En 2008, lorsque Jean Max St Fleur, reporter à Le Nouvelliste, titre « Café local, on boit la tasse », les producteurs, torréfacteurs, exportateurs et techniciens agricoles s’alarmaient de la baisse de rendement à l’hectare et d’autres problèmes affectant la filière.
En 2008, lorsque Jean Max St Fleur, reporter à Le Nouvelliste, titre « Café local, on boit la tasse », les producteurs, torréfacteurs, exportateurs et techniciens agricoles s’alarmaient de la baisse de rendement à l’hectare et d’autres problèmes affectant la filière. Mais ils ne savaient pas que des catastrophes, la rouille, l’insécurité enfonceraient encore plus le café haïtien dont les exportations sont devenues insignifiantes.
En 2023, l’exportation du café haïtien, très en deçà d’un million, n’a atteint que quatre cent cinquante mille dollars, a appris Le Nouvelliste, qui a eu accès au tableau « des valeurs des principaux produits exportés » établi par la BRH, début janvier 2024.
En 2022, le montant était de huit cent vingt mille, six cent cinquante mille dollars en 2021. 2020 et 2016, 2018 et 2019 font figure d’exception avec des exportations respectivement de un million et de un million trois cent mille dollars. Interrogé en septembre 2022, l’agronome Abel Cléomé, responsable de l’Institut national du café haïtien (INCAH), avait confié l’observation « d’une baisse soutenue de la production passant de 740 000 sacs de 60 kg en 1955 à moins de 300 000 sacs environ en 2013. Pour les dernières campagnes 2020 et 2021, a-t-il poursuivi, la production a été évaluée à plus de 150 000 sacs et le volume des exportations à 103 561.81 kg de café vert ».
Cependant, fait notoire, l’agronome Cléomé a indiqué que « ces données ne prennent pas en compte le fort volume exporté de façon informelle en République dominicaine, exportation représentant plus de 60 % de la production ». « La commune de Thiotte est aujourd’hui la principale zone de production du pays. On estime qu’il y a actuellement environ 200 000 planteurs, 80 000 travailleurs saisonniers et 20 000 voltigeurs, et « sous-marin » qui évoluent dans la filière café », a indiqué l’agronome Cléomé, soulignant que « le café représentait encore en 1995, 25% des exportations globales du pays et entre 70 et 80% des exportations agricoles (AVSF, 2005). »
Gilbert Gonzalez, l’un des responsables de « Café Rébo », interrogé sur les données de la banque centrale, a confié à Le Nouvelliste, lundi 15 janvier 2024, que « beaucoup de gens sont étonnés de voir le faible niveau d’exportation du café, selon les données officielles. En réalité, a-t-il souligné, cela prouve qu’il y a un grand déficit de communication concernant le secteur ». Pour Gilbert Gonzalez, « il ne faut pas oublier qu’en 2013-14, le secteur a subi un gros coup avec l’apparition de la rouille, qui est une maladie qui a affecté les caféiers de toute la région. Pour remonter cette pente, il a fallu replanter des milliers d’hectares avec des variétés résistantes à la rouille, particulièrement le Catimor. C’est un processus qui prend du temps et du financement », évoquant l’impact du cyclone Matthew sur la filière et du renforcement de la gourde face au dollar américain.
« Le deuxième événement malheureux a été le cyclone Matthew qui a complètement détruit la production de la zone Sud- Grand’Anse, 2 zone de production du pays. Suite à ces deux événements, il était difficile de répondre même à la demande locale, donc certainement l’export a souffert. En plus de ces problèmes de disponibilité, l’année dernière on a eu un phénomène externe qui s’est ajouté aux soucis agricoles: c’est le renforcement de la gourde face au dollar. Quand la gourde se renforce, automatiquement les produits d’exportation deviennent moins compétitifs. Or, vu la carence de production, le café haïtien est déjà cher à la livre; donc quand la gourde s’apprécie, cela ne fait que renforcer cette réalité. Les importateurs étrangers comparent nos prix à ceux de la Colombie, du Costa Rica, du Honduras, etc. et se disent : « pourquoi payer plus cher pour le café haïtien ? » », a indiqué Gilbert Gonzalez.
