Haïti. La deuxième mort du Nègre Marron

Nègre Marron, témoin d’atrocités des colons sur l’île d’Haïti, témoin de pratiques dévastatrices sur la population, icône de liberté, inscrit sa présence dans le paysage d’autres symbloles nationaux : la Cour de Cassation, le Palais national.

La statue croupit dans un état crasseux depuis quelque temps au cœur du Champ de Mars. Sa flamme éternelle s’est éteinte et des déchets colonisent ledit lieu dans un parfum nauséabond, résultat du soulagement d’indélicats.

La statue — œuvre du sculpteur haïtien Albert Mangonès — est maintenant attaquée par le vert-de-gris. Comme assez souvent en Haïti, on oublie nos héros ainsi que leurs prouesses pour nous arracher au système inhumain de l’esclavage.

Des sans-abris cherchent
refuge sur la place
du Marron inconnu

Le flambeau autour duquel les esclaves se rassemblaient après la retentissante alerte du lambi s’est éteint. La flamme n’est plus alimentée par le propane depuis des années. 

La statue de Toussaint Louverture garde éternellement sa posture hiératique, le dos tourné au Palais national. Le premier des Noirs regarde le Nègre Marron en face avec un morceau du bicolore vétuste dans la main gauche brandissant un lambi. 

En cet après-midi sans fin, des sans-abris cherchent refuge sur la place du Marron inconnu. Ils s’abritent à l’ombre du mur de la place car au bas de la ville des tirs nourris les inquiètent. Il devient, à en croire certains, le mur des lamentations. Certains y fument. D’autres réclament un coup de tafia. Tous éprouvent la peur. C’est près de cette clôture qu’ils viennent échanger entre eux les dernières nouvelles. Un être cher abattu, un voisin qui se meurt tel un indigent à l’hôpital; ils devisent sur leur estomac qui crie famine ; de la ville de Port-au-Prince encerclée de bandits qui font la loi, de la Police nationale d’Haïti incapable de dire à la population qu’elle ne peut plus remplir sa mission : protéger et servir.

« On s’en fout. L’histoire
ancienne ne nous intéresse pas. »

Un jeune homme qui tire sur un joint

À deux pas, deux jeunes filles font la lessive. Elles restent impassibles. Cela devient une habitude pour elles de sécher leur linge sur la statue, couvrant même le lambi. Du tintement des balles, elles n’en ont cure. Les belligérants ne s’aventurent jamais aussi loin. Le palais et le quartier général des Forces armées d’Haïti obligent à un peu de respect.

Les réfugiés du moment se moquent pas mal de la place du Marron inconnu. « Est-ce une coïncidence de venir s’abriter ici sur la place du Marron inconnu ? », a questionné le journaliste. « On s’en fout. L’histoire ancienne ne nous intéresse pas. Nous attendons tous notre mort. Un jour ou l’autre, nous allons tous mourir », a lâché un jeune homme tout en tirant sur un joint de marijuana sans se soucier de rien.

De l’autre côté du mur, des gens restent debout, discutent entre eux. Comme toutes les places publiques de l’air du Champ de Mars, s’amoncellent des badauds et ceux qui viennent tuer le temps. Dans le menu des discussions, il y a tout, sauf un sujet sur la profanation de nos héros enveloppés de poussière et de vert-de-gris, qui se dressent sur leur base. Du haut de leur socle, ils ont l’air d’appartenir à un passé si lointain qu’ils n’en ont cure de leur histoire sans résonance dans leur quotidien.

Source : Le Nouvelliste

Lien : https://lenouvelliste.com/article/232586/la-deuxieme-mort-du-negre-marron

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