Le maire de Basse-Terre André Atallah s’est livré au jeu des questions-réponses. Il ne cache rien des difficultés en cours pour remettre la ville en déficit, sur les rails du progrès… tout en préservant le caractère patrimonial, historique de la ville
PAR ANDRÉ-JEAN VIDAL
Vous avez trouvé une situation délicate à la mairie de Basse-Terre. Comment redresser la barre ?
On le savait avant d’aller aux élections : j’étais moi-même conseiller municipal de l’opposition. Lorsqu’on avait à traiter du budget, des orientations budgétaires, nous avions ces documents. Ce n’est pas une surprise : nous savions qu’il s’agissait d’un gros challenge à relever. Les chiffres que nous avons toujours annoncés se confirme : nous sommes à peu près à 1 million de dettes entreprise et 4 millions de déficit de fonctionnement. Nous avons déjà mis en place un groupe de travail. Pour le redressement, il faudra compter trois ans pour assainir la situation tout en mettant en place des actions. On ne va pas dire à la population : « On ne peut rien faire, il n’y a pas d’argent. » Il faut créer de l’espoir ! Mais, une des premières actions que nous avons mise en place parce que nous avons la chance d’avoir pas mal de départs à la retraite parce que la moyenne d’âge du personnel est de 53 ans, ce qui est plutôt élevé, ces départs ne seront pas remplacés sauf si le poste est indispensable. En termes de charges générales, il y a un gros créneau à prendre : nous avons un gros patrimoine qui somnole. Si on sait que nous n’allons rien en faire, autant le revendre. Ce n’est pas la vente des bijoux de famille, mais il faut être réalistes. Si les experts nous disent que la réhabilitation est trop lourde pour la mairie, autant le revendre à une entreprise publique ou privée qui va enrichir l’attractivité de la ville de Basse-Terre, tout en faisant entrer des finances. Par exemple, l’ancienne école Elie-Chauffrin qui est devenue une friche abandonnée depuis 5 ans, va être revendue 400 000 euros avec un beau projet social, la prise en charge de personnes en difficultés… On allie à la fois, une structure que l’on revend, on respecte l’architecture de ce bâtiment, cela fait une rentrée une rentrée financière te cela correspond à un projet que nous avions dans le cadre de Cœur de ville. Sur le personnel, il faudra faire un effort et sur ce patrimoine, très conséquent à Basse-Terre, à nous de mieux l’optimiser, tout en restant dans un schéma de cohésion, fidèle à notre projet.
Avez-vous l’oreille attentive des autorités financières pour redresser la barre ?
L’impression que nous avons, c’est que notre prise de fonction semble avoir été bien perçue. Il y a une volonté de l’Etat de collaborer avec les villes et communes qui sont en difficultés. C’est notre cas, mais on sait qu’avec l’Etat, c’est un peu « donnant-donnant ». En avril, nous étions en visio-conférence avec le ministre des Outre-mer dans le cadre du dispositif Corom : on nous a même félicités pour la qualité de notre dossier. Il y a des avantages importants : nous aurons un accompagnement technique grâce à l’Agence française de développement. Nous venons recruter une DRH guadeloupéenne et qui a une grande expérience dans une collectivité. Moyennant ce renfort, lorsque le Corom mettra à ma disposition un technicien de haut niveau, j’ai moins besoin d’un profil RH, ce qui peut être le cas d’une autre des 9 communes des Outre-mer retenues. Pendant trois ans, le renfort qui nous sera apporté par le Corom, correspondra à nos besoins. Au niveau financier, nous avons ce qu’il faut, pareil pour les Ressources humaines. Ce qu’il nous faut surtout, c’est un stratège qui nous permettra de mieux optimiser notre patrimoine : un possible contrôle de gestion. Surtout, ce renfort technique sur trois ans pourra être changé d’une année à l’autre. Si, au bout d’un an, nous avons déjà atteint certains objectifs, on peut, l’année d’après, demander au technicien qui vient en renfort, ait un autre profil : gestion des collectivités, RH… Ensuite, le fait d’avoir été retenue pour une ville-capitale comme Basse-Terre, on peut avoir 20 % de plus : on peut espérer sur les trois prochaines années, 800 à 850 000 euros. C’est toujours bien, même si on aurait aimé plus ! Cela est bien sûr conditionné par un objectif à atteindre. A nous d’être bons. Fort de ce renfort technique et de cette manne financière, cela peut être pas mal.
