VERBATIM. Les petites perles du rapport sur l’eau

La Parlement a décidé de la création d’une Commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences. Celle-ci, présidée par Mathilde Panot, Olivier Serva, député de la Guadeloupe, étant rapporteur, a rendu ses conclusions le 15 juillet 2021 après avoir entendu beaucoup de monde… Surtout en Guadeloupe.

« En Guadeloupe, la population vit au rythme des tours d’eau. Certains n’ont pas d’eau depuis 6 années. Les conséquences concrètes du non-accès à l’eau sont immenses. Ainsi, des enfants ratent jusqu’à un mois et demi de cours par an car il n’y a plus d’eau à l’école. Des familles reçoivent des factures exorbitantes de 5 000, 8 000 ou 6 000 euros et se retrouvent plongées dans des situations financières impossibles. Notre commission d’enquête transmettra ce rapport au procureur de la République pour l’ouverture d’une enquête plus large sur des éventuelles malversations dans l’attribution et la gestion des marchés d’eau et d’assainissement en Guadeloupe.

Un plan d’investissement par l’État est indispensable pour mettre fin rapidement à cette situation d’indignité de notre République sociale et de violation des droits humains. En effet, l’eau est aujourd’hui gaspillée en fuites et ce sont littéralement les usagers qui en paient le prix fort. 1 litre sur 5 en moyenne en hexagone et jusqu’à plus d’un 1 litre sur 2 en Outre-mer est ainsi perdu. Chaque année, le sous-investissement dans les réseaux laisse s’échapper l’équivalent de la consommation de 18,5millions d’habitants. En Guadeloupe par exemple, l’efficacité des réseaux étant de 35 % seulement, les nappes phréatiques sont aujourd’hui surexploitées et risquent la salinisation.

L’état de l’assainissement est un scandale au moins aussi important. Là encore, particulièrement en Guadeloupe où, comme nous l’a expliqué l’Agence régionale de santé, si rien n’est fait, il n’y aura d’ici à 10 ans plus aucun point de baignade de qualité excellente ou très bonne dans l’archipel. »

C’est ce qu’écrit Mathilde Panot, députée, présidente de la Commission, dans une préface au rapport (voir plus bas, l’intégralité du rapport déjà publié dans Karib’Info).

Les personnes convoquées devant la Commission d’enquête ont parlé. Bien obligé puisqu’il est impossible de déroger à une convocation d’une commission d’enquête parlementaire. Ce qu’ils ont dit éclaire bien le problème de l’eau en Guadeloupe. 

« M. Paran était en réalité l’homme lige de M. Joël Beaugendre, maire de Capesterre-Belle-Eau. Lors de leur campagne en 1995, comme le château d’eau de Belle-Eau-Cadeau se situe sur leur commune, ils se sont déclarés propriétaires de l’eau, ce que j’ai d’ailleurs dénoncé. À l’issue d’un procès, le préfet a dû répartir l’actif et le passif du SIAEAG, qu’avaient quitté MM. Paran et Beaugendre. Ce dernier a déclaré à ses administrés : « Vous ne payerez pas l’eau », ce qui s’est vérifié. » 
Victorin Lurel, sénateur

« Selon le contrat de marché public conclu en 2008, la Générale des eaux devait émettre des factures, les recouvrer et transmettre mensuellement au SIAEAG les montants correspondants. En 2012, l’année la plus difficile, nous avons transféré au SIAEAG un montant moyen d’une vingtaine de millions d’euros. Notre rapport annuel du délégataire (RAD) de 2012 indique que nous avons facturé près de 80 % des sommes requises. Si notre système a connu des défaillances, il n’en a pas moins fonctionné. […] Nous avons émis 80 % de nos factures en 2012 et les 20 % restants les années suivantes. Ce rattrapage a provoqué un effet de rejet chez certains abonnés. Je ne suis pas capable de vous indiquer la part de factures erronées » 
Frédéric Certain, ancien président de la Générale des eaux Guadeloupe

« Environ 39 % des factures n’étaient pas recouvrées en 2018. Il me semble important de ne pas affirmer que les Guadeloupéens ne paient pas l’eau. La principale raison de ce non-recouvrement des factures réside dans leur non-émission. Par ailleurs, une partie des factures émises sont contestables et donc contestées. Enfin, certains usagers ne règlent pas leurs factures, parce qu’ils estiment ne pas avoir bénéficié du service correspondant. » 
Philippe Gustin, ancien préfet de la Guadeloupe

