Par Didier DESTOUCHES
Universitaire et essayiste
Auteur de Discours sur le néo-racisme
Si l’annonce du sénateur Victorin Lurel de ne pas être le leader qui conduira la liste de la fédération guadeloupéenne du parti socialiste aux prochaines élections régionales en Guadeloupe, n’a pas surpris grand nombre d’acteurs politiques, en revanche elle en a certainement soulagé plus d’un.
D’aucun aurait tort de croire qu’il s’agit là d’un non événement. En réalité cette annonce marque le véritable coup d’envoi médiatique de la campagne politique et surtout politicienne des régionales. Et cela pour plusieurs raisons.
D’abord l’absence de Lurel comme timonier du bateau socialiste pour la plus importante phase électorale du pays libère vraiment l’espace pour les barons locaux. Ceux-ci se sentent pousser des ailes depuis tantôt mais doutaient depuis les dernières sénatoriales, tant l’écrasante victoire de la liste Lurel avait remis l’ancien président de la région Guadeloupe en selle dans la course et l’arène politique après sa défaite historique aux régionales de 2015.
Cette place éminente dans l’édifice républicain national conjuguée au contrôle officieux de la machine départementale mais aussi des troupes socialistes lors des dernières municipales avait de quoi constituer une position prééminente pour faire face efficacement au règne du GUSR et de la majorité du président Chalus à la région; dans le cadre d’une opposition qui s’est avérée particulièrement combative.
Ensuite, cette annonce est un aveu implicite d’échec des socialistes à réduire la forte popularité du président Chalus qui continue à écraser la concurrence dans les sondages publiés récemment par l’institut Qualistat.
Or les élections se jouent et se gagnent depuis quelques années en Guadeloupe non plus par la maîtrise des forces politiques et des réseaux dans la société civile mais par l’entretien d’une popularité massive dans l’opinion publique.
C’est la conséquence du rôle devenu majeur des réseaux sociaux en matière de propagande électorale numérique. Par ailleurs, si l’expertise sur les dossiers reste utile pour gérer une collectivité elle ne fait guère plus recette pour mobiliser un électorat en perte de confiance, voire en défiance systématique envers les élus en place. L’ancien président de région qui est un maître du jeu d’échec politique a très bien compris cette nouvelle donne et préfère officier en tant que stratège de l’ombre tout en se gardant l’opportunité d’être présent sur la liste.
L’histoire politique locale nous rappelle par ailleurs que ce n’est pas automatiquement la tête de liste qui devient président de région une fois élue. Cela dit, il y a une réelle volonté de laisser la place aux jeunes dans le retrait du sénateur de la course à la candidature et il appartient aux socialistes de se mettre d’accord sur un candidat qui devra tout de même conjuguer expérience et potentiel d’avenir pour conduire la liste de la fédération.
Toutefois, l’observation des critères à remplir pour tenir ce rôle élague très fortement la liste des personnalités politiques capables de remplir toutes les cases. Le choix au premier abord semble étendu entre Max Mathiasin qui a réussi le miracle de ne pas sombrer dans le suivisme parlementaire de la majorité à laquelle il appartient malgré tout, Victoire Jasmin qui devenue sénatrice mène une belle carrière parlementaire entre convictions, authenticité et défense des intérêts guadeloupéens affichées, et Éric Jalton l’imposant et populaire maire des Abymes et président de la puissante communauté Cap Excellence.
Des personnalités comme celle de Christian Baptiste ou d’Élie Califer jouissent quant à elle d’une aura non négligeable hors de leur commune. Mais en réalité, si l’on conjugue les qualités de compétences, de poids électoral, d’expérience, de popularité, de charisme et de leadership, personne ne sera surpris que seul Éric Jalton semble réunir à gauche l’ensemble de ces éléments indispensables (mais pas suffisants) pour réussir une reconquête de la Région face à Ary Chalus.
Il faudra très certainement au prochain candidat des socialistes et à ses adversaires penser alliance et ouverture, notamment avec les camps autonomistes et écologistes, et bien avant le second tour, afin de peser de façon décisive dans la balance électorale.
Il faudra certainement aussi que l’équation récurrente de la division politicienne viennent semer le trouble dans la machine composite qui a ravi la Région des mains de Victorin Lurel en 2015.
En attendant la révélation de ces stratégies diverses déjà en cours, il faut rappeler aux électeurs et surtout aux candidats, que comme l’a aussi compris Victorin Lurel, le pilotage de la Région Guadeloupe dans les années à venir ne sera pas une mince affaire et que les obstacles à surmonter vont être titanesques compte tenu de l’installation désormais probablement durable de la crise du Covid19 dans nos vies et de son impact sur l’économie et la société.
Un monde est de plus en plus à réinventer, et le courage ainsi que l’imagination et la volonté d’autonomie et de résilience devront compter tout autant si ce n’est plus que les classiques qualités des hommes et femmes politiques de la Guadeloupe.