L’Etat vous aide-t-il ?
Fin 2020, nous avons fait une demande à l’Etat d’une aide exceptionnelle, en dehors du dispositif Corom. Nous avons obtenu un avis favorable pour une aide de 500 000 euros que nous a déjà été versée par l’Etat sans contrepartie. C’est un exemple parmi d’autres qui nous fait espérer que nous aurons une oreille attentive de la part des autorités. J’ai également rencontré les responsables de l’Agence française de développement, de la banque des territoires… Là aussi, on a cette impression qu’il y a une écoute. Un cabinet d’experts est venu à Basse-Terre pendant une semaine pour revoir tout le plan de circulation et de stationnement à Basse-Terre. C’est un vrai souci : si nous voulons être attractifs, il faut pouvoir mieux circuler à Basse-Terre, optimiser les parkings, en sachant que nous avons une épine dans le pied avec ce fameux parking à étages qui nous a coûté 12 millions d’euros, une vraie calamité que nous trainerons encore pendant 20 ans, avec un remboursement par la ville de Basse-Terre de 450 000 euros à la banque pour ce prêt. Ce parking, quand nous sommes arrivés, avait un taux d’occupation de 13 %. Nous venons de changer les tarifs à partir du travail que nous avons fait avec ce cabinet d’experts et les quatre associations de commerçants pour les faire adhérer à ce projet : nous sommes aujourd’hui à 55 % du taux d’occupation par des abonnés qui vont occuper le parking pendant toute l’année. L’idée, c’est que les artisans, les commerçants, les fonctionnaires… puissent plutôt stationner dans ces parkings à enclos : le parking de Jeunesse et sports, le parking silo en bord de mer, celui de L’Artchipel… et laisser les places « en voirie » pour les clients qui, en arrivant à Basse-Terre, pourront facilement stationner, circuler et consommer local. Cette expertise d’une semaine a été financée par la Banque des territoires. Les rapports sont en train d’arriver concernant le plan de circulation, le plan de stationnement, pour améliorer la mobilité pour qu’on puisse circuler à pied plus facilement à Basse-Terre et mieux optimiser les parkings. Nous avons une écoute plutôt favorable : à nous de ne pas décevoir nos partenaires.
On image mal une ville-capitale sans grands projets. Quels sont vos projets structurants ?
Ce que nous souhaitons pour Basse-Terre, c’est une ville plus attractive. L’un des premiers points, c’est le développement économique. Nous n’aurons pas une force de frappe comme celle de Jarry ou de Cap excellence, mais le deuxième pôle économique, c’est Basse-Terre et le Sud Basse-Terre. Il faut renforcer le développement économique : être plus attractif, faire en sorte que le Sud-Basse-Terrien consomme à Basse-Terre. Si cette première action n’est pas menée, les jeunes vont ailleurs en Grande-Terre, dans l’Hexagone… Et, tous les projets qu’on pourrait entreprendre vont péricliter parce que les jeunes s’en vont. Nous sommes régulièrement en contact avec les commerçants, les artisans pour tenir le rôle de facilitateur. C’est plus aux artisans, à la chambre de commerce, aux associations de commerçants à impulser les projets et la ville de Basse-Terre est là pour accompagner.
Quels grands chantiers, concrètement ?
Le premier projet s’attachera à rendre Basse-Terre plus attractif, plus compétitif pour que le développement économique aille de l’avant. Le deuxième élément concerne l’environnement : faire que Basse-Terre soit beau pour qu’on ait plaisir à circuler dans Basse-Terre. Nous voulons renforcer notre commission Environnement au sein de la ville de Basse-Terre. Enfin, nous avons un patrimoine extraordinaire : près de 28% du patrimoine de la Guadeloupe est sur ce petit pays de Basse-Terre. Il faut valoriser ce patrimoine, l’enrichir. Nous avons la chance d’avoir adhéré au projet Cœur de ville que nous avons complètement revu : des grands chantiers ont été complètement revus. La dernière version d’Action Cœur de ville qui a été signée avec les partenaires, la Banque des territoires, l’Etablissement public foncier, le préfet…, nous a valu les félicitations pour sa cohérence et sa vision globale. La nouvelle équipe y a énormément travaillé et je souhaite voir se concrétiser tout ce qui est sur le papier.
