Guadeloupe. Abolition de l’esclavage : hommage aux muets de la poterie Fidelin de Terre-de-Bas

Si vous voulez à l’occasion de la journée de commémoration de l’abolition de l’esclavage, ce 27 mai, rendre un hommage à des esclavagisés, hommes de talent, potiers qui, au XVIIe siècle ont créé des objets en terre cuite, allez à l’hôtel Arawak Beach Resort du Gosier pour découvrir une pièce rare : une création unique en terre cuite.

La poterie, peu à peu, renaît du passé. @AJV

Située dans l’archipel des Saintes en Guadeloupe, Terre-de-Bas fut initialement occupé par les Amérindiens. L’île a été colonisée par les Européens au XVIIe siècle. Sa prospérité reposait sur l’agriculture et la pêche et a été marquée par l’esclavage, influençant profondément sa société et son développement économique. Parmi ses activités, la poterie s’est particulièrement distinguée au fil des siècles.

La manufacture industrielle de la poterie Fidelin, emblème de Terre-de-Bas, témoigne de l’importance de la céramique dans l’île. Fondée vers 1760 par Jean-Pierre Fidelin de Trois-Rivières, la manufacture produisait principalement des formes à sucre et des pots à mélasse pour les sucreries, ainsi que des carreaux, briques et tuiles. Les produits étaient estampillés « PF » ou « F ».

Des assiettes, des pots à fleurs

Au début du XIXe siècle, la manufacture diversifie sa production avec des récipients domestiques tels que des assiettes et des pots à fleurs, bien que moins compétitifs face aux produits européens vernissés. L’industrie potière commence à décliner au début du XXe siècle, se concentrant sur la production de briques et de carreaux. En 1860, la manufacture se transforme en distillerie de feuilles de bois d’Inde jusqu’en 1920.

Aujourd’hui, seuls des ruines subsistent : murs, fours, citerne et vestiges d’un moulin à bêtes. Classé Monument Historique en 1997 ; des fouilles archéologiques et des recherches historiques menées depuis les années 2000 ont révélé des vestiges amérindiens datant d’environ 780 ap. J.-C.  

Depuis 2015, le propriétaire, Pierre Sainte-Luce, né à Terre-de-Bas, s’est fait un devoir de préserver ce patrimoine historique et a lancé un projet culturel d’envergure pour revitaliser les vestiges.

Un hommage aux travailleurs esclavagisés

Aujourd’hui, la poterie Fidelin fait partie de la Route de l’esclave… et il était important de rendre hommage aux travailleurs esclavagisés.

Les esclaves qualifiés, ou « nègres à talents », ont joué un rôle crucial dans le développement et la renommée de la poterie Fidelin. Chargés de la production et de la gestion des ateliers, leur expertise en céramique a permis de maintenir des standards élevés de qualité et de créativité.

Malgré leur condition de servitude, ces artisans ont laissé une empreinte durable sur l’histoire et l’artisanat de Terre-de-Bas, un héritage vivant à travers les poteries encore fabriquées aujourd’hui.

Mémoire

Pierre Sainte-Luce a gravé les noms des potiers. @DR

A l’initiative de l’archéologue Katarina Jacobson, une œuvre représentant une forme à sucre et pot à mélasse à taille humaine a été commandée par les propriétaires.

D’après les documents d’archives édités notamment de la vente de l’Habitation, les noms des esclavagisés potiers apparaissent, avec parfois leur catégorisation physique, leur âge et leur valeur monétaire.

Les potiers « inventoriés »,  affublés de prénoms français tirés du calendrier, sont âgés de 21 ans à 73 ans et estimés entre 600 F et 1 800 F).

Ainsi, les propriétaires de la poterie Fidelin, leurs enfants et petits-enfants ont gravé dans l’argile de la forme à sucre commandée, les noms d’esclavagisés, nègres à talent, potiers suivants : 
– Jean-Charles, nègre créole
– Jean-Jacques, nègre créole
– Alexandre, mulâtre potier
– Stanis, câpre
– Dominique, câpre
– Sylvain, câpre
– Jean-Baptiste
– Auguste  
– Léon

Ce geste symbolique vise à donner une visibilité accrue à ces ancêtres souvent oubliés de l’histoire de Terre-de-Bas et de la Guadeloupe.

Pot grandeur nature : défi technologique

La fabrication d’un pot grandeur nature a représenté un défi technologique pour Katia Gonzales, mais elle a trouvé le projet intéressant et innovant. Malgré plusieurs moments de découragement, elle a persévéré, inspirée par l’idée d’inscrire les noms des anciens artisans dans l’argile.

Après plusieurs tentatives, elle a utilisé la faïence, plus légère que le grès initialement prévu. La forme à sucre a été entièrement façonnée avec des plaques. La réalisation du cône de la forme à sucre a été simple, mais la courbe de la jarre a été plus délicate. Le séchage des pièces a duré un mois, avec des pauses pour éviter l’affaissement.

Une œuvre de mémoire

Visible à l’hôtel Arawak Beach Resort, cette initiative rappelle l’importance des esclavagisées dans l’histoire économique de la Guadeloupe. Elle incite à célébrer et reconnaître les contributions de nos ancêtres, servant d’exemple pour d’autres projets similaires.

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