Guadeloupe. La Cour d’appel a fait sa rentrée avec des idées novatrices et prometteuses

En janvier, chaque année, les chefs de cours organisent avec les procureurs une cérémonie solennelle — mais pas trop — au cours de laquelle le plus haut gradé des magistrats du siège et le plus haut gradé des magistrats du parquet présentent le bilan de l’année écoulée et se projettent dans l’année nouvelle pour dire ce qu’il vont faire pour améliorer les choses.

Michaël Janas, Premier président de la Cour d’appel de Basse-Terre, entouré des magistrats du siège, conseillers, et Eric Maurel, Procureur général, accompagné de l’avocate générale Hélène Morton, des substituts, magistrats du parquet, ont chacun à leur tour présenté leur bilan.

L’un pour dire combien de dossier ont été étudiés et jugés, se félicitant qu’au civil, au commercial, au social, les stocks d’affaires à juger diminuent, signe que les délais se raccourcissent, signe que les magistrats travaillent vite et bien. « En seulement trois ans, le stock des affaires en attente a diminué de 20%, passant de 1 375 en 2022 à 1 102 aujourd’hui », a dit M. Janas.

Au pénal, c’est une autre histoire : « Nous sommes submergés par les procédures et nous peinons à faire face à une activité très soutenue. » Pour tenir le rythme des audiences supplémentaires ont été lancées tout comme des audiences de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité « pour diversifier notre réponse pénale », précise M. Janas.

« Notre cour d’assises siège en permanence pour absorber les très nombreux crimes commis sur notre ressort et nos délais de traitement sont remarquables si l’on se compare aux autres cour d’appel submergées. »

Michaël Janas souligne que le budget de la Justice est le 18e de l’Union européenne… 77 euros par habitant contre 136 euros en Allemagne !

M. Janas a décidé de ne pas baisser les bras et il a trouvé pour le soutenir dans son combat quotidien une force de la nature — qui revient d’un stage légionnaire en Guyane, quelques jours au fond de la jungle hostile. Eric Maurel, Procureur général a pris le relais pour requérir.

Le Procureur général Eric Maurel, l’avocate générale Hélène Morton et les susbtituts généraux.

Tableau saisissant de la criminalité dans l’archipel Guadeloupe.

« La Guadeloupe reste au deuxième rang national pour le nombre d’homicides, avec 33 homicides en 2024, dont environ 9% en lien direct avec les règlements d comptes des gangs ou avec le narcotrafic. 22% de ces homicides ont été commis avec une arme à feu.
La Guadeloupe reste au troisième rang national pour les vols à main armée avec environ 450 vols à main armée dont la moitié avec des armes à feu .
Il en ressort que Saint-Martin a un taux d’homicide 21 fois supérieur à la moyenne nationale, de vols à main armée 48 fois supérieur à la moyenne nationale. »

Eric Maurel expliquait que ces chiffres ne reflètent pas réellement l’activité criminelle, puisqu’il y a une correctionnalisation massive des faits. Des chiffres qui baissaient en 2023 pour remonter de plus belle en 2024.

« Les procureurs de la République m’ont alerté, notamment à Pointe-à-Pitre, sur l’accroissement et l’aggravation de la délinquance des mineurs, mais aussi sur l’accroissement de plus de 30% des procédures criminelles dont ont été saisis les juges d’instruction. »

Les chiffres donnés par Eric Maurel sont glaçants : les magistrats ont été confrontés, en 2024, à un homicide tous les 11 jours, « pour l’année 2025, nous en sommes à six homicides en 16 jours », un vol à main armée tous les 1,25 jour.

Pour ce qui est de la violence routière, un mort tous les 6,5 jours.

« Dans cet affichage macabre, concluait M. Maurel, on oublie toujours ceux qui sont morts bien plus tard de leurs blessures, ceux qui sont mutilés ou handicapés à vie et dont l’espérance de vie a peut-être été écourtée. »

Open justice : ouvrir le monde judiciaire
par un meilleur accueil et ouvrir ce monde
à de jeunes étudiants en droit antillais

Le procureur général a esquissé l’idée d’open justice, chère aux deux hauts magistrats puisqu’avec Mickaël Janas, ils sont déterminés à ouvrir les portes des tribunaux.

