ENTRETIEN. « On devrait reconnaître le bien-fondé de nos avis plutôt que de les craindre », affirme Pierre Grimaud, président des chambres régionales et territoriales des comptes

Les chambres régionales des comptes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique et les chambres territoriales des comptes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin ont tenu une audience publique. A cette occasion, Pierre Grimaud, conseiller référendaire à la Cour des comptes, a été installé dans ses fonctions de président et Agnès Uger, vérificatrice, a prêté serment.

A l’issue de cette installation, M. Grimaud a répondu aux questions de la presse.

Est-il plus simple de contrôler, disons une grosse collectivité qui brasse plus d’un milliard d’euros de fonds publics ou… disons une petite commune, comme Vieux-Fort ?

Ça dépend de l’intensité que l’on veut donner au contrôle. Ça dépend de ce que l’on trouve dans les collectivités importantes et si elles sont bien gérées. Alors, il n’y a pas de réelle difficulté. C’est la même chose pour nous dans les petites collectivités.
Cependant, si c’est assez mal géré, nous aurons tendance à creuser un peu plus. Donc, en fait, il n’y a pas de temps imparti pour le contrôle si on veut qu’il soit bien fait. Cependant, il vaut mieux faire les contrôles assez rapidement afin que l’on puisse délivrer l’information. Quand je dis assez rapidement, c’est compte tenu des procédures qui augmentent le temps de sortie de l’avis.

Ces procédures, quelles sont-elles ?

 Ce sont les procédures contradictoires qui garantissent que quand le produit sort, normalement les choses sont bien dites, bien établies.

Le préfet vous transfère les comptes administratifs, les budgets primitifs des collectivités. Mais, pouvez-vous vous auto-saisir ?

Le programme d’une chambre régionale des comptes est fait d’abord de contrôles des comptes et de la gestion. Pour cela, nous construisons notre programme comme on le souhaite. C’est évidemment une auto-saisine quand le préfet souhaite qu’on rende un avis. Evidemment, il nous saisit. Donc là, ce n’est pas nous qui établissons le champ de contrôle des avis. Nous allons nous saisir, à la demande du préfet, des comptes administratifs, des budgets. Par ailleurs, nous avons notre champ de contrôle. Tous les ans, nous établissons un programme, nous nous auto-saisissons pour un certain nombre de choses. Mais, pour tout ce qui a trait au budgétaire, c’est le préfet qui nous saisit.

Qu’est-ce qui peut déterminer votre auto-saisine ?

Il s’agit de différentes zones de risques parce que on sait qu’une situation financière ne va pas bien, parce qu’on a des avis budgétaires depuis des années, parce qu’on a eu un signalement par une personne, parce que on souhaite travailler avec la Cour des comptes sur tel ou tel sujet, parce qu’on n’a pas vu la collectivité depuis un certain temps. Enfin, parce qu’on a des zones à risques qu’on connaît, notamment, en lisant la presse qui fait remonter un certain nombre d’informations. Tout cela nous permet de construire notre programmation en fonction des ressources humaines qu’on a. En ce moment nous sommes sept magistrats, il y a deux ans il y a eu des moments où il y en avait trois.

Vous avez publié un rapport sur la gestion des sargasses par une commune de Marie-Galante. Original !

Mon prédécesseur a souhaité que la Chambre se lance sur une question qui touche grosso modo l’ensemble du territoire, un peu plus la Martinique et la Guadeloupe que peut-être la Guyane. Et donc nous avons fait une enquête thématique et plusieurs collectivités ont été contrôlées sur cette question-là. Le but, à terme, c’est de sortir une petite synthèse des contrôles que nous avons fait sur un certain nombre de collectivités.

Dans votre synthèse, vous parlez du problème des sargasses, de sa gestion plus ou moins bien faite par la municipalité et puis, dans la seconde partie de votre rapport, vous passez à la gestion de la commune, les recettes, les dépenses, les équilibres budgétaires…

C’est notre cœur de métier. Oui, c’est ça : c’est notre cœur de métier que de contrôler les finances des communes. Surtout que ces collectivités pour lesquelles nous avons fait un contrôle sur la question des Sargasses, nous ne les avions pas eu depuis un certain temps. Nous avons la fibre financière. Donc nous nous sommes dit qu’on ferait d’une pierre deux coups. C’était l’occasion.

Il y a des collectivités qui ne sont qui ne sont pas souvent contrôlées. Ce, pendant 4, 5, 6 ans… Est-ce qu’il ne faudrait pas malgré tout de temps en temps se pencher sur leurs comptabilités ?

Toutes les collectivités qu’on a en portefeuille ont vocation à être contrôlées un jour ou l’autre. Dans quels délais ? La difficulté, c’est quand vous constatez le nombre de comptes sur lesquels nous devons intervenir et les ressources humaines à mettre en face. Ce n’est pas toujours aisé. Il y a un principe de réalité qui fait qu’on ne peut pas, avec la meilleure volonté du monde, aller sur toutes les collectivités. Et notamment quand on fait un rapport coût-avantage, entre guillemets, savoir s’il a une zone de risque par rapport au budget, aux petites collectivités ou le risque, certes peut-être existe mais compte tenu de l’importance du budget ce sera moins important que sur notre productivité globale ou le contrôle d’un syndicat, ou d’une association, ou d’une SEM. Nous avons un portefeuille assez vaste. Il faut savoir que nous pouvons contrôler toutes les entreprises privées et des associations dès lors qu’elles reçoivent 1 500€ de subventions, ce qui, j’ai cru comprendre, dans ces territoires, est assez fréquent.  Potentiellement, nous avons un champ de contrôle très vaste.

