PAR JEAN-MARIE NOL*
La situation économique actuelle de la France, caractérisée par une contraction marquée de l’activité du secteur privé, soulève de vives inquiétudes non seulement pour l’Hexagone mais aussi pour ses territoires d’outre-mer, en particulier la Guadeloupe. L’indice PMI Flash de S&P Global et de la Hamburg Commercial Bank (HCOB), qui s’est effondré à 44,5 en février contre 47,6 en janvier, illustre un ralentissement prononcé de l’économie française.
Un indice inférieur à 50 signale en effet une contraction de l’activité, et ce niveau constitue un plus bas de 17 mois, traduisant une fragilité accrue de la dynamique économique nationale. Cette situation, si elle persiste, risque de se propager comme une tâche d’huile aux Antilles françaises, où l’économie guadeloupéenne pourrait se trouver particulièrement exposée.
Le Dr Tariq Kamal Chaudhry, économiste à la HCOB, indique que ces chiffres ne laissent guère entrevoir une sortie de la récession en France. Bien que le gouvernement espère encore atteindre une croissance du PIB de 0,9 % en 2025, le consensus des économistes est plus prudent avec une prévision de seulement 0,7 %. Ce décalage traduit un optimisme relatif du gouvernement, qui pourrait se heurter à la réalité d’une économie en perte de vitesse, en particulier dans le secteur des services.
En effet, ce dernier a enregistré un repli significatif de son activité en février, avec un indice à 44,5 contre 48,2 en janvier, tandis que la production manufacturière, bien qu’en légère amélioration, reste également en zone de contraction à 44,6. La baisse de la demande de biens manufacturés et de services souligne un affaiblissement général du tissu économique français, accompagné d’une dégradation du climat de l’emploi, marqué par la plus forte baisse d’effectifs dans le secteur privé depuis août 2020.
L’adoption du budget 2025 par le gouvernement, obtenue grâce au recours à l’article 49.3 de la Constitution, n’a pas suffi à restaurer la confiance économique. Cette manœuvre parlementaire, bien que permettant d’éviter une impasse institutionnelle, ne garantit pas de stabilité politique à long terme. Au contraire, elle témoigne de la fragilité du gouvernement, qui demeure vulnérable à une éventuelle motion de censure.
L’instabilité politique persistante pèse ainsi sur les perspectives économiques françaises, nourrissant un climat d’incertitude qui se répercute nécessairement sur les territoires d’outre-mer. Certains économistes Dany pointent également une insuffisance prévisible de la demande en Guadeloupe. « Les carnets de commande sont vides, notamment dans le secteur du BTP, exposent-t-ils. Les entreprises ont attendu mais voient que la conjoncture n’est pas près de s’améliorer donc elles vont licencier. »
La Guadeloupe, en tant que département d’outre-mer, dépend étroitement de l’économie métropolitaine. Cette dépendance se manifeste à plusieurs niveaux : transferts publics, échanges commerciaux et flux touristiques. Une dégradation de l’activité économique en France se traduit souvent par une diminution des dotations budgétaires allouées aux collectivités locales ultramarines, ce qui peut restreindre leur capacité d’investissement et de soutien à l’économie locale.
Les entreprises guadeloupéennes, notamment celles opérant dans le commerce et les services, pourraient également pâtir d’une baisse de la consommation en France hexagonale , celle-ci étant souvent un moteur des exportations locales, notamment dans les secteurs agroalimentaire et artisanal.
Par ailleurs, le tourisme, pilier de l’économie guadeloupéenne, pourrait souffrir d’une baisse de fréquentation si les ménages français réduisent leurs dépenses de loisirs en période d’incertitude économique. La capacité des entreprises locales à maintenir leurs emplois et à préserver leur rentabilité serait ainsi directement menacée, exacerbant un marché du travail déjà fragile et marqué par un taux de chômage structurellement élevé.
En outre, la Guadeloupe pourrait également subir les effets indirects de la faiblesse de l’activité économique en France sur le plan des investissements publics. Les projets d’infrastructure, souvent financés par l’État ou l’Union européenne avec une participation française, pourraient être ralentis ou reportés en cas de contraintes budgétaires accrues en France . Une telle situation limiterait non seulement les perspectives de croissance à court terme, mais affaiblirait aussi le potentiel de développement à moyen et long terme de l’économie guadeloupéenne.
Alors que l’activité économique redémarre timidement dans la zone euro, avec un indice PMI global à 50,2, la France semble peiner à suivre cette dynamique européenne. Cette divergence pourrait affaiblir encore davantage la position de l’économie française au sein de l’Union européenne et, par extension, celle de la Guadeloupe, dont l’économie bénéficie également des fonds européens. Un affaiblissement de la voix française dans les négociations européennes pourrait ainsi compromettre les soutiens financiers et les programmes de développement destinés aux territoires ultramarins.
Enfin, la montée des incertitudes politiques en France, conjuguée aux menaces commerciales internationales, comme celles des droits de douane américains, pourrait créer un environnement économique mondial plus hostile. La Guadeloupe, du fait de sa situation géographique et de son ouverture internationale limitée, pourrait éprouver des difficultés à diversifier ses partenaires économiques pour compenser une baisse des échanges avec la France.
En somme, la fragilité économique actuelle de la France pourrait rapidement se répercuter sur la Guadeloupe, mettant en lumière la vulnérabilité des économies insulaires face aux chocs exogènes.
Face à cette situation, il paraît crucial pour les acteurs économiques et politiques guadeloupéens d’adopter une stratégie proactive visant à renforcer l’autonomie économique du territoire, à diversifier ses sources de revenus et à développer de nouvelles opportunités économiques, notamment à travers une meilleure intégration régionale dans la Caraïbe et surtout l’Amérique du Nord .
*Economiste