Comment ? M. Maurel a dit les difficultés pour des personnes à mobilité réduite d’accéder à la cour d’appel, au tribunal de Basse-Terre — celui de Pointe-à-Pitre est plus moderne. Mais, cette difficulté est aussi pour les victimes qui, parfois, se retrouvent sur le même banc que l’auteur des faits, faute d’espace dédié. A Pointe-à-Pitre il y a depuis peu un salon dédié où les victimes peuvent attendre dans une relative quiétude le moment de témoigner sans savoir leur tourmenteur à quelques centimètres de leurs yeux.

L’open justice c’est d’ouvrir les cours et tribunaux au public par des aménagements et un meilleur accueil.

Pour cela, Eric Maurel et Michael Janas ont décidé, avec l’ensemble des magistrats, des avocats, l’Université Antilles-Guyane, de réaliser un sondage, questionnaire qui sera mené par des étudiants en droit de Fouillole, munis d’une quarantaine de questions à poser à ceux qui fréquentent les tribunaux, sur l’accueil, les temps d’attente, l’attitude des magistrats, etc.

Ces questionnaires seront ensuite dépouillés et des synthèses réalisées dont les réponses permettront d’améliorer l’accueil des justiciables et citoyens. Les réponses pourront faire l’objet d’un travail d’étude pour les jeunes étudiants de Fouillole.

Un comité d’usagers sera installé en juin qui sera comme tous les comité de sages chargé d’édifier les chefs de cours sur les mesures d’amélioration de la justice.

il y aura aussi un conseil de juridiction mis en place, comprenant des magistrats, des élus, des personnalités qualifiées pour parler justice.

Michael Janas :

Et puis, parce qu’il faut bien se rendre compte en regardant les composition de cours et tribunaux, que les magistrats soient du siège ou du parquet, que les Antillais sont rares, Eric Maurel et Michael Janas ont décidé de faire bouger les lignes.

Parce que ça n’est pas normal, les deux magistrats ont sondé les étudiants antillais afin de savoir pourquoi. Il en ressort que ceux-ci pensent que « ce n’est pas pour eux » pour diverses raisons : il faut aller étudier dans l’Hexagone, souvent dans des facultés de droit de bonne réputation (Bordeaux, Aix-en-Provence, entre autres), ou à Science Po, pour avoir le maximum de chance de réussir le concours d’entrée à l’Ecole nationale de la Magistrature (ENM); aller étudier là-bas, ça coute : il faut se loger, se nourrir… et puis, certains étudiants n’ont pas manqué de dire que leur origine pouvait être un handicap dans des facultés où aujourd’hui encore si l’on vient d’une famille aux revenus confortables c’est plus facile de faire une percée puisqu’on n’a pas de soucis matériels ni existentiels.

Eric Maurel n’a pas supporté que ces jeunes étudiants antillais, souvent brillants, pensent que la magistrature, les hautes fonctions judiciaires, ne sont pas pour eux. « Nous allons casser une autocensure qui n’a pas lieu d’être ! »

Prenant son bâton de pélerin, il est allé avec Mickael Janas rencontrer les directeurs de l’ENM pour leur soumettre l’idée de faire un cycle de formation en Guadeloupe, avec l’Université des Antilles, pour préparer les étudiants au concours d’entrée. Le nom de ce cycle, Prépa Talents, est significatif. Les enseignants seront les professeurs de droits, les magistrats volontaires. Reste à trouver des fonds, mais le dossier avance.

Eric Maurel :

Tout ceci a été expliqué au public de cette audience de rentrée, devant le préfet de Région Xavier Lefort, le général de gendarmerie Christophe Perret, l’évêque, Mgr Philippe Giougou, des représentants de la Région et du Département, le maire de Basse-Terre, André Atallah, la bâtonnière Marie-Michèle Hildebert, et de nombreux avocats.

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