importants, celles qui sont nées de la crise, celles qui sont nées d’avant la crise, malheureusement ne survivront pas. On va tout faire, à la Chambre de commerce, pour tenter de garder le plus d’entreprises en vie. Vous savez que notre slogan c’est Sauvons les entreprises, mais il faut être conscient d’une chose, c’est que à l’impossible nul n’est tenu.
Vous avez le sentiment que les Guadeloupéens, malgré tout, ont conservé cette résilience, cette volonté de se redresser ?
A un moment donné où tout aurait pu s’effondrer on se rend compte qu’on a tenu ; On tient encore. Et au final, on va tenir le maximum de temps, mais à un moment donné, moi ce que je crains, c’est, quand la vie normale va reprendre, les entreprises ne pourront pas faire face aux charges courantes et rembourser celles qui sont issues de la crise, c’est à dire les dettes qui sont nées de la crise plus les emprunts. Je pense que ça va être très compliqué.
Quand vous voyez à l’aéroport toutes ces personnes qui circulent, qui partent de Guadeloupe ou qui viennent en Guadeloupe depuis cette semaine ça vous inspire quoi ?
La première chose, qui me rassure, c’est que la vie continue, les gens vont, viennent, se déplacent, voyagent. Ça veut dire qu’un certain nombre de personnes ont décidé de continuer leur vie, de voyager et d’autres de rentrer au pays, parce que soyons quand même conscients qu’il y a beaucoup de personnes qui rentrent au pays. Parce qu’elles ont envie de voir leur famille et que, à la limite, on ne peut pas dire aux gens : écoutez, restez cloîtrés chez vous en attendant que la Covid disparaisse. La vie reprend en ce moment et elle risquera d’être stoppée si effectivement la Covid reprend et la cinquième vague arrive. En attendant, c’est vrai, vous avez raison de le dire, il faut prendre des précautions, il faut des gestes barrières. Est-ce que, pour autant, il faut se cloitrer chez soi ? Je ne le pense pas.
Propos recueillis par André-Jean VIDAL
*Collectif des organisations en lutte contre la vaccination obligatoire et le passe sanitaire.