PAR JEAN-MARIE NOL*
La colonisation a toujours été un phénomène ancré dans des motivations économiques.
Les grandes puissances européennes des XVIIᵉ et XIXᵉ siècles se sont lancées dans une quête effrénée de territoires, guidées par la nécessité d’accéder à des ressources naturelles et de développer des marchés captifs pour leurs produits manufacturés. Le commerce triangulaire, l’exploitation des matières premières – qu’il s’agisse du pétrole, du caoutchouc, de l’or, ou encore des denrées comme le café et le sucre – a nourri l’essor des empires coloniaux. Mais au-delà de ces moteurs économiques, les entreprises coloniales ont été justifiées par des discours idéologiques, notamment la « mission civilisatrice », qui dissimulaient une volonté d’hégémonie et d’exploitation.
Ces logiques ont laissé un héritage d’inégalités mondiales et de dépendances structurelles qui continuent de marquer l’ordre international.
Aujourd’hui, un faisceau de facteurs géopolitiques, économiques et technologiques suggère que nous pourrions assister à une nouvelle vague coloniale, d’une nature certes différente, mais tout aussi coercitive. Si les méthodes de conquête directe des siècles passés semblent dépassées, elles pourraient être remplacées par des formes plus subtiles de domination économique, technologique et militaire.
Le monde actuel présente des similitudes troublantes avec les conditions historiques ayant conduit aux vagues coloniales. La reconfiguration géopolitique symbolisée par l’émergence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), qui représentent aujourd’hui 51 % de la population mondiale et 40 % du PIB global, redéfinit les rapports de force. L’adhésion de l’Indonésie au bloc en 2025 illustre ce basculement.
Ce groupe contestataire cherche à réduire la dépendance mondiale au dollar et à s’imposer comme une alternative aux institutions dominées par l’Occident. Mais cette réorganisation risque d’intensifier les rivalités économiques et militaires, tout en exacerbant les convoitises sur les ressources stratégiques.
La transition énergétique, essentielle pour faire face à la crise climatique, en est un exemple frappant. Les métaux rares comme le lithium, le cobalt ou le nickel sont devenus des ressources cruciales pour alimenter les technologies vertes et numériques.
Les régions riches en ces matières premières, notamment l’Afrique et l’Amérique latine, sont une fois encore au centre des convoitises. Dans le contexte de la rivalité entre grandes puissances (Occident vs BRICS), la maîtrise des ressources stratégiques des fonds marins pourrait devenir un élément clé des rapports de force mondiaux dans la région Caraïbe.
Des pays comme la Chine, qui investissent déjà massivement dans la recherche et l’exploitation minière sous-marine, pourraient s’intéresser à la région des Caraïbes, suscitant des tensions avec les puissances traditionnelles comme les États-Unis ou la France. Cette compétition pourrait renforcer l’instabilité régionale et créer une dépendance accrue des pays locaux.
Les nodules polymétalliques et les sulfures de fer présents dans les grands fonds marins de la mer des Caraïbes, notamment autour de l’île de la Désirade en Guadeloupe, représentent des ressources stratégiques qui suscitent déjà l’intérêt des grandes puissances et des multinationales. Ces ressources, riches en métaux tels que le nickel, le cuivre, le cobalt, et des terres rares, sont indispensables à de nombreuses industries modernes, notamment celles liées à la transition énergétique, à la technologie et à l’électronique.
De fait, il s’avère important de connaître comment ces richesses minières marines pourraient devenir un enjeu géopolitique majeur, entraînant des risques de tensions ou même une nouvelle forme de colonisation économique et technologique. En effet, derrière des discours sur le « partenariat » et le développement durable, des multinationales et des grandes puissances pourraient recourir à des moyens coercitifs pour s’assurer un accès exclusif à ces richesses.
