Si le régime cubain versait de bons salaires et garantissait des conditions de travail minimales à ses médecins sur l’île, ils n’auraient pas à accepter le chantage des « missions médicales ».
Ils reconnaissent qu’ils ont retenu les passeports de manière routinière parce qu’ils ne peuvent pas le refuser au corps médical cubain, qui sait que ce n’était pas précisément « pour les protéger », comme l’a déclaré le ministre de la Santé publique. Ils le font par cynisme – ce qui est aussi une autre « pratique courante » du régime – comme le ferait n’importe quel trafiquant d’êtres humains pris sur le fait par la police.
En fait, les méthodes utilisées par le régime pour contrôler son personnel de « mission » sont les mêmes que celles utilisées par les membres de gangs, les membres de la mafia et les trafiquants lorsqu’ils kidnappent des femmes et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail.
Ils ne sont pas enfermés dans des cellules, mais sont parfois soumis à des horaires de retour stricts, où ils restent sous la surveillance constante d’agents de la police politique envoyés par le ministère de l’Intérieur – avec autorité sur les soi-disant « chefs de mission » – pour veiller à ce que les désertions et les fuites d’informations (à la presse ou à quiconque pose trop de questions) soient réduites au minimum.
Nous tous, journalistes, qui avons tenté d’aborder directement le problème, avons été confrontés à cette réalité douloureuse et dangereuse.
Les articles et les interviews journalistiques parus au fil des ans, tant dans la presse indépendante que dans d’autres médias non cubains intéressés par la question, ont décrit avec suffisamment de clarté les causes sous-jacentes de cette « commercialisation », que la dictature tente aujourd’hui de faire passer pour un geste altruiste face à « l’attaque de l’ennemi », alors qu’en réalité il s’agit d’un des chapitres les plus honteux du castrisme, car il implique la complicité de dizaines de gouvernements et d’organisations internationales du monde entier.
Il y a quelques années, en septembre 2015, une importante enquête journalistique menée par l’Institute for War and Peace Reporting (IWPR) en collaboration avec plusieurs médias indépendants, a mis en lumière les tenants et aboutissants du lucratif programme d’aide médicale cubain à Trinité-et-Tobago.
Il s’agissait d’un cas quelque peu exceptionnel où le paiement était versé directement aux médecins, mais le régime cubain les obligeait tout de même à déposer la moitié de leur salaire sur un compte commun au nom du « chef de mission » chaque mois.
Cette exigence n’était pas reflétée dans les contrats mais devait néanmoins être respectée sous peine d’être renvoyé sur l’île et définitivement retiré du « programme de missions médicales ».
Même si le chantage et la surveillance constants étaient offensants pour de nombreux professionnels, le retour à Cuba, où ils devaient vivre dans de mauvaises conditions de travail et avec de bas salaires en monnaie nationale, était la pire punition.
On comprend donc aisément pourquoi, pour le régime, il est essentiel que la détérioration du système de santé reste à son niveau critique, fonctionnant comme un outil de pression visant à « stimuler » cette main d’œuvre bon marché, bien plus rentable lorsqu’elle est « commercialisée à l’étranger ».
Et pour que ce mécanisme de force continue de fonctionner, il faut qu’il y ait une main-d’œuvre désespérée par ces conditions de vie épouvantables et donc prête à être exploitée.
« Si je n’accepte pas ces conditions (être surveillé et donner la moitié de mon salaire), alors ils me renverront à Cuba, où mon salaire ne suffit pas », ont déclaré à cette occasion plusieurs des personnes interrogées, sous le strict couvert de l’anonymat. Parler à la presse impliquait également des sanctions encore plus sévères, toutes liées au retour à Cuba et, par conséquent, à l’élimination de toute possibilité d’améliorer les conditions de vie dans un pays où la pauvreté est l’outil de domination préféré du Parti communiste.
Même si Trinidad et Tobago n’était pas le pire des mondes possibles pour les médecins et techniciens cubains, puisqu’ils étaient autorisés à garder au moins 50 pour cent de ce qu’ils gagnaient (au Venezuela et au Brésil, ils étaient autorisés à peine à 20 pour cent), l’aspect le plus étonnant du phénomène n’était pas tant de voir comment les médecins avaient normalisé les abus, ni même comment certains voyaient nos recherches, nos questions, comme une agression, une attaque, mais combien il était difficile pour beaucoup d’entre eux de voir la relation évidente de nécessité, d’obligation, qui existait entre l’activité des brigades médicales et la détérioration du système de santé cubain, les bas salaires et les autres difficultés auxquelles ils sont confrontés dans leur vie quotidienne à Cuba.
Si le régime cubain versait de bons salaires et garantissait des conditions de travail minimales à ses médecins sur l’île, ils n’auraient pas besoin d’accepter le chantage des « missions médicales » à l’étranger comme seul moyen d’améliorer leurs revenus personnels.
En bref, notre pauvreté est une condition sine qua non du succès de cette entreprise lucrative qui, selon Granma, prévoyait des revenus annuels de plus de 8 milliards de dollars en 2014.
Source : Cubanet