PAR ARY BROUSSILLON*
Ce soir, aux infos, j’ai entendu dire qu’il serait possible que le « soldat inconnu » auquel il est rendu hommage chaque année, le 11 novembre, soit un Guadeloupéen.
Désolé pour ceux qui y croient: il n’a a aucune chance que cela soit vrai. Et pourquoi ? A cause du racisme qui prévalait dans l’armée française, du moins parmi ses officiers et autres hauts gradés, voire même au plus haut niveau de l’Etat français.
Dans le livre La Guadeloupe dans la première guerre mondiale que j’ai publié en 2008, j’ai tenu en effet à porter les précisions suivantes (pages 248-251) : « Le 27 janvier 1921, le célèbre « soldat inconnu » est enterré sous l’Arc de Triomphe. La « France reconnaissante » veut aussi honorer l’ensemble des soldats de l’armée française de toutes origines, morts pour la France durant la guerre 1914-1918. »
Soldat « inconnu », peut-être ! Mais ce dont on est à peu près sûr, c’est qu’il ne s’agit pas d’un nègre, ni d’Afrique ni des vieilles colonies.
Rappelons que c’est le 12 juillet 1918 que le député Maurice Mounoury propose que l’on érige un tombeau à un soldat anonyme. Il est question aussi en cette année 1918 de l’éventuel transfert au Panthéon du corps d’un combattant de la Grande Guerre ; idée qui est alors adoptée le 12 novembre 1919, majoritairement à l’Assemblée Nationale. Par la suite, la presse notamment insiste pour que l’inhumation de ce soldat inconnu soit faite sous l’Arc de Triomphe. Le projet de loi allant dans ce sens est alors déposé le 2 novembre 1920 par le Gouvernement et le 8 novembre suivant les députés votent la loi décidant « la translation et l’inhumation des restes d’un soldat français non identifié ».
Alors pour choisir la dépouille, il est demandé à chaque commandant des secteurs tenus durant le conflit (Artois, Somme, Ile-de-France, Chemin des Dames, Champagne, Lorraine, Verdun et les Flandres) de « faire exhumer dans un endroit qui restera secret le corps d’un militaire dont l’identité comme Français est certaine mais dont l’identité personnelle n’a pu être établie ».
Le 10 novembre 1920 désigné pour choisir parmi les huit cercueils de chêne alignés en deux rangées de quatre dans la galerie souterraine de Verdun, le soldat Auguste Thin porte son choix sur le sixième cercueil en y déposant un bouquet d’œillets rouges et blancs cueillis sur le champ de bataille de Verdun.
Mais, il semble bien qu’il y ait eu discrimination lors du choix de ces huit cercueils. C’est en tout cas ce que révèle dès le 12 novembre le journal L’Œuvre selon lequel, les dépouilles de trois tirailleurs noirs auraient été écartées lors de l’exhumation faite à Douamont. Le député sénégalais Blaise Diagne, outré, exige même quelques jours plus tard dans ce même journal un démenti du gouvernement voire une condamnation ferme au cas où cette discrimination serait avérée.
Cette polémique gène énormément et conduit le ministre de la Guerre, André Maginot ancien sergent du 44e RIT, blessé au combat à dénoncer ce « bruit qui court » et à affirmer avec force que « Les Français de la métropole et ceux des colonies (qui) morts pour la Patrie, sont égaux devant la reconnaissance nationale ».
Démenti certes ! Mais, il semble bien que le fait soit avéré. Le journal L’Œuvre, prenant note de la protestation du ministre de la Guerre, ne manque pas toutefois de confirmer que ces informations avaient été fournies par un responsable des exhumations de Douamont.
Cette vérité est par ailleurs confortée par l’écrivain guyanais René Maran, le premier Goncourt noir qui rapporte quelques années plus tard un entretien qu’il eut en 1923 avec Georges Mandel, ancien ministre des colonies en ces termes :
« Comment fûmes-nous amenés à parler du soldat inconnu ? je n’en sais rien. En revanche, ce que je me rappelle fort bien, c’est qu’il me posa, à mon grand étonnement, la question suivante : « Savez-vous comment on a choisi ce soldat inconnu ?
