« Les jeunes payent le plus lourd tribut »

C’est indéniable, tout au long de l’année qui vient de s’écouler, la crise sanitaire a eu un impact psychologique sur les populations. Selon Katy François, psychologue au cabinet Belbalan en Martinique, ce sont les jeunes qui ont été les plus touchés.

Katy François, psychologue.

Lors de vos consultations au cours de cette année, la covid-19 a-t-elle été un sujet récurrent ?

Oui, c’est un sujet qui revient directement ou indirectement. C’est un sujet dont on a parlé surtout après le premier confinement. Moins après le deuxième en Martinique. Je vois les répercussions, mais les enfants ou les adultes n’en parlent pas directement.

Quelles sont les répercussions que vous constatez ?

Dans les derniers mois, j’ai eu beaucoup de consultations pour des enfants et des adolescents, dont les parents vont pointer du doigt le non-désir d’aller à l’école, même le refus d’y aller. Il y a aussi beaucoup d’anxiété et d’angoisse. Les demandes ont été multipliées par trois pour les plus jeunes. Depuis 20 ans, je n’avais jamais eu autant de demandes pour des adolescents du lycée. Ils refusent d’aller à l’école, ils ont des manifestations somatiques (mal au ventre, vomissement, pleurs…) et ils ne veulent pas aller au lycée. Ils ont des troubles du sommeil, beaucoup de colère ancrée et de la tristesse. Je le caractérise vraiment à cause du manque d’interaction sociale. Pour les plus timides, il est encore plus difficile de rentrer en interaction avec les autres.

Ont-ils été plus impactés que les autres publics ?

Je trouve que tous les publics ont été impactés, mais les adolescents plus particulièrement. Notamment ceux qui étaient déjà un peu fragilisés. C’est la période où on va vers les autres, et là on leur demande de s’éloigner. Il y a vraiment une perte de repère. Je pense que la population adolescente et les jeunes adultes sont ceux qui payent le plus lourd tribut.

Quel a été l’impact des confinements et de la crise sanitaire sur nos populations ?

Nous sommes obligés de parler des aspects négatifs, mais aussi des aspects positifs. Toute cette année, on a eu vraiment plusieurs étapes. Lors de la découverte du virus et du premier confinement, les gens avaient peur et étaient angoissés. Tout le monde a joué le jeu de se confiner. Pour l’aspect négatif, il y a eu ce sentiment d’être privé de liberté, d’étouffer. Il y avait beaucoup d’angoisse entre la distance familiale et le fait de faire face aux incohérences qu’on entendait de la part du gouvernement, à la télévision. Cela a créé de la confusion, une espèce de dissonance qui a chamboulé énormément les personnes et les familles.

Mais en même temps, le côté positif a été que les gens ont été obligés de s’adapter et de s’arrêter. Je crois que ce temps d’arrêt a permis une prise de conscience. Les gens ont dû réfléchir et modifier leur rapport au temps, aux autres, au travail et à la famille. Des gens se sont découvert des capacités de cuisiner, ont pris le temps de lire ou faire du sport. Le rythme était différent avec le travail, moins soutenu. On prenait conscience de ce qu’on ne faisait pas avant, de la vie, la nature…

Après, il y a eu le déconfinement, là encore c’était très ambivalent. Certains étaient contents de retrouver un semblant de normalité, mais en même temps on leur demandait de respecter les distanciations sociales, de mettre le masque… Du coup, la peur revenait. Tout au long de cette année, la peur était là tout le temps. La peur aussi par rapport à la culpabilité vis-à-vis des aînés. La peur de transmettre le virus.

Avez-vous constaté un intérêt plus important pour le développement personnel en cette période ?

Oui, il y a eu un essor du développement personnel car les gens étaient plus centrés sur eux-mêmes ou sur leurs proches. Ils se sont mis à vouloir grandir de l’intérieur. Pour faire face à un environnement angoissant, on se retourne vers soi et on a besoin de se renforcer et de se développer, de devenir plus fort. Cela a été comme une espèce de sursaut.

Quel état d’esprit prédomine aujourd’hui ?

On ne va pas généraliser, mais je crois que beaucoup de personnes en ont assez. Après toutes ces étapes, la révolte a commencé à gronder. Les peurs ne sont plus là où elles étaient au départ. Les gens ont le sentiment qu’on se fiche d’eux. Il y a une majorité de personnes qui est plus dans une espèce de révolte, parce qu’elle va s’interroger sur l’efficacité des mesures prises et cela attise leur colère. Ils ont un sentiment d’injustice et on l’a vu effectivement avec le carnaval. Passé un an privé de liberté, avec le sentiment d’être pris pour des enfants…  En fait, on ne vit plus et je crois que beaucoup de gens prennent conscience que ce n’est pas vivre, c’est survivre. Ils ne veulent plus de ça. On rentre petit à petit dans une phase de désobéissance qui est cohérente.

Un conseil ?

Vivez ! Il faut que les gens n’arrêtent pas de vivre. Je ne vais pas dire de désobéir, mais on ne peut pas s’arrêter de vivre parce qu’il y a un virus qui est là et qui tue. On ne peut pas se mettre entre parenthèses. Il faut revivre, s’autoriser à vivre.

Propos recueillis par Elodie Soupama

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