Opinion. Pour un débat apaisé

Par les Bâtonniers Tania BANGOU, Fred HERMANTIN, Claude CHRISTON, Jacques FLORO, Gérard DERUSSY, Jamil HOUDA, Maîtres Marie Michelle HILDEBERT, Hubert JABOT, Christophe CUARTERO, Babacar DIALLO

Alors que l’Humanité entière est traversée par une crise sanitaire sans précédent, notre chère Guadeloupe vit des heures difficiles que d’aucuns qualifient de désespérées.

Nos soignants font ce qu’ils peuvent pour endiguer un mal mystérieux qui a des allures de spectre millénariste dont personne ne connait l’origine, ne peut en prédire la fin et n’en détient le remède décisif.

Depuis quelques jours les morts se comptent par dizaines ; des êtres aimés, jeunes et moins jeunes, sont partis, souvent dans des conditions épouvantables, enterrés à la va vite par crainte des contaminations ; des familles entières, des amis, des collègues sont meurtris, déboussolés, inconsolables ; des entreprises sont déstabilisées, la vie sociale est en lambeaux.

La population est gagnée par l’incompréhension, la peur et l’angoisse.

Des colères légitimes grondent pour fustiger la gestion de la crise par les pouvoirs publics, que certains qualifient d’erratique et de kafkaïenne.

Les esprits s’échauffent et voilà que deux camps opposés s’affrontent, chacun étalant ses certitudes, ses vérités et, parfois, ses doutes.

Une ligne de fracture se construit entre les « pros » et les « antis ».

Sous l’étendard de la liberté d’expression, les débats sont vifs et ils virent malheureusement au pugilat médiatique et numérique. 

Les « réseaux sociaux » se délectent de cette cacophonie et amplifient les dérives.

Les fake news prolifèrent, les menaces et intimidations fusent, les excommunications se multiplient, les procès en inquisition s’installent, les fâcheries se cristallisent, les manipulations prospèrent sur le terreau, déjà bien surchargé, de nos malheurs.

Dans cette mécanique implacable, c’est la société qui se déchire sous nos yeux médusés.

Et voilà qu’une nouvelle crise surgit dans la crise ; elle est morale, elle atteint les esprits et les consciences ; elle est la marque d’une inquiétante montée de l’intolérance, garde avancée de l’obscurantisme et du chaos.

Et pendant ce temps, le virus
continue à semer la mort

Cette situation nous préoccupe au plus haut point car elle rappelle l’extrême fragilité de notre société, la précarité de ses équilibres, sa grande porosité à la manipulation d’où qu’elle vienne.

Le respect dû aux morts, le combat pour la préservation de la vie, le soutien aux soignants et l’aspiration à la responsabilité exigent mieux que le spectacle affligeant auquel nous assistons.

Chacun sait que la liberté d’expression est un pilier essentiel de toute société démocratique.

C’est un droit fondamental et un trésor inestimable que nous portons dans des vases d’argile.

Sa préservation requiert l’attention de tous, dans l’intérêt de tous.

Cette liberté n’est pas une génération spontanée ni un cadeau du Pouvoir. 

Elle a été acquise de haute lutte par celles et ceux qui se sont battus depuis tantôt pour fonder notre pays.

Mais cette liberté n’est pas sans limite et pour qu’elle se pérennise, chacun doit en connaitre les bornes pour mieux les respecter.

Les excès constatés ces derniers jours nous interpellent et nous désolent tant par leur férocité que par la déraison qui les inspirent.

« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. » a dit Hannah Arendt.

Un appel à un sursaut guadeloupéen

C’est pourquoi nous appelons solennellement à un sursaut Guadeloupéen pour le retour à un débat apaisé, digne et serein, respectueux des opinions des uns et des autres.

Appeler nos concitoyens à la raison, c’est leur dire que :

  • Il n’est acceptable de proférer des menaces de mort, des injures ou autres sur quelque support que ce soit, sans encourir de sanctions pénales,
  • La liberté d’expression n’autorise pas la diffusion de fausses nouvelles,
  • Il n’est pas possible de porter atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne sans commettre le délit de diffamation.
  • La haine, l’agressivité et l’invective ne sont pas un projet de société.
  • La bienveillance, la fraternité et la solidarité qui fondent notre humanité commune doivent continuer à nous guider pour que nous traversions ensemble et unis cette crise mortifère.

Le débat public doit pouvoir s’affranchir de ces excès. Chacun doit pouvoir se maitriser et retrouver le chemin du respect, de la dignité et de la mesure.

L’ennemi à abattre n’est pas notre contradicteur mais bien le Covid-19.

 Oui, c’est bien lui notre seul ennemi et il tue vraiment.

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