PAR TEDDY BERNADOTTE*
Le coût de la vie dans les territoires d’Outre-mer est au centre d’un débat qui s’intensifie depuis plusieurs décennies, amplifié par des crises successives.
La hausse des prix et la dépendance aux importations mettent en exergue les fragilités économiques locales, poussant à repenser les politiques économiques et à chercher des alternatives pour un modèle plus résilient.
Un bilan historique des crises
et leur impact sur l’économie locale
Depuis le cyclone Hugo en 1989 jusqu’à la crise sanitaire du COVID-19, plusieurs événements ont façonné le paysage alimentaire et économique ultramarin. Hugo a initié un recours massif aux produits importés, changeant durablement les habitudes de consommation. Puis, le scandale du chlordécone dans les années 1990 a exacerbé la défiance envers les produits locaux, transformant l’alimentation en enjeu de santé publique. La crise sociale de 2009, marquée par le mouvement LKP en Guadeloupe, a, quant à elle, soulevé des questions de fond sur la dépendance alimentaire et son impact sur le pouvoir d’achat.
Aujourd’hui, les acteurs locaux s’interrogent : est-il possible de réformer ce modèle, ou faut-il le réinventer de fond en comble ? Cette question divise les opinions et semble cristalliser deux approches principales.
I – Amender le système actuel : la voie de la réforme
Pour certains, l’objectif est de rendre le système existant plus équitable et accessible, notamment à travers des réformes ciblées. En 2024, certaines organisations défendent l’idée d’une adaptation du modèle économique en place, plutôt que de le renverser.
- Pour « un juste prix » : la revendication d’une parité de prix avec la métropole, bien que populaire, se heurte aux réalités logistiques et fiscales des territoires insulaires. Plutôt que d’exiger des prix identiques, la priorité est de garantir des marges commerciales raisonnables et transparentes.
- Une réforme de l’octroi de mer : cette taxe, bien que critiquée, est cruciale pour les collectivités d’Outre-mer en tant que principale source de revenus, finançant les services publics locaux. Une réforme concertée de l’octroi de mer pourrait renforcer l’économie sans menacer l’indépendance fiscale locale, en améliorant la transparence et en simplifiant son application.
- Concertation et transparence : le dialogue avec les acteurs locaux est essentiel pour adapter les politiques économiques aux réalités des territoires. Les collectivités et socioprofessionnels plaident pour une concertation élargie et véritablement inclusive, afin que les réformes servent le développement local.
II – Inventer un nouveau modèle : l’approche
radicale du changement de paradigme
A l’opposé, d’autres mouvement dont le LKP en Guadeloupe propose une rupture avec le modèle actuel en promouvant un modèle économique plus autonome, tendant à renforcer la capacité productive de l’échelon local pour limiter sa dépendance, fondé sur la production locale et la diversification des filières. Cette vision radicale suggère que la vie chère n’est pas qu’une question de prix, mais de dépendance structurelle à un modèle économique importé.
- Vers une consommation responsable : réduire la consommation de produits importés, privilégier les produits locaux et encourager une alimentation durable sont des priorités. Ce modèle appelle à une transition écologique, avec des choix de consommation axés sur la santé, l’autonomie alimentaire et la durabilité.
- Repenser le tissu économique local : la vie chère dépasse la seule question de l’alimentaire et concerne l’accès aux biens de première nécessité. Pour réduire cette dépendance, il est indispensable de repenser l’ensemble des secteurs économiques et de privilégier des circuits courts.
- La diversification agricole : sortir de la monoculture est un enjeu vital pour l’économie des territoires d’outre-mer. La révision du Programme d’Options Spécifiques à l’Éloignement et à l’Insularité (POSEI) avec l’Union européenne est fondamentale pour encourager des filières diversifiées, en particulier dans l’élevage, l’aquaculture et l’agriculture.
- Accélérer la transition vers des énergies renouvelables (géothermie, éolien, hydraulique, photovoltaïque) permettrait de réduire la dépendance aux importations d’hydrocarbures tout en abaissant les coûts pour les consommateurs.
- Poursuivre l’intégration régionale (Caraïbes) pourrait réduire les coûts d’importation en diversifiant les sources d’approvisionnement.
Vers un modèle d’avenir
La question de la vie chère est cruciale pour le quotidien des habitants d’outre-mer. Toutefois, le débat va bien au-delà : il s’agit de bâtir une économie autonome et durable, en conciliant les avancées modernes avec des valeurs d’humanisme et d’écologie. Alors que les tensions sur le coût de la vie persistent, les solutions émergent tant dans la réforme pragmatique que dans le renouvellement profond des pratiques économiques. Une convergence des approches pourrait permettre d’envisager un modèle hybride, combinant des réformes concrètes avec une transition vers une autonomie économique accrue.
Ainsi, le véritable enjeu sera peut-être moins d’obtenir un produit importé à prix réduit que de créer les conditions pour le produire localement et durablement. La question de la vie chère en Outre-mer devient alors le levier d’un développement équilibré et tourné vers l’avenir, offrant un champ immense à l’innovation et aux aspirations écologiques des nouvelles générations
*Directeur territorial, ancien directeur de cabinet du président de la Région Guadeloupe