Il y a plusieurs chapitres dans Action Cœur de ville : la résorption de l’habitat, le développement économique, la valorisation du patrimoine et un meilleur accès aux structures publiques présentes à Basse-Terre. En corollaire, nous avons eu l’accord du financement à 75 % du chef de projet pour le suivi de tous ces chantiers avec nos partenaires. Nous aurons, pendant trois ans, le financement du chef de projet Action Cœur de ville par l’ensemble des partenaires.
Comment le ressentent les Basse-Terriens ?
Je ressens de la part d’investisseurs basse-terriens ou qui ont des attaches à Basse-Terre, un frémissement : on verra si cela se confirme pour réinvestir dans Basse-Terre. Jarry commence à être saturé, ce qui cause un déséquilibre, pose des problèmes d’accidentologie, des risques environnementaux, en termes de qualité de vie… Faire revenir les Basse-Terriens à Basse-Terre, c’est notre ambition.
Quand vous avez composé votre liste pour les Municipales, il y avait des personnes de votre famille politique, le Parti socialiste, mais aussi des personnes qui avaient d’autres visions, et pourtant, vous vous êtes entendus pour constituer une liste. Depuis, comment ça se passe ?
L’une des qualités que nous avons su mettre en valeur, c’est le rassemblement. Ce n’était pas facile : nous étions face à deux ministres et une dynastie qui, depuis 30 ans régnait sur Basse-Terre et le Sud Basse-Terre. J’ai dressé une liste qui a été élargie mais avec un programme validé par l’ensemble des partenaires : les Insoumis, celle conduite par Sonia Pétro… Nous avons préservé l’essentiel. Ce sont des personnalités et tant mieux c’est ce qui fait la richesse de notre équipe. Cela se passe très bien au niveau de la cohésion d’équipe : nous avons comme objectif commun de faire Basse-Terre aller de l’avant. Il n’y a pas de couac, l’équipe est au travail !
A ma demande, Sonia Petro est au bureau de l’association des maires.
Bernard Guillaume, mon premier adjoint, vient d’être nommé délégué régional au CNFPT, pour représenter la vielle de Basse-Terre. Ce qui prouve que Basse-Terre a sa place et que je suis solidaire de mes élus qui ont prouvé leurs qualités.
La vaccination contre la Covid-19 est un challenge contre la pandémie. Vous avez créé un centre de vaccination à Basse-Terre. Parlez-nous en.
Nous sommes très contents : c’est l’une de nos réalisations. Je suis un adepte de la vaccination. C’est notre seule chance de nous en sortir en respectant les gestes barrières. J’en suis convaincu. Il y a une épidémie de collectifs qui se montent contre le masque, contre la vaccination… Moi, je reste ferme. Dès le début, nous avons proposé à l’ARS de monter ce centre de vaccination. Il fonctionne très bien : nous avons la chance d’avoir une très belle salle au Carmel, adaptée, bien aérée où un peut atteindre un taux de vaccination assez important. Je félicite l’équipe municipale parce qu’il a fallu détacher du personnel parce que nous sommes à budget constant. Pour moi, ce centre est là pour au moins 6 mois. Nous avons reçu l’aide de La Croix Rouge et de quelques partenaires privés : le CCAS et le réseau HTA Guad, que je coordonne, pour trouver des infirmières et médecins qui permettent au centre de fonctionner. L’ARS est satisfaite, nous avons eu droit à la visite du préfet et la directrice de l’ARS y a même fait sa deuxième vaccination. Contrairement à ce qui est dit, les gens veulent se faire vacciner. Un mois après l’ouverture, nous avons atteint les 1000 vaccinations réalisées au centre de vaccination éphémère coordonné par la ville de Basse-Terre. Je donne rapidement rendez-vous, je l’espère, pour le 2000e vacciné dans un mois, voire un mois et demi. SI on ne multiplie pas les centres de vaccination, nous ne pourrons pas casser ce circuit de transmission du virus, d’autant qu’il y a de de plus en plus de variants. Plus on multipliera les centres de vaccination, plus on ira de l’avant.
