Petit à petit, Port-au-Prince, la capitale politique et économique sombre.
Petit à petit, Port-au-Prince, la capitale politique et économique sombre. Il n’y a pas encore de débandade similaire à la prise de Kaboul par les talibans. Mais, mètre par mètre, Viv Ansan m grignote du territoire. L’ONU estime que cette coalition contrôle 80 % de la capitale.
Le gouvernement de Alix Didier Fils-Aimé, comme celui de Garry Conille, de Ariel Henry, de Claude Joseph cède du territoire, des espaces censés être sous son autorité, sous sa responsabilité. L’exécutif a abandonné depuis presqu’un an son siège.
Au Champs de Mars, le Palais national, comme le quartier général des FAD’H, sont en zone rouge, zone encerclée, zone assiégée. La cour de cassation, la CSC/CA ont « brote », eux-aussi.
Le siège de l’exécutif est à la Villa d’Accueil, aux frontières de Pétion-Ville, devenu un îlot, encerclé de toutes parts. La télévision nationale est à quelques encablures de la VAR, non loin de Delmas 30. Plus au Nord de la TNH, à Delmas, il y a l’aéroport international Toussaint-Louverture, le quartier général de la PNH et les baraquements de la MMAS.
A Tabarre et à Pernier, la PNH et les FAD’H ont des bases considérées soit comme encerclées, soit en territoire hostile. La résistance des policiers et militaires, héroïque, est cependant enrobée de quelque chose qui tiendrait presque du miracle.
Qu’à cela ne tienne, en cette mi-mars, les craintes d’effondrement des institutions sécuritaires évoquées début janvier par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, doivent trotter dans les têtes.
Si certains sont persuadés que nos chefs vivent dans un univers parallèle, sont dans une forme de déni du craquement des piliers qui tiennent encore debout l’ordre actuel, d’autres regrettent que le pays n’ait pas le leadership adéquat, celui d’un Churchill, capable d’appeler à la conscription des hommes, des femmes et à la mobilisation des ressources matérielles privées au service d’un effort coordonnées, organisés, pour sauver des vies et des communautés dont le destin semble être scellé.
« Je n’ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur », avait dit Winston Churchill le 13 mai 1940 dans son premier discours devant la Chambre des communes, après sa nomination au poste de Premier ministre du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale.
Nos chefs ne sont pas faits de cette étoffe. Ils sont obnubilés par le pouvoir, participent à cette honteuse chaise musicale alors que Viv Ansanm tuent, brûlent et terrorisent des communautés.
Le pays a des chefs sans leadership à l’un des pires périodes de son histoire. Ils ne peuvent pas appeler le peuple, les hommes et les femmes de tous les départements à s’organiser dans un effort de guerre contre la violence aveugle, contre ce mal qui ronge Port-au-Prince.
Si avec Port-au-Prince le pays mis en dehors a des contentieux légitimes, séculaires à vider, rien ne devrait justifier l’attentisme, l’indifférence et l’amusement ignobles de certains habitants de la province au sort fait à des gens de Port-au-Prince.
Ils oublient que des millions d’habitants de la capitale ont leurs racines en province. L’enjeu est taillé pour justifier cette implication citoyenne, dans le cadre de la loi et des conventions internationales dans l’effort pour mettre en déroute la coalition Viv Ansan m.
Qu’impliquerait la prise de Port-au-Prince par cette coalition pour les états-majors de la PNH, des FAD’H, leurs éléments, pour les infrastructures sécuritaires à Port-au-Prince et en régions, pour les médias d’état, l’aéroport international Toussaint Louverture, le port de Port-au-Prince, la banque centrale ?
Face au renoncement, à la lâcheté des uns et au cynisme des autres, le pire est toujours possible en Haïti.
Si les armes se fraient la route vers le pouvoir politique, qu’adviendrait Haïti ?
Serions-nous à l’abri des conflits de nouvelles factions dominantes au pouvoir ?
Serions-nous mis au banc des nations ?
Est-ce que l’on verra des diplomates serrer la main aux nouveaux chefs, nos anciens bourreaux ?
Chacune de ces questions porte en elle quelque chose de profondément troublant.
Parce qu’il faut redire qu’il appartient aux Haïtiens de prendre en main leur destin, ce rappel n’est pas inutile. Lors de sa visite en République dominicaine en février dernier, le secrétaire d’Etat Américain, Marco Rubio, avait indiqué « la solution pour Haïti est entre les mains du peuple Haïtien ». « Malheureusement, aujourd’hui, une grande partie du territoire est sous le contrôle de gangs armés et dangereux, et nous devons y faire face. Le premier objectif est de rétablir la paix, et c’est l’objectif de la mission (MMAS), une mission que nous continuerons à soutenir », avait ajouté le secrétaire d’Etat américain.
Le temps passe, nos rues sont vidées, des cadavres sont laissés à des chiens devenus obèses. Et revient la question : qu’est-ce que l’on doit faire lorsque les élites dansent et festoient dans la maison Haiti qui est la proie des flammes ?
Comment inventer dans l’urgence ce leadership, organiser cette résistance au pire que l’on ne doit pas accepter comme une fatalité ?
Il est certain que les Haïtiens sont attendus au tournant. Ils doivent trouver en eux l’énergie d’un sursaut tourner la page du cynisme, de l’inefficacité, du faire semblant avec CPT/PM qui va dans le mur. A moins d’un miracle, il est évident que les objectifs de cette transition ne seront pas atteints avant le 7 février 2026. Les affabulateurs et charmeurs de serpents peuvent prétendre le contraire.
Mais l’histoire a la tête dure. Le principal défi est comment opérer les nécessaires changements sans créer un vacuum, une dynamique qui serait profitable à Viv Ansanm et à ses alliés. C’est évident qu’il est risqué d’effectuer des changements en temps de crise. Mais il ne faut surtout pas se tromper sur le choix de laisser perdurer les crises pour rendre impossible et dangereux de nécessaires changements.
Source : Le Nouvelliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/254223/port-au-prince-peut-tomber-totalement