PAR GABRIEL SERVILLE*
Le 7 septembre 2022 à l’Elysée, le président de la République déclarait devant les exécutifs des Outre-mer que les Territoires d’Outre-mer étaient arrivés au bout d’un cycle et qu’il fallait changer de logiciel.
Ces messages avaient été perçus comme une volonté sincère du président de répondre, enfin, aux attentes des exécutifs qui sollicitaient un changement dans les relations entre Paris et les capitales de ces territoires éloignés.
Depuis, c’est un très lourd silence qui accompagne les différentes demandes exprimées par ces territoires lointains.
Alors, pour tenter de mieux comprendre, nous avons jeté un regard sur le texte fondamental qu’est la Constitution de 1958, et notamment son préambule, identifié par les constitutionnalistes comme étant le siège des droits et libertés constitutionnellement garantis.
Ce préambule formé de deux alinéas donne le sentiment de placer sur un même niveau de préoccupation, d’un côté la déclaration des droits de l’homme de 1789 et la charte de l’environnement de 2004, et de l’autre une attention très poussée en direction des Collectivités d’Outre- mer en son alinéa 2.
Sa lecture est édifiante puisqu’elle met en lumière une contradiction flagrante dans le sens où le premier alinéa évoque LE peuple français, tandis que le second évoque LES peuples des territoires d’Outre-mer.
Cette rédaction laisse sous-entendre que ces derniers ne font pas partie du peuple français, et que ces habitants pourraient donc être assimilés à des citoyens de seconde zone, relevant par ailleurs de collectivités non abouties qui ne partageraient pas la devise républicaine puisque ce deuxième alinéa est rédigé comme suit : « en vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’Outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ».
De fait, nous sommes fondés à nous questionner sur la véritable pertinence du premier alinéa de l’article 72-3 qui dispose « la République reconnait, au sein du peuple Français, les populations d’Outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ». Cet article, de moindre portée que le préambule, fait donc disparaitre la notion de ‘peuples d’Outre-mer’ au bénéfice de la notion de ‘populations d’Outre-mer’
Il est regrettable que le préambule, clef de voûte de la constitution, et qui doit être un socle inébranlable, montre autant de fragilités et d’approximations.
En réalité, ce que sollicitent les habitants des Territoires d’Outre-mer depuis presque 70 ans, c’est simplement le respect de la loi fondamentale : qu’ils soient dotés d’institutions qui favorisent leur accès aux droits et libertés fondamentales au même titre que les autres citoyens de la République. Depuis près de de 70 ans, il a été démontré que le principe de la libre détermination des peuples n’a jamais été respecté par les gouvernements successifs.
Cette ambiguïté de rédaction n’est pas sans conséquence quant à la manière dont sont gouvernés ces territoires d’Outre-mer qui, par la voix de leurs élus et la société civile, confirment que la relation entretenue avec Paris est empreinte d’une trop forte dose de paternalisme, et trop souvent teintée de relents d’un colonialisme que l’on croyait aboli.
Les conséquences se lisent dans un sous-développement chronique, notamment du point de vue économique.
C’est pourquoi nous évoquons l’urgente nécessité de faire évoluer à la fois le préambule et le corps même de la constitution qui doivent demeurer nos seules boussoles. Nous devrons donc nous attacher à « décolonialiser » la rédaction de cette Constitution de 1958, en y retranchant tous les éléments et autres principes qui confinent encore ces territoires d’Outre-mer à des statuts de colonies auxquelles on donne la becquée pour qu’elles se taisent.
Enfin, si par un pur bonheur, certains constitutionnalistes viendraient à préciser que le deuxième alinéa avait rédigé pour mieux organiser les décolonisations des années soixante, il faudra qu’ils nous expliquent les raisons pour lesquelles cette rédaction perdure encore aujourd’hui alors qu’entre 1958 et 2024 la constitution a été révisée 25 fois. Autrement dit, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué pour la débarrasser de cette scorie.
La Guyane, pour sa part, s’est dotée en 2023, d’un projet d’évolution institutionnelle vers une autonomie inscrite dans la Constitution*.
La demande guyanaise porte, aujourd’hui, sur un accord avec le Gouvernement sur des écritures constitutionnelles, dans le cadre de la poursuite des négociations engagées avec l’ex-ministre de l’Intérieur et des Outre-mer, M. Gerald Darmanin, le 19 octobre 2022.
Par voie de conséquence, la Guyane s’interroge quant à sa participation à un énième CIOM** dont on sait que les conclusions, aussi intéressantes qu’elles pourraient être, ne seront jamais à la hauteur des espoirs portés par ses élus et sa population.
*https://www.ctguyane.fr/a-lire-document-dorientations-relatif-a-levolution-institutionnelle-de-la- guyane/
**CIOM : Comité Interministériel des Outre-Mer
*Ancien député de 2012- 2021
Président de la Collectivité Territoriale de Guyane