Vous êtes un homme libre et déterminé, pourriez-vous jouer un rôle important dans la prochaine campagne des Régionales ?
Si la question est posée au médecin, en dehors de toute stratégie politique, la sagesse, serait de reporter ces élections. Il s’agit d’une élection importante, avec une campagne en amont, numérique ou pas, en Guadeloupe, on a besoin de cette proximité, de faire du porte-à-porte, de conférences… donc, il y aura des regroupements. On ne va pas s’en sortir. En tant que médecin, je préconiserais le report des élections, même s’il y a des incidences sur les autres élections, notamment les Présidentielles. Qu’elle que soit la date à laquelle cette élection aura lieu, Basse-Terre jouera un rôle dans cette élection : le maire de Basse-Terre pèsera de tout son poids. Ces élections concernent deux collectivités majeures : la Région et le Département, avec des incidences majeures sur le fonctionnement de toutes les communes. Le poids financier est important pour mener à bien des projets. Nous serons présents. Actuellement, je fais un constat d’échec. Qu’elle que soit la qualité du travail qui a pu être fait, les investissements, pour moi, il y a un échec au niveau de la politique qui est mené actuellement qui concerne surtout les déséquilibres entre la Basse-Terre et la Grande-Terre. D’où l’importance d’avoir une autre vision pour la Guadeloupe avec des collectivités capables d’influer, de participer à certains gros investissements. Cette élection étant importante, nous pèserons de tout notre poids et il n’est pas négligeable ! Nous sortons d’une très belle victoire, il y a une dynamique sur le terrain, un bel accueil, une population qui attendait ce changement. La dynamique mise en place avec les Municipales doit être poursuivie avec les Régionales et les Départementales.
Victorin Lurel ne veut pas être tête de liste, même s’il pèsera de tout son poids sur ce scrutin, André Attalah aurait pu être le candidat tête de liste du PS ?
C’est vrai que j’ai été contacté en ce sens. Je considère qu’on vient d’accéder à la fonction de maire, qui est très prenante, passionnante. Déjà, réussir ce challenge qui consiste à redresser la ville de Basse-Terre, la capitale, ce serait bien. Mais, nous jouerons un rôle dans cette élection puisque la collectivité régionale intervient également dans notre capacité à réussir notre challenge de relever Basse-Terre puisque nous avons besoin de ce soutien, de l’appui des collectivités majeures. Donc, oui, cette éventualité a été évoquée, mais je reste fidèle aux décisions du groupe, de notre parti. Je suis de ceux qui disent qu’il faut préserver le deuxième tour, si on décide d’y aller. Nous aurons besoin de l’ensemble des forces progressistes. La tête de liste, c’est important, mais commençons déjà à travailler le projet : qu’allons-nous offrir à la Guadeloupe de demain si on change de gouvernance au niveau de la collectivité régionale ?
Si André Attalah avait trois vœux, quels seraient-ils ?
Le premier vœu de valoriser la compétence présente en Guadeloupe. Ensuite, que la Guadeloupe ait davantage confiance en elle. Et, enfin, mieux écouter notre jeunesse. Ça, on ne sait pas faire. Or, cette jeunesse amène ce petit grain de folie qui peut être salvatrice pour l’avenir de la Guadeloupe. Bien sûr, il y a l’expérience qui est important et dont on ne peut se passer, mais cette jeunesse qui demain risque de s’en aller si elle n’est pas écoutée. A tous les niveaux, il faut préparer les jeunes à accéder aux fonctions et à assurer la relève politique. Ce que nous ne savons pas faire, quel que soit les partis.
Cette interview a été publiée dans L’Hebdo Antilles-Guyane