« Le contrat de 2008 nous rendait responsables de l’émission des factures et de leur recouvrement dans un délai de soixante jours. Au-delà, la décision de recouvrer ou non les sommes dues appartenait au SIAEAG. […] Le SIAEAG a décidé de ne plus priver d’eau les mauvais payeurs à partir de 2008 et de ne pas émettre de titres exécutoires » 
Frédéric Certain, ancien président de la Générale des eaux Guadeloupe

« Depuis une dizaine d’années,
seules des rustines sont posées. »

ALEXANDRE ROCHATTE, PRÉFET DE RÉGION

« Depuis une dizaine d’années, seules des rustines sont posées, c’est-à-dire que seuls des tronçons de canalisations sont remplacés et quelques fuites, réparées. Certains ont investi dans des surpresseurs, ce qui relève d’une aberration technique, d’autres, dans des citernes à l’impact négatif sur la distribution d’eau. Des solutions ponctuelles, pour ne pas dire égoïstes, ont ainsi été mises en place. Ceux qui ont installé des surpresseurs dans certains quartiers obéissaient peut-être à des motivations politiques, mais en faisant fi des autres usagers, dès lors privés de l’eau qui leur revenait. Les investissements correspondants n’ont pas donné de résultats, parce que le problème de l’eau en Guadeloupe, structurel, porte sur la gouvernance de l’eau et la connaissance du réseau, de fait absente. » 
Alexandre Rochatte, préfet de la Guadeloupe

« À notre arrivée [en 2014], le service public de l’eau et de l’assainissement était assuré par la Générale des eaux Guadeloupe, avec des contrats de prestations de services. Une consultation en vue d’une délégation de service public a été relancée, à laquelle la Générale des eaux n’a pas répondu. Seule la Nantaise des eaux a proposé une offre, avec une réduction de plus de 40 % des effectifs, afin de réduire les charges salariales jugées trop importantes. L’offre de la Nantaise des eaux n’a pas été jugée recevable par le conseil syndical et son président, qui voulaient préserver l’équilibre social et économique de la Guadeloupe. »
Xavier Cordoval, ancien directeur de cabinet du président du SIAEAG

« Avec Grand Sud Caraïbes, nous parvenions à recouvrir une partie des dettes grâce à l’intervention du préfet. »

XAVIER CORDOVAL, ANCIEN DIRECTEUR DE CABINET AU SIAEAG

« L’organisation de la gestion du service public de l’eau s’est longtemps ressentie des relations tendues entre ceux qui estimaient posséder la ressource et ceux qui la consommaient. Un rapport des inspections générales de juillet 2018 reconnaît la bonne conception d’origine du réseau, mais le fonctionnement et la répartition des différents opérateurs ont abouti au fait que ceux qui manquaient d’eau en achetaient à ceux qui la détenaient sans pour autant la leur payer. Les conditions de la défaillance généralisée du service, en particulier ces dernières années, se trouvaient dès lors réunies. »
Philippe Gustin

« Malgré nos diverses tentatives (mensuelles, trimestrielles, etc.), il nous restait toujours des restes à percevoir très importants. Nous livrions à Cap Excellence entre 12 et 15 millions d’euros de volumes financiers d’eau distribuée par an, et nous terminions régulièrement l’année avec un montant résiduel de 9-10 millions d’euros. Avec Grand Sud Caraïbes, nous parvenions à recouvrir une partie des dettes grâce à l’intervention du préfet. Nous ne nous trouvons pas dans le même cas de figure avec Cap excellence et Eau d’excellence : le paiement s’effectuait, mais il était difficile et retardé. »
Xavier Cordoval

« A certains moments, les conseillers généraux, en lien avec le prestataire Générale des eaux, ont pu permettre l’installation de canalisations qui n’étaient même pas référencées, pour les électeurs de tous bords. Les installations de canalisations et de compteurs étaient gratuites à l’époque. » 
Amélius Hernandez, ancien président du SIAEAG

« Les préfets peuvent intervenir par voie d’arrêté en vertu de leur pouvoir de police, selon une procédure très encadrée par le juge, mais l’exercice des missions de service public décentralisées relève du bloc communal – communes ou intercommunalités, qui peuvent le déléguer à un syndicat –, responsable de sa gestion devant les électeurs, les usagers du service public et les contribuables. » 
Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer

Les permanences des coupures d’eau et des tours d’eau « ne sauraient justifier que soit ordonné au préfet de la Guadeloupe de déclencher le plan ORSEC « eau » départemental. » 

conseil d’etat, 19 octobre 2020

« Juridiquement, il convient de justifier d’une réquisition, c’est-à-dire d’une intervention de l’État, par le truchement du préfet, dans un champ de compétence qui ne lui incombe pas. Il faut donc qu’une urgence ponctuelle se présente, ce qui n’est pas le cas quand des problèmes persistent de façon pérenne. Sinon, une telle intervention reviendrait à retirer la compétence de l’assainissement aux collectivités, au mépris de la loi. » 
Alexandre Rochatte

« Le plan ORSEC constitue un dispositif destiné à être déclenché lors d’un évènement soudain et d’ampleur affectant, en l’espèce, la distribution de l’eau potable. Or, il résulte de l’instruction conduite par le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe que la situation fortement dégradée de l’approvisionnement et de la distribution en eau en Guadeloupe constitue une situation de fait due à la dégradation des réseaux, qui perdure depuis de nombreuses années. Dès lors, pour regrettable et préoccupante que soit cette situation, elle ne relève pas, en tout état de cause, « d’un accident, d’un sinistre ou d’une catastrophe » au sens de l’article L. 742-2 précité du code de la sécurité intérieure » pour juger que ces dispositions « ne sauraient justifier que soit ordonné au préfet de la Guadeloupe de déclencher le plan ORSEC « eau » départemental » 
Conseil d’Etat, 19 octobre 2020, requête n° 445271 https://www.conseil- etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-10-19/445271 

« Ces coupures sont reconnues comme des dommages subis par l’entreprise, or tout dommage doit être en principe réparé. » 

DOMINIQUE VIRASSAMY, président de l’association
Sauvez notre entreprise guadeloupéenne

« En 2018, nous avons comptabilisé 117 jours de coupure et, en 2019, un peu plus de 100. Dans ces conditions, l’entrepreneur ne peut plus assumer ses obligations. Ces coupures sont reconnues comme des dommages subis par l’entreprise, or tout dommage doit être en principe réparé. » 
Dominique Virassamy, président de l’association Sauvez notre entreprise guadeloupéenne

« Le réseau d’eau agricole, récent, date de 1993 ou 1994. En bon état, il pose d’autant moins de problèmes que 80 % des agriculteurs ont renoncé à l’aspersion pour irriguer leurs terres au goutte-à-goutte. Ce réseau, construit grâce au fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), ne bénéficie cependant pas réellement au monde agricole. Nous utilisons 12 % de l’eau captée par les barrages, dont 85 % est potable » 
Patrick Sellin, président de la Chambre d’agriculture

« La Guadeloupe dispose de ressources humaines. Seulement, nous voyons à quoi a mené une gestion de l’eau toujours confiée aux mêmes personnes. Certaines s’en sont d’ailleurs retirées d’elles-mêmes. Il faut tirer les conclusions des défaillances, à la fois politiques et techniques, en vue de la préfiguration du SMO puis de la mise en place d’une gouvernance technique. » 
Philippe Gustin

« L’an dernier, environ 600 personnes travaillaient dans la gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe. Il n’en faudrait, selon certaines études d’ailleurs financées par l’État, que 300 à 350. »

PHILIPPE GUSTIN, ANCIEN PRÉFET DE GUADELOUPE
DIRECTEUR DE CABINET DU MINISTRE DES OUTRE-MER

« L’an dernier, environ 600 personnes travaillaient dans la gestion de l’eau et de l’assainissement en Guadeloupe. Il n’en faudrait, selon certaines études d’ailleurs financées par l’État, que 300 à 350. Cela n’implique pas qu’il faille du jour au lendemain supprimer les postes en trop. Certains agents m’ont impressionné par leur connaissance du réseau, acquise au fil de leur longue expérience. Il faudra donc veiller à préserver le savoir engrangé par le personnel des différents opérateurs. Les organisations syndicales sont partantes pour accompagner une partie des agents ayant suffisamment travaillé pour prendre leur retraite sans forcément y aspirer. Un plan de départ devra permettre, au cours des années à venir, d’atteindre un nombre d’employés cible, condition indispensable à l’efficacité du modèle économique à mettre en place. » 
Philippe Gustin