Non, répondis-je avec autant de vraie candeur que de franchise.
Ah ! on ne vous a pas mis dans la confidence. Parfait. J’aurais donc plaisir de vous apprendre ce qui s’est passé. Et vous ferez de ma révélation ce qu’il vous plaira. »
Il me conta aussitôt par le menu le mélodrame macabre qui avait réellement eu lieu. Je le rapporte aujourd’hui à mon tour, on se doute pour quelles raisons. Ainsi se rendra-t-on compte à quel point on bourre le crâne des pauvres gens que nous sommes tous plus ou moins
On avait choisi un de ces vastes charniers comme il y en eu tant entre 1914 et 1918, et, là, exhumé une dizaine de cadavres, dont le premier fut celui d’un tirailleur sénégalais. Comment s’appelait-il ? On ne l’a jamais su. On ne le saura jamais. Parfaitement inconnu, il répondait par conséquent à ce qu’on attendait de lui. Un tirailleur sénégalais — inconnu — fi donc ! On n’en voulut pas. Il en fût de même des trois ou quatre cadavres suivants. Des « Nègres inconnus » étaient indésirables. Le cinquième cadavre fut désigné en définitive parce que c’était un Blanc « inconnu », et que pour lui, il n’y avait pas d’inégalité raciale dans la mort ». (Cité par Onarra Charles, « René Maran le premier Goncourt noir », Editions Duboisris 2007)
Oui le fait est avéré ; en tout cas il ne saurait surprendre quand on sait que déjà avant la guerre, les réticences à la présence de soldats de la « force noire » sur le sol français étaient vives. Même les socialistes, dans leur journal l’Humanité se laissèrent aller à ces remarques empreintes d’un racisme non dissimulé, déclarant après la première participation des tirailleurs sénégalais au défilé du 14 Juillet 1913 : « Quand on pense que les troupes noires deviennent l’espoir de nos compatriotes, on peut se demander aussi comment, en temps de guerre, ces sénégalais porteraient au dehors la civilisation française…. C’est à rougir de honte de voir exhiber ces « défenseurs de la patrie » ». (L’Humanité, 15 Juillet 1913)
Oui, rien de surprenant quand on se rappelle que le pape Benoit XV lui-même n’avait pas hésité à demander le retrait des troupes noires d’Europe ; quand on se rappelle aussi que cette demande du pape avait été appuyé, au nom d’une prétendue sauvegarde de la culture et de l’ordre social européen, par des intellectuels français, journalistes et écrivains, comme Henri Barbusse, Romain Rolland et même Jean Longuet, le gendre de Karl Marx.
Le 27 janvier 1921, c’est donc bien un soldat blanc inconnu qui est enterré sous l’Arc de Triomphe… et Blaise Diagne le sait ! Sinon comment expliquer que quelques mois plus tard il émette l’idée de l’érection en terre d’Afrique d’un monument dédié au soldat inconnu africain, suscitant le courroux du député guadeloupéen Gratien Candace affirmant qu’il ne saurait y avoir qu’un seul et unique soldat inconnu :
« Il n’en faut pas deux, écrit-il, car il n’y a qu’une seule France… Est-ce que pendant la guerre il y eut deux armées pour défendre la France, ou bien une seule armée française ? ».( Frémeaux Jacques : « Les Colonies dans la Grande Guerre » – Editions 14-18 )
Ainsi donc se consolent les assimilationnistes impénitents qui « rêvent » que « la dépouille qui repose sous l’Arc de Triomphe pourrait être celle d’un Antillais, d’un Algérien ou d’un Sénégalais aussi bien que celle d’un Parisien, d’un Breton ou d’un Savoyard ». (Frémeaux Jacques, op. cit.) »
Alors … pas de faux espoirs ! Et puis : faut-il en pleurer ? Awa !
*Sociologue, écrivain.