Opinion. L’urgence de l’heure aux Antilles est la création d’une nouvelle banque de développement économique

PAR JEAN-MARIE NOL*

La nécessité de créer une nouvelle banque de développement économique en Guadeloupe et en Martinique devient de plus en plus urgente dans un contexte économique où la cherté de la vie pèse lourdement sur les habitants.

En effet, les mesures actuellement à l’étude, comme la révision de la taxation sur les produits de première nécessité, les aides directes et indirectes au transport, le financement très hasardeux de la continuité territoriale, ainsi que la maîtrise concertée mais quelque peu illusoire des marges des distributeurs, ne suffisent plus. Il est crucial d’aller au-delà de ces premières actions de réflexion pour s’attaquer aux facteurs structurels qui aggravent cette situation, tels que les coûts élevés du transport, de l’énergie, de la construction et de l’immobilier.

Il devient évident que pour apporter des réponses durables à ces problèmes, il faut impérativement repenser le modèle économique des Antilles françaises. Nous n’avons eu de cesse dans le passé de marteler cette évidence dans plusieurs précédentes Tribunes. Certes les idées contenues dans mes écrits commencent à infuser mais malheureusement trop lentement. Le modèle actuel, hérité de la départementalisation, repose principalement sur les importations, ce qui expose fortement la Guadeloupe et la Martinique aux fluctuations des marchés internationaux et à des coûts de transport exorbitants.

Cette dépendance excessive à l’égard des importations contribue à l’inflation des prix, accentuant le sentiment de précarité parmi les populations locales, en particulier chez les jeunes, qui voient dans cet immobilisme économique un manque de perspectives d’avenir. Ce modèle obsolète, incapable de répondre aux besoins des sociétés antillaises contemporaines, nourrit une contestation sociale croissante, marquée par des mouvements de protestation de plus en plus violents. Il est donc impératif de réfléchir à un nouveau modèle de développement économique, davantage orienté vers la promotion de la production locale afin de réduire cette dépendance et, par conséquent, la vulnérabilité économique des territoires.

Mais, en ce qui a trait à un développement de la production locale sur les bases actuelles du modèle économique est à notre avis une chimère et l’on court à l’échec même en cas de refonte du système du POSEI pour favoriser la diversification.Il est en effet crucial de reconnaître que la production locale en Guadeloupe et en Martinique, limitée par des contraintes géographiques, climatiques et de ressources, ne pourra jamais suffire à couvrir les besoins de la population et à concurrencer les grands marchés internationaux.

Par conséquent, une stratégie plus pragmatique serait d’envisager l’importation de matières premières agricoles, notamment en provenance d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud ou même de la Caraïbe. Ces matières premières, une fois transformées localement, permettraient de développer une industrie agroalimentaire capable de produire des biens à haute valeur ajoutée et de réduire la dépendance aux importations métropolitaines. Ce modèle présente plusieurs avantages.

D’une part, en se fournissant en matières premières sur des marchés plus proches géographiquement, les territoires réduiraient les coûts d’importation et les délais d’acheminement. L’Amérique du Nord et du Sud, en particulier, disposent de grandes capacités de production agricole, souvent à des prix plus compétitifs que ceux des produits européens.

D’autre part, l’importation de matières premières permettrait aux industries locales de contrôler la transformation, d’adapter les produits aux besoins spécifiques de la population et de développer des chaînes de valeur locales. Cela stimulerait l’emploi et l’activité économique tout en réduisant les coûts des produits alimentaires sur le marché local.Un autre aspect essentiel de cette stratégie repose sur le développement de compétences et d’infrastructures locales pour accueillir ces matières premières et les transformer efficacement.

Cela implique un investissement dans des infrastructures de transformation agroalimentaire, mais aussi la formation de la main-d’œuvre locale dans les techniques de transformation, de conditionnement et de distribution. Ces industries agroalimentaires locales pourraient produire des denrées alimentaires spécifiques aux goûts et aux besoins des populations locales, tout en assurant une plus grande indépendance vis-à-vis des fluctuations du marché international.