« Les comptes indiquent aujourd’hui une dette de 100 millions d’euros », dans les faits, il apparaît que personne ne connaît avec précision « quelle part des créances en cours est réellement recouvrable. Beaucoup, anciennes, prescrites, devraient être admises en non-valeur, mais les opérateurs s’y refusent, pour ne pas diminuer leur bilan. » 
Guy Bensaïd, directeur régional des Finances publiques

« L’État, à l’avenir, doit continuer de fournir un appui aux collectivités dans l’exercice de leurs compétences en eau et en assainissement. Concrètement, nous les accompagnons dans la constitution du SMO, techniquement et en matière d’ingénierie, mais aussi dans le financement des investissements que les EPCI, la région et le département souhaitent réaliser pour rénover les réseaux. Au titre du plan d’urgence, nous avons ainsi octroyé à la région Guadeloupe 3,2 millions d’euros, provenant des crédits du plan de relance, sur les 4,6 qu’elle consacrera à la poursuite des travaux lancés lors de la réquisition ordonnée par mon prédécesseur. » 
Alexandre Rochatte

« En principe, il faut renouveler chaque année entre 3 % et 5 % de la valeur patrimoniale du bien. En Guadeloupe, le réseau d’eau comprend plus de 3 000 kilomètres de canalisations. Il faudrait donc investir chaque année entre 100 et 150 millions d’euros pour maintenir le réseau dans son état actuel, sans même l’améliorer. Les investissements réalisés au cours des années écoulées étaient très loin de ce montant […] Pour assurer le renouvellement des canalisations au rythme que j’évoquais tout à l’heure, les collectivités devraient prélever 1,50 euro sur chaque mètre cube. Le montant à collecter doit résulter d’un calcul basé sur la taille du réseau et la part de celui-ci à renouveler annuellement. Les communes de Deshaies et Lamentin, qui n’arrivaient pas à collecter un montant suffisant, s’arrangeaient pour le compléter par diverses aides. Toutefois, même un soutien des collectivités majeures ne parvient pas forcément à compenser un prix de l’eau trop bas, ce qui explique la situation actuelle de certaines communes. »
Jean-Louis Saint-Martin, président de Eaux’Nodis 

« Le plan d’actions prioritaires n’a mobilisé que 30 millions d’euros par an.
À ce rythme, il faudrait près de trente ans avant d’arriver au bout du tunnel. » 

PHILIPPE GUSTIN

« Même en disposant de tout l’argent voulu, la nécessité de trouver des entreprises compétentes ne permettrait pas de consacrer plus de 60 millions d’euros par an à la remise en état du réseau d’eau en Guadeloupe. De fait, le plan d’actions prioritaires n’a mobilisé que 30 millions d’euros par an. À ce rythme, il faudrait près de trente ans avant d’arriver au bout du tunnel. » 
Philippe Gustin

Amateurisme

Des équipements ont été vendus avec des choix de technologies inadaptés, telles que l’usine de Belin et la station d’épuration de Lalanne à Port- Louis, pour lesquels l’ancien gestionnaire, le Syndicat mixte du Nord Grande-Terre (SMNGT) a retenu des choix inadaptés au contexte et au climat. 

Pour l’usine de production d’eau potable de Belin, le syndicat aurait suivi les conseils de la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (DAAF), qui assurait à l’époque des missions d’accompagnement et de maîtrise d’œuvre pour le SMNGT. L’usine n’ayant jamais fonctionné telle que prévu, elle n’a jamais été réceptionnée. 

Pour la station d’épuration des eaux usées de Port-Louis, ce sont le maître d’ouvrage délégué (SEMSAMAR) et le maître d’œuvre (Société SAFEGE) qui ont proposé une technologie non adaptée aux effluents et à la zone de rejet. Aussi, l’entreprise choisie avait une expérience limitée en matière de filtration membranaire. 

Le syndicat ne disposait pas des services techniques et d’expertise qui lui aurait permis de faire des choix éclairés. En outre, il semble que la taille des équipements ait été surdimensionnée pour satisfaire les objectifs de développement touristique des élus. 

Le rapport :

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