Opinion. Pourquoi en Guadeloupe, nous sommes  encore loin d’être prêts pour affronter l’avenir à horizon 2030 ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’économie guadeloupéenne est à un tournant décisif, coincée entre la modernité technologique incarnée par l’intelligence artificielle et des tensions sociales qui ne cesseront de croître.

Loin d’être un phénomène isolé, cette dualité met en lumière les contradictions profondes d’une société en pleine mutation, tiraillée entre un modèle économique en quête de transformation avec le mythe de la souveraineté alimentaire et une identité culturelle fragilisée par la modernité . Loin de se contenter d’une analyse superficielle, il s’agit ici de comprendre les mécanismes qui sous-tendent cette évolution et d’anticiper ses conséquences à long terme.

Pour ce faire il faudrait se poser la question de savoir en quoi l’automatisation et l’intelligence artificielle représente un risque pour la Guadeloupe ?

D’ici 2030, la Guadeloupe risque d’être confrontée à une mutation profonde de son marché de l’emploi sous l’effet de l’automatisation et de l’intelligence artificielle (IA). Cette transformation sera d’autant plus marquée que l’île dépend fortement du secteur public et des services administratifs, des domaines particulièrement vulnérables à l’automatisation. Face à cette évolution inéluctable, le territoire devra repenser son modèle économique et anticiper les bouleversements à venir.

L’avenir de la Guadeloupe à l’horizon 2030 s’annonce incertain, pris entre des transformations économiques profondes et des tensions sociales exacerbées. L’île sera bientôt confrontée à une modernisation technologique rapide, notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, qui bouleverseront le marché du travail et la structure même de son économie. Pourtant, au-delà de ces mutations et du risque de dérèglement climatique, c’est toute la société guadeloupéenne qui se retrouve à un tournant, tiraillée entre adaptation et résistance, entre innovation et préservation d’une identité culturelle tourmentée . 

L’automatisation représente un défi majeur pour la Guadeloupe, dont l’économie repose largement sur le secteur public et les services administratifs. Ces domaines, fortement exposés aux avancées de l’intelligence artificielle, risquent de connaître une vague de restructuration sans précédent. Selon une étude de McKinsey, d’ici 2030, près de 27 % des tâches en France pourraient être automatisées, avec de nombreuses destructions d’emplois, et la Guadeloupe ne fera pas exception. 

Cette tendance touchera en priorité les métiers impliquant la saisie et le traitement de données, la rédaction de documents ou encore les communications simples, des fonctions omniprésentes dans l’administration guadeloupéenne. Avec une fonction publique étatique, territoriale, hospitalière, largement prépondérante sur l’île, cette transformation pourrait se traduire par une restructuration massive des emplois, notamment dans la fonction publique territoriale. Et pourtant force est de constater que nos élus ne prennent pas le taureau par les cornes pour éviter la catastrophe, et pour cause ils sous estiment les enjeux de demain.

Cependant, le risque de chômage massif n’est pas une fatalité. Si l’automatisation réduit certains postes, elle modifie surtout la nature des compétences recherchées. Les experts estiment que les emplois nécessitant de la pensée critique, de la créativité ou des compétences relationnelles seront moins menacés. Or, en Guadeloupe, où le taux de chômage est déjà supérieur à la moyenne nationale, la transition vers ces nouveaux métiers nécessitera des efforts considérables en formation et en adaptation des travailleurs. L’anticipation et l’accompagnement de cette mutation seront cruciaux pour éviter une crise sociale majeure.

Les métiers impliquant la gestion de données, la rédaction ou encore la communication interne sont directement menacés, ce qui pourrait avoir des répercussions considérables sur l’emploi local. Face à cette évolution inévitable, l’adaptation et surtout la réflexion prospective deviennent des nécessités impérieuses, mais le territoire est-il réellement prêt à relever ce défi ?

Si l’automatisation menace certains emplois, elle redéfinit également les compétences recherchées. Nous réitérons que les métiers nécessitant de la créativité, de la pensée critique et des compétences relationnelles seront moins impactés, mais la Guadeloupe accuse un retard notable en matière de formation aux nouveaux besoins du marché. Avec un taux de chômage déjà supérieur à la moyenne nationale, la transition vers ces nouveaux emplois suppose des efforts considérables en matière d’éducation et d’accompagnement professionnel.

L’enjeu est d’éviter une fracture sociale aggravée par une montée du chômage et une marginalisation des travailleurs les moins qualifiés. L’expérience d’autres territoires montre que les transitions technologiques mal préparées amplifient les inégalités et alimentent les tensions sociales. Or, la Guadeloupe, déjà marquée par une forte précarité sociale et une défiance vis-à-vis des institutions, pourrait voir ces déséquilibres s’accentuer si elle ne prend pas la mesure des bouleversements à venir.