Cependant, pour que ce modèle fonctionne, il est nécessaire de lever plusieurs obstacles, notamment les contraintes normatives européennes qui régissent l’importation et la production alimentaire dans les territoires d’outre-mer. Comme pour la dérogation récemment obtenue dans le secteur des matériaux de construction, il serait indispensable de généraliser ces assouplissements à d’autres secteurs clés, comme celui de l’agroalimentaire. En adaptant les normes aux réalités locales, la Guadeloupe et la Martinique pourraient plus facilement accéder aux marchés de matières premières agricoles de proximité et développer leur capacité de production locale sans être pénalisées par des exigences réglementaires inadaptées.

Ce processus pourrait être soutenu par des organismes tels que la COFACE et Business France, qui pourraient sécuriser les échanges et attirer des investissements dans le développement d’une industrie agroalimentaire locale. La création d’une chaîne de valeur locale performante, intégrant à la fois l’importation de matières premières et leur transformation sur place, constituerait un levier pour réduire les coûts de production et rendre les territoires plus compétitifs sur le marché régional.

Ce modèle, tout en s’appuyant sur des ressources agricoles étrangères, permettrait à la Guadeloupe et à la Martinique de se doter d’une industrie à forte valeur ajoutée, assurant ainsi une plus grande autonomie économique tout en répondant aux besoins alimentaires des populations locales. La problématique de la généralisation des importations en Guadeloupe et en Martinique, en lien avec la nécessité de développer une industrie agroalimentaire locale, requiert une stratégie complexe, intégrant des mécanismes financiers et commerciaux spécifiques.

A cet égard, la COFACE (Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur) et Business France peuvent jouer un rôle déterminant. La COFACE, spécialisée dans l’assurance-crédit et la gestion des risques à l’export, pourrait soutenir la réorientation des importations en facilitant l’accès aux matières premières en provenance des marchés plus proches, notamment en Amérique du Nord et du Sud. Actuellement, les importations depuis la métropole sont coûteuses en raison des longues distances et des coûts logistiques élevés.

La COFACE pourrait proposer des garanties spécifiques pour sécuriser les échanges avec des partenaires commerciaux dans ces régions voisines. En assurant les entreprises locales contre les risques liés à l’importation, elle rendrait plus viable l’approvisionnement en matières premières à des coûts compétitifs. De plus, la COFACE pourrait jouer un rôle d’intermédiaire pour identifier des fournisseurs fiables dans ces régions et pour sécuriser les transactions à long terme, réduisant ainsi les incertitudes liées aux importations depuis l’Amérique.

Business France, l’agence nationale dédiée au développement international des entreprises françaises, peut de son côté contribuer en promouvant les Antilles françaises comme des plateformes de transformation industrielle dans les Caraïbes. L’agence pourrait aider à attirer des investissements directs étrangers (IDE) et à nouer des partenariats avec des entreprises nord et sud-américaines qui voient un potentiel dans le développement d’une industrie agroalimentaire locale.

En promouvant ces régions comme des zones de production stratégique dans la région, Business France pourrait aider à construire un réseau d’approvisionnement en matières premières tout en favorisant l’exportation des produits finis à haute valeur ajoutée vers d’autres marchés, notamment dans les Caraïbes et l’Amérique latine.

En combinant leurs expertises, la COFACE et Business France peuvent contribuer à la mise en place d’un tissu économique plus robuste en Guadeloupe et en Martinique. La COFACE sécuriserait les flux d’importation de matières premières en minimisant les risques commerciaux, tandis que Business France favoriserait l’investissement et l’intégration des entreprises locales dans les chaînes de valeur mondiales. Ensemble, elles permettraient d’alléger la dépendance aux importations métropolitaines, tout en facilitant la création d’une petite industrie agroalimentaire locale. Ce nouveau modèle de développement passerait également par une généralisation des dérogations obtenues pour certains secteurs, comme cela a déjà été le cas pour les matériaux de construction.

Les restrictions liées aux normes européennes constituent un frein majeur à l’émergence d’une industrie locale capable de transformer des matières premières importées. Il devient indispensable d’élargir ces dérogations à d’autres secteurs, notamment celui de l’alimentation et des produits manufacturés, afin de permettre l’importation de biens adaptés aux réalités tropicales et à des coûts moindres. En facilitant ainsi l’importation de matières premières issues des marchés proches géographiquement et en soutenant le développement d’une industrie locale, ces territoires pourraient non seulement réduire leur dépendance aux importations mais aussi créer de la valeur ajoutée localement.

