Opinion. Hélas, hélas, hélas : la Guadeloupe pays mêlé !

PAR JEAN-MARIE NOL*

L’origine de  » Hélas, trois fois hélas !  » est ancienne. C’est vieux comme tout. Ces mots figurent dans un sonnet de Ronsard sur la mort du roi Charles IX ( » Comme une belle fleur… « ) qu’on trouve sur Google livres, mais le dictionnaire Littré cite une traduction de la Bible :  » Alors le roi d’Israël dit : hélas, hélas, hélas ! au moment de la perte de son royaume et de l’exil des juifs ». Mais, pour les guadeloupéens et surtout Martiniquais c’est surtout le souvenir du refrain d’une chanson empreinte de tristesse.

C’est à notre avis une exclamation qui exprime l’étonnement, la colère, la douleur et j’ai l’impression que le  » Hélas, trois fois hélas  » peut rendre compte de cette exclamation dans certains cas comme dans le combat inachevé contre la vie chère et vraisemblablement les errements et dérives des organisations syndicales en Guadeloupe. 

Les Antilles françaises, plus précisément la Guadeloupe et la Martinique, feront demain face à une crise économique, sociale et politique d’une ampleur sans précédent. Les récents événements marqués par des violences, des pillages et des destructions d’entreprises traduisent un profond malaise face à la vie chère et à l’avenir incertain de ces îles.

En Martinique, des tensions grandissantes se sont traduites par des actes violents contre des infrastructures et par des attaques verbales visant les Békés et les autorités nationales et locales. En Guadeloupe, la grève de la CGTG a entraîné des sabotages et coupures d’électricité intempestive , provoquant un « black-out » qui a paralysé toute l’île et provoqué des pillages et destructions d’entreprises.

Dans un contexte de revendications sociales et de perturbations économiques, ces événements rappellent l’agitation sociale de 2009, lorsque la population s’était déjà soulevée dans le contexte de la lutte contre la vie chère.

Ce climat social exacerbé est la manifestation d’une frustration identitaire persistante, alimentée par un sentiment d’abandon et de désillusion chez les Antillais, notamment face à des décennies de promesses non tenues et de perspectives d’amélioration qui n’ont jamais réellement vu le jour. Une grande partie de la population ne croit plus au changement et interprète les enjeux actuels à travers les prismes du passé, ne voyant plus de solutions autres que celles qu’ils ont déjà expérimentées, souvent sans succès.

Ce pessimisme ambiant accentue la polarisation des débats, tant sur les réseaux sociaux que dans les médias locaux. Les analyses rapides et les préjugés inconscients viennent alourdir un climat déjà délétère, qui rend difficile toute tentative d’avancer vers des solutions pérennes.

Au-delà des confrontations quotidiennes, se profile une inquiétude plus profonde concernant l’avenir économique et démographique de ces territoires. Les dernières études de l’Insee montrent une baisse significative de la population, particulièrement marquée chez les jeunes diplômés qui quittent massivement les îles pour l’Hexagone ou l’étranger. Cet exode a des conséquences directes sur l’économie locale, car ces jeunes, souvent les mieux formés, privent les Antilles de compétences essentielles au développement de nouveaux secteurs.

Ceux qui restent se retrouvent, pour certains, désœuvrés, en échec scolaire ou sans perspectives professionnelles, une situation qui nourrit des comportements déviants et des actes de violence qui secouent les Antilles depuis des années et qui vont en s’intensifiant.

À ce déclin démographique vient s’ajouter une crise économique structurelle. En Guadeloupe comme en Martinique, les entreprises locales peinent à attirer de nouveaux investissements, freinées par une situation d’instabilité, de conjoncture économique morose et un délitement social  progressif. L’hémorragie démographique, couplée au désinvestissement des entreprises, crée un climat où l’instabilité économique s’accentue, augmentant la dépendance vis-à-vis de la France hexagonale.

Cette dépendance devient préoccupante, car elle expose les Antilles aux soubresauts de l’économie française, sans que ces territoires aient les moyens de s’ajuster en cas de crise financière ou de tensions budgétaires . La grande distribution, souvent accusée de tirer profit de la situation en maintenant des prix élevés, est vue comme un acteur peu soucieux des réalités locales, alimentant ainsi la colère populaire et les ressentiments envers les pouvoirs publics.

Certains, cependant, espèrent toujours un renouveau à travers une politique de construction d’un nouveau modèle économique, bien que cela implique parfois des choix radicaux. Démolir pour reconstruire, repenser le modèle économique local, promouvoir les produits et services de proximité sont des pistes envisagées par quelques responsables et observateurs soucieux de l’avenir des Antilles.

Néanmoins, ces initiatives peinent à s’imposer face à un scepticisme généralisé et une déception amère envers la gouvernance locale. Les blocages et grèves récurrents, s’ils peuvent apparaître comme des outils de lutte légitime, freinent pourtant la croissance et affaiblissent encore un tissu économique déjà fragilisé.

Ainsi, face à un chômage persistant, à une productivité en baisse et à un coût de la vie qui s’envole, l’attachement à un mode de protestation fondé sur la radicalité semble privilégié mais néanmoins à terme selon moi contre-productif. La violence de certaines actions des jeunes notamment de beaucoup de délinquants et les initiatives de groupes radicaux dans leur lutte contre le « système » ont fini par engendrer un climat d’instabilité qui éloigne les investisseurs, fait fuir les jeunes talents et mine le moral des populations.

Ce « jusqu’au-boutisme » des idées, marqué par une approche anarcho-syndicaliste et populiste, incite certains groupes à privilégier une politique de la terre brûlée. Mais en sciant la branche sur laquelle ils sont assis, ces organisations syndicales et activistes risquent de précipiter l’implosion sociale et économique de la Guadeloupe et de la Martinique.

Les syndicats, dans leur quête de justice sociale, semblent parfois oublier les conséquences néfastes de leurs actions illégales et radicales sur le long terme pour les travailleurs locaux. Chaque fermeture d’entreprise ou repli d’investisseurs accentue le déclin, aggravant la marginalisation des plus vulnérables et fragilisant les bases même de l’économie antillaise. Si les revendications apportent parfois des gains à court terme, ceux-ci se heurtent souvent à la réalité brutale des faillites et des licenciements.

La situation actuelle en Martinique et en Guadeloupe illustre de manière poignante les défis auxquels sont confrontés ces territoires ultramarins, coincés entre le poids du passé et les incertitudes de l’avenir. L’avenir semble aujourd’hui grippé, tiraillé entre une crise de la vie chère et les enjeux à plus tard d’une quatrième révolution technologique, entre une population vieillissante et une jeunesse désabusée, entre une radicalisation des luttes sociales et une économie en déclin.

Dans cet environnement tendu, il est difficile de discerner une voie de sortie claire. Les Antilles françaises risquent de s’enfoncer dans un cercle vicieux de précarité, de désillusion et de violence, où le ressentiment face aux échecs du passé risque de bloquer toute avancée vers un avenir plus prometteur.

« A pa tala ki ka plenn plis, ki ka soufè plis »

Littéralement : Ce n’est pas celui qui se plaint le plus qui souffre le plus

Moralité : Les grandes douleurs sont muettes

*Economiste 

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