Le vieillissement de la population et la difficulté croissante à recruter dans certains secteurs pourraient toutefois accroître l’impact de l’automatisation. Des opportunités existent dans les domaines de la santé, du service à la personne ou encore des technologies numériques, mais l’attractivité de ces métiers reste un défi de taille. La formation aux sciences, à l’ingénierie et aux mathématiques, qui devrait connaître une hausse de la demande de 16 % d’ici 2030, doit être encouragée pour permettre une transition réussie.

Pourtant, le système éducatif et de formation guadeloupéen peine à suivre le rythme imposé par la révolution numérique. Les initiatives locales restent limitées, et l’introduction des nouvelles technologies dans l’apprentissage se heurte à des résistances, tant sur le plan des infrastructures que des mentalités. Le recours croissant à l’intelligence artificielle dans l’éducation soulève aussi des questions sur la place du savoir humain et le risque d’une dépendance excessive à ces outils automatisés. Si l’IA peut faciliter l’apprentissage, elle ne saurait remplacer les capacités critiques et analytiques indispensables à une société résiliente.

Au-delà de l’emploi, c’est toute la structure économique et sociale qui est mise à l’épreuve par ces transformations. La Guadeloupe a longtemps cultivé un fort sentiment de solidarité collective, hérité de son histoire marquée par les luttes sociales et identitaires. Or, la montée de l’individualisme induit par l’économie numérique et la précarisation croissante des emplois tendent à fragiliser ce socle social. Les plateformes numériques favorisent un modèle de travail plus instable, où les protections sociales sont moindres et où l’incertitude pèse davantage sur les travailleurs.

Cette dynamique alimente un sentiment d’insécurité économique, accentuant le fossé entre ceux qui parviennent à s’adapter aux évolutions du marché et ceux qui risquent d’en être exclus. Par ailleurs, le départ massif des jeunes diplômés vers la France hexagonale ou l’étranger illustre bien la difficulté pour une nouvelle génération de trouver sa place dans une économie locale en retard d’une mutation.

La transformation numérique s’accompagne également de tensions identitaires croissantes. L’arrivée de travailleurs qualifiés extérieurs, notamment en provenance de la France hexagonale, est perçue par une partie de la population comme une nouvelle forme de domination économique, ravivant le spectre d’un néo-colonialisme.

La perception d’un accès inégal à l’emploi, combinée à la crainte d’une dilution culturelle, nourrit un malaise profond qui pourrait se traduire par une montée des revendications sociales et une défiance accrue envers les institutions publiques et privées. Cette situation est d’autant plus préoccupante que certains secteurs sont déjà marqués par des conflits sociaux liés aux conditions de travail et à la répartition des postes stratégiques.

Dans ce contexte, la question de la diversification économique devient cruciale. La Guadeloupe, encore trop dépendante de l’agriculture, du tourisme et de l’administration, doit impérativement encourager l’émergence d’un secteur technologique local. La création de start-ups spécialisées dans le numérique et l’IA représente une voie prometteuse, mais elle nécessite un accompagnement adapté et des investissements ciblés.

L’innovation doit être pensée comme un levier de développement durable, intégrant les spécificités culturelles et économiques de l’île. Pourtant, sans une stratégie claire et concertée, le risque est grand de voir l’économie numérique se développer de manière inégalitaire, au profit d’une minorité et au détriment du plus grand nombre.

Le rôle des pouvoirs publics sera déterminant pour assurer une transition équilibrée et inclusive. Des politiques ambitieuses doivent être mises en place pour garantir l’accès à la formation continue, protéger les travailleurs les plus vulnérables et favoriser l’essor d’une économie locale résiliente.

Une régulation plus stricte du marché du travail pourrait également être envisagée pour éviter une précarisation excessive des emplois et assurer une meilleure reconnaissance des compétences locales. Mais au-delà des mesures économiques, c’est un véritable projet de société qu’il faut repenser, en intégrant les mutations technologiques sans sacrifier les valeurs et l’identité guadeloupéennes.

L’avenir de la Guadeloupe ne peut se résumer à une simple adaptation aux progrès technologiques. Il s’agit d’une refondation en profondeur, impliquant une réflexion collective sur le modèle de développement à privilégier. L’intelligence artificielle et l’automatisation ne doivent pas être perçues uniquement comme des menaces, mais comme des outils à maîtriser pour construire une économie plus robuste et inclusive.

Cependant, cette transition ne pourra se faire sans un engagement fort des acteurs locaux, une vision politique claire et une volonté de préserver l’équilibre social face aux défis du XXIe siècle. L’heure n’est plus à la contemplation des changements en cours, mais à une action concertée pour éviter que la modernité ne se fasse au détriment de ceux qui en subissent déjà les conséquences.

« Sé dèyè bwa ki ni bwa »

Traduction littérale : Derrière les bois, il y a encore des bois. 

Moralité : Se dit d’une tâche dont on arrive pas à voir le bout car on l’a sous-estimée.

*Economiste 

Facebook
Twitter
LinkedIn
WhatsApp
Email

Actualité

Politique

Economie

CULTURE

LES BONS PLANS​