Opinion. Les nouveaux enjeux géopolitiques ne vont-ils pas sceller le sort de la revendication d’autonomie aux Antilles-Guyane ?

PAR JEAN-MARIE NOL*

Le revirement stratégique de l’État français sur la question de l’évolution statutaire des territoires d’Outre-mer, en particulier des Antilles et de la Guyane, s’inscrit dans une reconfiguration plus large des rapports de force internationaux.

Longtemps évoquée comme une possibilité par Emmanuel Macron lui-même, l’idée d’une autonomie élargie pour ces territoires semble aujourd’hui en haut lieu définitivement écartée. Ce changement de cap ne relève pas d’un simple revirement idéologique ou d’un renoncement politique, mais bien d’une prise en compte plus large des enjeux géopolitiques et économiques qui redessinnent la carte des influences mondiales.

Historiquement, la relation entre la France et ses territoires d’outre-mer a oscillé entre intégration et autonomie. D’un point de vue institutionnel, ces territoires sont régis par deux grandes catégories juridiques : les départements et régions d’outre-mer (DROM), soumis au droit français de l’article 73 et européen, et les collectivités d’outre-mer (COM) bénéficiant d’une plus grande autonomie avec l’article 74 , avec un gouvernement et une assemblée propres. Ce modèle institutionnel a permis à la France de maintenir son influence sur ces territoires tout en leur laissant une marge de gestion locale du fait de la décentralisation.

Pourtant, l’idée d’une autonomie accrue, notamment pour la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, a longtemps été un sujet de discussions politiques. Le président Emmanuel Macron, en réponse aux revendications locales et dans un souci d’apaisement des tensions identitaires , s’était jusqu’à lors montré ouvert à des évolutions statutaires. Mais, ce discours s’est heurté à un brusque réalignement stratégique dicté par un nouvel environnement international en pleine mutation.

La montée en puissance des ambitions expansionnistes des grandes puissances, notamment les États-Unis et la Chine, a contribué à faire de l’outre-mer un enjeu stratégique de premier plan. À l’heure où les océans et l’espace deviennent un terrain majeur de compétition pour les ressources, la souveraineté et le commerce, les territoires ultramarins français offrent un atout considérable. Grâce à eux, la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, représentant plus de 10 millions de kilomètres carrés. Cette présence mondiale confère à l’Hexagone un levier géopolitique unique, mais aussi une responsabilité accrue dans la défense et la protection de ces espaces.

L’exemple des velléités expansionnistes de Donald Trump, qui s’était intéressé au Groenland , au Canada, à Gaza ou encore au canal de Panama, illustre bien cette dynamique de compétition territoriale. Dans ce contexte, toute évolution institutionnelle qui pourrait affaiblir le contrôle de la France sur ses territoires d’outre-mer est maintenant perçue comme un risque stratégique majeur. Selon le quai d’Orsay et Bercy l’autonomie pourrait, à terme, ouvrir la voie à des revendications indépendantistes, menaçant ainsi l’intégrité du territoire français et sa projection internationale.

Le président Emmanuel Macron et son gouvernement semblent aujourd’hui convaincus que toute réforme institutionnelle facilitant une plus grande autonomie reviendrait à fragiliser à terme la présence française dans ces régions, et donc à affaiblir sa position dans le nouvel échiquier mondial.

La maritimisation croissante des échanges et l’importance de la maîtrise de l’espace avec le centre spatial de Kourou en Guyane et les risques de conflits actuels accentuent cette nécessité de contrôle. Si, autrefois, l’éloignement géographique constituait une barrière naturelle contre les ingérences étrangères, ce n’est plus le cas aujourd’hui avec les nouvelles technologies . La présence militaire, la souveraineté maritime et la maîtrise des ressources naturelles sont devenues des impératifs stratégiques.

Dans cette optique, selon France stratégie la France ne peut se permettre de voir ses territoires ultramarins échapper à son influence directe, d’autant plus que d’autres puissances cherchent à renforcer leur présence dans les océans et l’espace. La Chine, notamment, multiplie ses investissements dans la région Caraïbes, le Pacifique et l’océan Indien, menaçant l’équilibre géopolitique traditionnel. Dans le même temps, les États-Unis n’ont jamais abandonné leur logique d’expansion et d’affirmation de leur influence, notamment dans la zone caraïbe qu’il considère comme leur chasse gardée.

Ainsi, loin d’être un simple revirement politique, la décision de l’exécutif français de freiner toute évolution statutaire en faveur de l’autonomie des Antilles et de la Guyane s’inscrit dans une stratégie de protection de ses intérêts géopolitiques. Il ne s’agit plus seulement de répondre aux aspirations locales, mais de garantir que ces territoires ne deviennent pas des points de fragilité dans un contexte international tendu. Ce nouveau choix stratégique illustre une prise de conscience plus large des enjeux de souveraineté et de puissance dans un monde où les frontières maritimes et l’espace sont devenues les nouveaux champs de bataille de l’influence internationale.

 » A pa jiwèt ka touné, sé van « . 

Traduction littérale :Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent. 

Moralité : il ne faut pas se fier aux apparences et encore moins aux bonnes paroles.

*Economiste et chroniqueur politique 

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