Qu’est-ce qui attire le plus votre attention pour diriger vos contrôles ?

La lecture des rapports, et en tout cas les avis rendus au fil des années, montrent les fondamentaux pour la chambre régionale des comptes, à savoir la fiabilité des comptes,l’analyse financière, la gestion des ressources humaines avec le temps de travail, l’indemnitaire et tout ce qui est marché de commande publique. Ce sont grosso modo les filtres sur lesquelles on enquête de façon régulière. Et qui, à mon avis, restent pertinents comme thèmes de contrôle. Et c’est là qu’on rejoint les sargasses. Nous essayons de temps en temps de faire un petit pas de côté pour embrasser une thématique et pas simplement des contrôles organiques qui concernent telle ou telle collectivité. Donc, le but de la programmation, c’est de continuer à faire ce genre de contrôle organique, toujours sur ces thématiques. Mais aussi de contrôler autre chose sur des thématiques particulières. Mais, vous savez, le programme d’une chambre est secret. A ce propos je voudrais dire, parce que je vois ou je lis parfois que les élus ont la hantise des magistrats des chambres des comptes qu’ils devraient reconnaître le bien-fondé de nos avis plutôt que de les craindre.

Est-ce que vous ne vous trompez jamais en rendant des avis ?

L’infaillibilité n’est pas de ce monde. Oui, nous pouvons nous tromper. Nous pouvons, effectivement, oublier un certain nombre de choses, mais il faut savoir que nous rendons un avis. C’est le préfet qui prend un arrêté d’exécution du budget. Généralement, il nous suit, mais pas tout le temps. Nous pouvons aussi nous tromper, entre guillemets, lorsque la collectivité à qui nous avons  posé plusieurs questions ne nous a pas donné toutes les informations. Donc par définition, si nous ne voulons pas mettre trop de temps à contrôler, il faut bien arrêter à un moment l’investigation et qu’on rende un avis.

Peut-il arriver qu’une collectivité résiste ?

Il existe dans le cas des juridictions financières un délit d’obstacle très rarement mis en œuvre.

 Pourquoi ?

Parce que, généralement, quand on commence à agiter le délit d’obstacle, les collectivités comprennent qu’elles vont un peu trop loin et nous donnent les informations demandées. Et après, c’est avec le ministère public que les choses se font…

Prenons le cas du MACTe, devenu un cas d’école. Les vérificateurs se sont heurtés à des obstacles. Certes, l’avis a été rendu mais au regard des constatations… Que fait la Chambre quand elle rend un avis et qu’elle constate qu’il y a une dérive ?

Ces dérives, si elles existent, sont des dérives par rapport à des règles. On peut saisir le juge pénal. C’est à lui de décider ce qu’il fera après. Si l’on constate qu’il y a des infractions aux règles comptables et budgétaires, à ce moment-là, nous envoyons le dossier, toujours par l’intermédiaire de notre ministère public, à la chambre du contentieux de la Cour des Comptes, et c’est la chambre du contentieux qui réinscrit et qui voit si elle va jusqu’au bout du processus. Donc nous, nous sommes un peu une gare de triage. Mais nous ne sommes pas ceux qui jugeons les gens.

Etes-vous contrôlé ?

Bien sûr que oui. Nous avons, au sein de la Cour des comptes, une instruction par les pairs. Et, pour les chambres régionales des comptes, il y a au sein de la Cour des comptes une mission d’inspection qui vient systématiquement tous les 5 ans pour voir comment elle fonctionne, le rendu des recommandations, à charge pour le président de la chambre de les mettre en œuvre.

A partir du moment où vous êtes saisi par le préfet sur les comptes d’une collectivité quelle est la procédure ?

Sitôt saisis par le préfet, nous informons la collectivité et l’informons que nous avons été saisis. Nous lui demandons de nous répondre, soit oralement, soit par écrit, et de dire quelles observations elle peut apporter à cette saisine. Une équipe de contrôle est diligentée, travaille avec la collectivité qui met la bonne volonté qu’elle souhaite y mettre. Et à la fin, l’équipe de contrôle présente son rapport au délibéré. Le ministère public rend des conclusions. Nous délibérons une fois que l’avis est rendu, évidemment relu, signé et publié. C’est surtout dans un système itératif entre la collectivité et le contrôle. Il y a ensuite obligation pour le maire ou le président de collectivité de présenter l’avis rendu aux autres élus dans un délai imparti. Il faut savoir que toutes nos productions sont rendues publiques sur le site des chambres régionales des comptes de Guadeloupe, de Guyane et de Martinique et des chambres territoriales des comptes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
C’est à nous d’aller au-devant du citoyen pour qu’il sache que l’on existe et qu’il s’informe du mieux qu’il peut.

Propos recueillis par André-Jean VIDAL

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