L’objectif serait donc de construire une économie plus intégrée et résiliente, avec des entreprises locales capables de produire des biens à haute valeur ajoutée pour les marchés intérieurs et régionaux de la caraïbe. Cela devrait être l’objectif et le but ultime de grand hub maritime en Guadeloupe et Martinique. L’importation de matières premières à moindre coût, combinée à une production locale optimisée, pourrait transformer la Guadeloupe et la Martinique en véritables hubs agroalimentaires des Caraïbes.

Cela offrirait des perspectives de croissance économique, tout en résolvant partiellement la problématique de la cherté de la vie et du manque de perspectives pour les jeunes. L’implication de la COFACE et de Business France dans ce processus pourrait ainsi être un levier déterminant pour réorienter et dynamiser le modèle économique de ces territoires.

Dans ce nouveau cadre, la création d’une nouvelle banque de développement économique des Antilles françaises apparaît comme une solution stratégique. Certes, des expériences passées, comme celles de la SODEGA, de la SODEMA et de la SODERAG, ont échoué en raison de facteurs politiques et financiers, notamment sous la pression de l’Agence Française de Développement. Toutefois, ces échecs qui n’ont jamais fait l’objet d’une évaluation, ne doivent pas nous dissuader de relancer ce projet, cette fois avec l’appui d’acteurs solides tels que la Banque Publique d’Investissement et la Caisse des Dépôts. Il est essentiel de réhabiliter ces mécanismes de soutien économique pour accompagner la transition vers un modèle plus autonome, capable de stimuler la production locale et d’atténuer l’impact des coûts d’importation.En outre, d’autres leviers existent pour soutenir cette dynamique.

L’une des mesures urgentes à envisager est la révision des normes d’importation imposées aux territoires ultramarins. Si ces normes ont pour objectif de protéger la santé des consommateurs européens et de garantir que les produits respectent des standards élevés en termes de qualité, de sécurité sanitaire et d’impact environnemental, elles deviennent particulièrement contraignantes pour les territoires éloignés comme la Guadeloupe et la Martinique.

L’importation depuis la métropole est extrêmement coûteuse en raison des distances, et les réalités économiques et environnementales locales exigeraient des normes mieux adaptées. Une première avancée a été obtenue avec la dérogation sur les matériaux de construction, qui permet à ces territoires d’importer des matériaux depuis leurs régions voisines. Cette mesure a été saluée car elle reconnaît enfin que l’éloignement géographique justifie un traitement différent pour les territoires ultramarins.

En permettant d’importer des produits plus adaptés aux conditions tropicales, moins chers et plus rapidement disponibles, cette dérogation constitue un soulagement important pour le secteur de la construction. Cependant, cette dérogation reste limitée aux matériaux de construction, alors que d’autres secteurs, tout aussi essentiels, continuent de souffrir des restrictions liées aux normes européennes. Il devient donc indispensable d’envisager une généralisation de ces dérogations à d’autres secteurs, tels que l’alimentation et les produits manufacturés, pour alléger les coûts et faciliter l’accès à des produits essentiels pour la population.

Une telle démarche contribuerait à réduire la dépendance de ces territoires vis-à-vis des importations métropolitaines et favoriserait des échanges plus fluides avec les régions voisines, souvent mieux placées pour répondre aux besoins spécifiques des économies antillaises.Il apparaît donc que, pour sortir de l’impasse actuelle, il est urgent de transformer en profondeur le modèle économique des Antilles françaises.

Cela passe par la mise en place de mécanismes adaptés à leurs réalités spécifiques, en commençant par la création d’une banque de développement des Antilles capable de soutenir la production locale et de stimuler une dynamique économique interne. Parallèlement, la révision des normes d’importation et la mise en œuvre de dérogations pour d’autres secteurs stratégiques permettront de réduire les coûts et d’apporter des réponses immédiates à la cherté de la vie. I

l ne s’agit pas seulement d’une réponse à la crise économique actuelle, mais d’un changement de cap nécessaire pour briser la domination des oligopoles aux Antilles et construire un avenir plus durable pour la production de richesse par la production locale et plus prospère socialement pour les citoyens de nos  territoires ultramarins des Antilles.

« L’économie est fille de la sagesse et d’une raison éclairée : elle sait se refuser le superflu, pour se ménager le nécessaire. »
Jean-Baptiste Say, économiste

*Economiste 

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