Difficile pour un Haïtien de sang de regarder le premier épisode de Lakay nou sans ressentir la nécessité d’aller jusqu’au dixième et dernier épisode.
Chacun des épisodes de la première saison dure environ 22 minutes. Et pour Chloé Anne Lalime, 11 ans, grande supportrice de la nouvelle série télévisée, il faudrait, tout de suite, sortir la deuxième saison. Tellement elle est impatiente de voir la suite de l’histoire. Née au Québec de parents haïtiens, Chloé Anne n’a pas encore eu la chance de visiter Haïti, mais elle se retrouve pleinement dans le déroulement de la série.
Elle est très excitée de découvrir certains traits de la culture haïtienne inexplorée à la maison. Heureusement pour elle, confirme Marcel Joseph sur sa page Facebook, la deuxième saison est déjà confirmée par le diffuseur, la télé de Radio-Canada. L’ancien directeur général exécutif de la Radio Signal FM joue avec brio le rôle du personnage de Parnel dans ladite série.
Lakay nou, peut-on lire sur https://ici.tou.tv/lakay-nou où la série est disponible aux abonnés, « suit un couple coincé entre deux générations. D’un côté, celle de leurs trois enfants de 10 à 20 ans, nés au Québec et purs fruits de la culture québécoise plus que de celle de leurs aïeux. Et de l’autre, celle de leurs parents, nés en Haïti, attachés à leurs racines et aux attentes plus traditionnelles de leur génération. Ils sont omniprésents dans leur vie, surtout les parents d’Henri qui habitent juste à côté de chez eux. Or, à l’aube de la quarantaine, Myrlande et Henri osent enfin tracer leur propre voie en saisissant de nouvelles opportunités qui se présentent. Cet épanouissement personnel et professionnel ne sera pas sans impacts sur le clan tissé un peu trop serré, parfois pour le meilleur, parfois pour le pire, mais toujours pour nous faire rire (avec eux). »
La série est disponible sur l’Extra d’ICI Tou.tv depuis le 18 janvier 2024 et sera diffusée à compter du mois d’avril à la télé de Radio-Canada. Catherine Souffront (Myrlande Prospère dans la série) et Frédéric Pierre (Henri Honoré) forment justement ce couple qui est présenté. Fayolle Jean et Mireille Métellus sont les parents d’Henri alors que Marcel Joseph et Yardly Kavanagh sont les parents de Myrlande Prospère.
La série, coécrite et produite par Frédéric Pierre, Angelo Cadet et Catherine Souffront, pour la télé de Radio-Canada, porte à l’écran québécois tous les aspects de la culture haïtienne à travers trois générations d’Haïtiennes et d’Haïtiens : les parents nés en Haïti, leurs enfants et leurs petits-enfants, tous nés au Québec.
Frédéric Pierre, scénariste, comédien, producteur, PD-G de Productions Jumelage, avoue au journal québécois Le Devoir que cela fait 20 ans que lui et Angelo Cadet se disaient qu’il fallait équilibrer l’image qu’on véhicule de la communauté noire, en particulier de la communauté haïtienne, à la télévision au Québec. Lakay nou est un pas vers la réalisation de cet objectif.
C’est la première comédie de Radio-Canada majoritairement jouée par des Noirs, des Haïtiens. Aujourd’hui encore, il est difficile pour les comédiens noirs de jouer des rôles importants à la télévision québécoise. Pour la première saison de Lakay nou, il y a une centaine de personnes noires qui ont travaillé sur le plateau de tournage.
« Cette fois-ci, c’est vraiment une série pensée, créée, réfléchie par la communauté noire », a indiqué André Béraud au journal Le Devoir. Le premier directeur des émissions dramatiques et des longs métrages à Radio-Canada admet que cela a pris trop de temps. « Nos communautés, ce n’est pas toujours des problèmes de drogue, de gangs. Et enfin, on commence à voir une palette plus vaste », a-t-il indiqué dans la même entrevue. Trop souvent, la télé québécoise associe la communauté haïtienne aux gangs de rue, à la pauvreté et aux problèmes d’exclusion sociale.