De l’exportation
« En ce sens, si le gouvernement entend maintenir une gourde forte, il faudra penser à d’autres types de subventions pour nos produits exportables car les importateurs de café, cacao, etc. ont le choix et vont toujours comparer nos prix à d’autres. Si nous voulons voir grandir les exportations, Haïti doit développer une politique d’export dans une collaboration entre l’État et le privé. Cette politique, a conseillé Gilbert Gonzalez, doit prendre en compte les grandes orientations économiques de l’État, et les réalités de la production agricole. Il y a plusieurs exemples dans la région et nous pouvons choisir le modèle qui nous convient le mieux. »
Pour que le café retrouve son importance d’antan
« Pour retrouver son importance, la stratégie du pays doit être revue. Aujourd’hui c’est un produit à potentiel d’export mais traité comme une culture de subsistance. Le café, selon Gilbert Gonzalez, doit être désormais traité comme un secteur d’affaires ». Ce responsable des Café Rébo plaide « en faveur d’une politique d’encouragement à l’investissement dans le secteur pour des firmes haïtiennes et étrangères », « la coexistence de fermes commerciales et de fermes familiales traditionnelles », l’apparition de nouvelles technologies, l’obtention d’un centre de recherche sur les variétés et les maladies pour former un bon nombre de techniciens agricoles qui seront spécialisés en café. »
Interrogé sur l’encadrement de l’État à la filière, Gilbert Gonzalez a indiqué que « depuis 2016, Rébo a commencé une démarche de production depuis la semence. On a monté une grande pépinière et une plantation commerciale dans la zone de Thiotte, en achetant environ 40 ha de terrains privés. L’État haïtien, à travers la BRH, a créé des fenêtres de financement pour les compagnies qui sont dans l’agriculture ou dans l’export. Cela nous a permis de trouver pour ce projet des prêts à 6% sur 10 ans en HTG. C’est une très bonne option mais malheureusement, les besoins en garanties (cash ou hypothèque) ne sont pas encourageants et nous limitent. Il faudrait revoir cette partie du protocole si le but est de créer une relance du café et de l’agriculture. L’autre aspect concerne la recherche: la situation actuelle de maladie du secteur nous prouve qu’on a besoin de recherches constantes et d’infrastructures nous permettant de déterminer et/ou développer des variétés nouvelles, plus résistantes, plus productives, avec de bons profils organoleptiques et adaptées au climat haïtien. C’est ce qui se fait dans les pays producteurs. Il est impératif pour l’État de trouver un moyen de rendre productives les terres de l’État qui sont sous-exploitées dans les zones à potentiel agricole. Un grand nombre d’hectares sont sous-exploités ou abandonnés, mais dès qu’un investisseur essaie de les mettre en valeur par un bail avec l’État, immédiatement la population de la zone s’y oppose. En effet, souvent ils exploitaient ces terrains partiellement et se considèrent propriétaires de fait. C’est état de fait rend quasiment impossible l’exploitation commerciale des terres par des investisseurs locaux ou étrangers. Il faut trouver une formule de partenariat si on espère produire plus en Haïti, café ou autre denrée », a expliqué Gilbert Gonzalez, qui souhaite un renforcement de l’INCAH.
Pour un renforcement de l’INCAH
« Du côté de l’INCAH, on attend des statistiques et des données fiables et à jour concernant les filières café et cacao. Beaucoup de nos données remontent à 10 ans et plus. On ne connait plus le nombre d’ha en production, de familles concernées, la production totale, les exports, la consommation locale… Toutes ces données actualisées permettraient de donner une idée réelle du secteur et du vrai potentiel. On attend aussi que l’INCAH soit plus présent sur les ondes afin que le public haïtien soit au courant des vrais problèmes et du potentiel de ces filières et des initiatives en cours », selon Gilbert Gonzalez.
« Aujourd’hui, le public continue a répéter les mêmes anciennes informations, sans savoir à quel point le secteur se dégrade et change. Il faudrait un aspect « relation publique » et communication pour faire la promotion de ces deux filières à potentiel export, qui peuvent avoir un très bon impact sur la balance des paiements à un moment où Haïti essaie de redresser son économie », a plaidé Gilbert Gonzalez.
Les efforts de Rébo
« En décembre 2021, Rébo s’est installé à Beaumont, dans la Grand’Anse. Jusqu’au passage du cyclone Matthew, cette zone représentait près de 30% de l’approvisionnement en café de l’entreprise. Depuis cette catastrophe, les producteurs de la zone sont désespérés car ils ne peuvent replanter seuls un peu plus de 10 000 ha. En 2016, Rébo avait présenté à OXFAM un plan de relance pour 2 000 ha de café dans la zone de la Grand’ Anse, que l’ONG a soumise au Canada. Grâce au financement qui a suivi, OXFAM et ses partenaires Rébo et FNGA apportent un support grandement attendu à cette zone. C’est avec beaucoup de détermination que Rébo assiste depuis 2022 plus de 1 100 familles de producteurs à replanter près de 1,000 ha en café et autres cultures connexes. La compagnie emploie déjà dans la zone une trentaine de techniciens et d’agronomes, des centaines d’ouvriers de main-d’œuvre et du personnel administratif. 1 100 producteurs sont formés et assistés régulièrement dans leur jardin afin de maximiser les rendements. En moins de deux ans, Rébo a déjà distribué plus de 700 000 plantules produites dans deux pépinières centrales et 10 communautaires. Les bénéficiaires ont également reçu de l’engrais, des outils, des plantules de bananes, ignames, etc. et aussi de l’assistance à la création de leurs plans de ferme. Environ 1 million de caféiers additionnels seront plantés dans les prochains 12 mois. Il y a aussi de l’espoir pour le café dans la zone de Thiotte », selon Gilbert Gonzalez.
« Dans cette région à fort potentiel, Rébo a obtenu le support de l’USAID dans un « matching grant », pour le renforcement de la filière. Le projet « Kafe Tyòt Se Richès (KTSR) » assiste déjà 500 producteurs sur plus de 800 ha à augmenter leur productivité en leur fournissant des plantules jeunes et résistantes, de l’assistance technique à travers des agents agricoles formés par la compagnie, et des intrants adaptés. Selon ce projet, l’USAID va co-investir avec la compagnie au ratio de 1 pour 1. Un des aspects importants, a souligné Gilbert Gonzalez, sera d’encourager les jeunes hommes et femmes de Thiotte à s’intéresser à la production et au commerce de café. Près d’1 million de caféiers et d’arbres de couverture seront plantés au cours des quatre prochaines années », a dit Gilbert Gonzalez de Rébo qui « va mettre en terre un total de 2.5 millions de caféiers en quatre années à Thiotte, Beaumont, Duchity et Pestel.
Source : Le Nouveliste
Lien : https://lenouvelliste.com/article/246366/est-ce-la-fin-du-cafe-haitien