Cependant, ce qui différencie cette phase émergente de colonisation des précédentes, c’est le rôle des nouvelles technologies. La robotisation et l’intelligence artificielle (IA) redéfinissent les rapports de force mondiaux. Ces avancées, qui transforment l’économie, la guerre et même les sociétés, pourraient devenir les leviers principaux d’une domination sans précédent. Les pays technologiquement avancés peuvent utiliser ces outils pour maintenir des rapports de dépendance économique et imposer leur agenda à des nations moins développées.
Les technologies permettent de contrôler la production industrielle, de surveiller les populations et même de manipuler l’information. Vladimir Poutine, par exemple, a affirmé que le leader de la maîtrise de l’IA déterminerait la nation dominante dans le monde du futur. Cette déclaration met en lumière un fait inquiétant : les nouvelles technologies ne se contentent pas de transformer le monde, elles peuvent également enchaîner des nations entières dans des relations de dépendance.
Les pays moins développés, souvent incapables de développer leurs propres infrastructures technologiques, se retrouvent à dépendre des grandes puissances pour des solutions numériques. Ces partenariats technologiques, bien qu’en apparence mutuellement bénéfiques, dissimulent souvent des stratégies de domination.
Les données collectées à travers ces infrastructures deviennent des ressources stratégiques permettant aux nations technologiquement avancées de manipuler les marchés, de surveiller les populations et de renforcer leur contrôle sur les économies locales.
Dans le domaine militaire, les avancées technologiques ouvrent également la voie à des formes de domination modernes. Les drones autonomes, les systèmes de cyberguerre et les armes basées sur l’IA permettent de mener des conflits asymétriques.
Ces technologies, qui réduisent les coûts humains et financiers des interventions armées, permettent aux puissances dominantes de contrôler des régions stratégiques sans recours à des occupations traditionnelles. Ces outils offrent une emprise durable, souvent invisible, sur des territoires et des populations.
Cette nouvelle forme de domination technologique rappelle les mécanismes de la colonisation classique, mais avec des outils plus sophistiqués. L’objectif reste le même : accéder aux ressources stratégiques et imposer des conditions économiques favorables aux puissances dominantes.
La robotisation, par exemple, facilite l’extraction des ressources naturelles dans des régions auparavant inaccessibles. Les grandes puissances, grâce à ces outils, peuvent exploiter les richesses locales tout en laissant les pays producteurs dans un état de dépendance chronique.
Dans un monde où les tensions géopolitiques s’intensifient, notamment entre les blocs occidentaux et les BRICS, la maîtrise des technologies de pointe est devenue l’enjeu central. Les nations qui domineront l’intelligence artificielle et la robotisation redéfiniront les règles du jeu mondial.
Mais, cette course effrénée accentue également les inégalités : les nations moins avancées technologiquement risquent de se retrouver piégées dans un nouveau cycle de dépendance, voire d’asservissement.
Cette dynamique pourrait bien inaugurer une quatrième vague de colonisation, où la technologie remplacerait les canons et les navires d’autrefois. Les nouvelles formes de domination seraient plus subtiles, mais tout aussi oppressives.
Les puissances technologiques pourraient imposer leurs normes, leurs infrastructures et leurs conditions économiques, reproduisant ainsi les schémas de dépendance caractéristiques des périodes coloniales.
Si cette évolution n’est pas maîtrisée, elle pourrait marquer une nouvelle ère d’inégalités mondiales. Les défis climatiques, la compétition pour les ressources stratégiques et la militarisation des technologies redéfiniront les rapports de force. La décennie à venir sera déterminante pour décider si ces outils serviront à promouvoir la coopération internationale ou à instaurer une nouvelle forme de colonisation et d’hégémonie mondiale.
Mais une chose est certaine : la maîtrise des nouvelles technologies, associée aux rivalités géopolitiques et économiques, constitue une menace sérieuse pour les idéaux d’équité et de justice.
« Asiré pa pétèt ! »
Traduction littérale : Sûr, pas peut-être !
Moralité : Il y a une différence entre ce qui est sûr, et ce qui n’est pas certain…
*Economiste