L’industrie télévisuelle québécoise demeure aujourd’hui encore assez peu diversifiée. Pour la première fois de sa carrière de comédienne, Catherine Souffront a eu la chance de trouver, avec la nouvelle série, une coiffeuse et maquilleuse noire et n’avait pas à lui expliquer comment s’y prendre, a-t-elle expliqué sur le plateau de Tout le monde en parle (dimanche 21 janvier 2024), un des talk-shows hebdomadaires québécois les plus suivis. Guy A. Lepage, l’animateur, confie avoir regardé les trois premiers épisodes et a reconnu que Lakay nou : « c’est savoureux, drôle et charmant ! C’est de l’excellente télévision ».
Pour le trio de rédaction du scénario, l’idée de la série est venue des anecdotes de leur famille. Ils se sont rendu compte qu’à chaque fois qu’ils reçoivent des amis, notamment de la communauté québécoise, ces amis s’attachaient aux personnages des familles haïtiennes. Si ces personnages sont si amusants et captivants pour les invités, il en serait ainsi également pour l’ensemble de la population, à la télé. Les scénaristes, tous d’origine haïtienne, voulaient donc partager le « Black Joy », à savoir l’affirmation positive et la joie de vivre de la communauté haïtienne au peuple québécois. C’est aussi la culture, l’histoire et les valeurs haïtiennes qui sont exposées dans la série par des acteurs haïtiens hors pair avec des profils académiques remarquables. Catherine Souffront (Myrlande Prospère) a d’ailleurs troqué son costume de procureure de la Couronne pour celui de comédienne, il y a 5 ans. Annoncer cette décision à ses parents n’a pas été chose facile. Mais, elle avoue n’avoir pas été heureuse dans la peau de la procureure alors que le talent de comédienne bouillonnait en elle.
Lakay nou aborde également des enjeux encore tabous au sein de la communauté haïtienne. Par exemple, Judeline, l’aînée du couple, de son vrai nom Catherine-Audrey Volcy, est une étudiante en piano jazz à l’université, suspectée d’être une virtuose en devenir par son entourage. Souffrant de trouble d’anxiété, elle est lesbienne et tentait pendant un certain temps de cacher son orientation sexuelle à sa famille. Pourtant, quand son grand-père l’a remarquée en train d’embrasser sa copine, il n’a pas été du tout choqué.
De façon assez surprenante, son grand-père a été, lui-même, annoncer la nouvelle à ses parents en leur demandant d’accepter le choix de leur fille. Une attitude que certains membres de la communauté pourraient attribuer à de l’assimilation, puisque, généralement, ce genre de situation crée plutôt de la chicane et de la discorde au sein des familles haïtiennes.
Jude (Stanley Exantus), petit frère de Judeline, lui, a été victime de profilage racial au volant de la luxueuse voiture de sa mère, payée au moyen du bonus reçu du cabinet d’avocats de son patron blanc, le criminaliste Guillaume-Félix Tanguay-Boucher (de son vrai nom Maxime de Cotret), également ancien amoureux (mennaj) de Myrlande. Là, elle défend des pétrolières ainsi que des membres de la mafia et du crime organisé.
N’était l’intervention de la mère de Jude, Myrlande Prospère, en sa qualité d’avocate chevronnée et d’ancienne procureure de la Couronne, il aurait pu croupir longtemps en prison, comme bien d’autres jeunes d’origine haïtienne qui n’ont pas les moyens de se payer les services d’un avocat expérimenté. Auparavant, quand Myrlande officiait comme procureure de la Couronne, le couple vivotait, mais les parents en étaient fiers. Les valeurs et la réussite économique ne font pas toujours bon ménage. Elles engendrent souvent des conflits intergénérationnels au sein de la communauté haïtienne.
Lakay nou sert aussi de vitrine à l’histoire, à la littérature et à la cuisine haïtiennes. Henri décide de fermer la librairie en pleine déperdition de son père en vue d’ouvrir son propre restaurant de cuisine haïtienne. Une décision considérée comme une trahison par son père, viscéralement attaché à la littérature, française et haïtienne. Il aimerait transmettre cette passion aux nouvelles générations qui n’en voient pas vraiment l’intérêt. Le nouveau restaurant se veut être une révolution dans l’art culinaire québécois, comme en témoignent son fameux griot Dessalines et son délicieux riz djondjon fumé, tout en demeurant un restaurant « pour la communauté, dans la communauté et par la communauté haïtienne ». Le tout, au son du compas direct de Nemours Jean-Baptiste, l’autre symbole de l’identité haïtienne.
Lakay nou est une série à voir par toutes les Haïtiennes et tous les Haïtiens, où qu’elles (ils) se trouvent !
Source : Le Nouvelliste