Mémoire de l’esclavage. Exposition « Oser la liberté ». Le Panthéon ouvre ses portes à de nouveaux héros

Le discours prononcé par l’ancien premier ministre français et président de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage (FME) Jean-Marc Ayrault, le 8 novembre 2023 à l’occasion de l’inauguration de l’exposition « Oser la liberté – Figures des combats contre l’esclavage » au Panthéon, à Paris.

L’exposition présente, dans une scénographie qui les met en valeur, des pièces uniques et importantes de l’histoire d’Haïti et de celle de la France dans un compagnonnage particulier sous fond d’exploitation, de deshumanisation et d’extorsion.

Belle dans la nef du Panthéon, l’exposition est poignante dans la crypte quand on découvre par exemple « le manuscrit du Code Noir de Louis XIV ou le texte par lequel en 1825 Charles X a imposé à Haïti la rançon de sa liberté », pour citer Jean-Marc Ayrault. 

Mesdames et messieurs,

C’est pour moi une très grande joie d’être avec vous ce soir au Panthéon pour l’inauguration de « Oser la liberté – Figures des combats contre l’esclavage », la première exposition co-produite par la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, avec le Centre des monuments nationaux. 

Depuis quatre ans qu’elle existe, la Fondation a déjà créé de nombreuses ressources destinées au grand public : son site internet propose 112 biographies, des dossiers pédagogiques, des notes scientifiques. Sur nos réseaux sociaux, nous proposons des vidéos, des décryptages, des hommages. La Fondation a aussi conçu une exposition itinérante qui a déjà circulé dans des centaines de villes de l’hexagone et des outre-mer.

En 2021, nous avons conçu l’espace dédié au rétablissement de l’esclavage de la grande exposition « Napoléon » de la Villette. Ce travail a été salué pour sa rigueur. Il a éclairé le grand public avec pédagogie sur cette page sombre et méconnue de notre histoire.

Mais jamais la Fondation n’avait été sollicitée pour concevoir entièrement une exposition. Je remercie Philippe BELAVAL, alors président du CMN, de nous avoir permis de le faire : c’est en effet lui qui a lancé l’idée de cette exposition, quand nous avons signé la convention qui permet à la Fondation d’être hébergée à l’Hôtel de la Marine, là où l’administration centrale des colonies françaises était installée entre 1789 et 1894.

De cette idée est née l’exposition qui nous réunit ce soir. Je veux en remercier tous les protagonistes : je pense aux équipes du CMN, chère Marie Lavandier, dont je salue le professionnalisme, la patience, l’efficacité ; je pense à vous, chère Florence ALEXIS, pour l’engagement que vous avez mis dans votre commissariat, avec l’appui du professeur Jean-Marie Théodat et de l’équipe de la Fondation. 

Je remercie les prêteurs qui ont accepté de mettre à disposition des pièces de grande valeur. Je ne saurais les citer tous, mais je tiens à saluer le collectionneur Walter Evans et sa femme Linda, qui sont venus spécialement des Etats-Unis ce soir avec un manuscrit exceptionnel : le texte de la première proclamation de Toussaint Louverture, celle par laquelle il est entré dans l’histoire, qui est présentée ici pour la première fois en France.

Je remercie enfin les mécènes de la Fondation, le ministère des Outre-mer, l’Agence nationale de cohésion des territoires, la Fondation TotalEnergies, le CIC, la Caisse des dépôts et consignations. Toutes ces institutions nous ont fait confiance, sur la base de cette simple idée : celle d’une exposition originale et inspirante, qui présenterait au Panthéon les héroïnes et les héros des combats contre l’esclavage.

Et grâce à eux, c’est bien ce que propose « Oser la Liberté » : on y découvre comment, face au système inhumain de l’esclavage, des femmes et des hommes se sont dressés ; comment ces figures ont résisté, dans les colonies et en métropole ; comment par leurs combats elles ont fini par abattre l’esclavage ; et comment leur exemple continue d’inspirer les combats d’aujourd’hui pour la liberté et l’égalité.

Cette histoire, c’est celle du marronnage et des critiques de la colonisation à la Renaissance et aux Temps Modernes. C’est l’histoire des Droits de l’Homme et de la révolution haïtienne. C’est l’histoire de la résistance de Delgrès et de Sanite Bélair, de l’Abbé Grégoire et de Julien Raimond C’est l’histoire des grandes voix de la mémoire de l’esclavage et de l’égalité en France, Paulette Nardal, Aimé Césaire, Joséphine Baker, Edouard Glissant.

Ensemble, elles nous racontent une France mondialisée depuis le 16e siècle. Elles nous racontent la confrontation des Lumières aux réalités coloniales. Elles nous racontent les exigences d’un universalisme conséquent, d’une République qui serait réellement fidèle à ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité, pour tous ses enfants, quelle que soit leur origine. On mesure l’actualité de ces messages aujourd’hui.

Longtemps, elles ont été reléguées dans les marges d’un récit national qui ne connaissait qu’un seul point de vue : celui de l’Hexagone. Bien sûr, ce n’était pas un point de vue univoque, puisqu’il opposait le parti des colons et celui de l’abolition. Mais on n’y entendait pas la voix des peuples premiers, ni celle des populations en esclavage, et encore moins celle des femmes. Pour les retrouver, il fallait d’autres façons de faire parler le passé, et c’est ce que fait aussi cette exposition.

C’est la raison pour laquelle, à côté de sources officielles rarement montrées, comme le manuscrit du Code Noir de Louis XIV ou le texte par lequel en 1825 Charles X a imposé à Haïti la rançon de sa liberté, Florence ALEXIS est allée chercher de précieuses archives qui conservent les propres mots des révoltés.  Et lorsque les archives sont absentes, c’est avec des œuvres d’art qu’elle fait entendre leurs voix.

Les artistes d’hier, qui dénonçaient les injustices du monde colonial, comme Olympe de Gouges à laquelle l’exposition rend hommage ; et les artistes actuels, qui donnent un visage à ces figures longtemps invisibles, comme Solitude la martyre de Guadeloupe ou Flore Gaillard, la rebelle de Sainte-Lucie.

Ces visages, ils sont ici, dans cette nef, tels que Raphaël Barontini les a imaginés. Ses créations dialoguent avec les pièces présentées dans la crypte, dans une harmonie entre les deux expositions qui forment une même proposition au service d’une mémoire vivante et vibrante, celle des combattantes et des combattants de la liberté.

Certains diront que, ce faisant, le Panthéon ouvre ses portes à de nouveaux héros. Ce n’est pas tout à fait faux, mais ce serait oublier que certains d’entre eux étaient déjà honorés entre ces murs, parfois depuis longtemps. Plus que les portes du Panthéon, ce que ces expositions ouvrent vraiment, ce sont nos yeux, pour nous révéler une histoire de France plus large, plus universelle, en un mot : plus juste.

Cette histoire, beaucoup la découvriront à cette occasion. Et ce n’est pas étonnant : je rappelle que, aujourd’hui, la première abolition, la révolution haïtienne, le rétablissement de l’esclavage, tous ces événements ne sont pas dans les programmes scolaires d’histoire de l’enseignement général dans l’Hexagone – ils ne sont abordés que dans les programmes adaptés des outre-mer, et dans les lycées professionnels. Enseigner cette histoire à tous serait une réparation.

C’est la raison pour laquelle il est important que cette exposition puisse accueillir un maximum de classes. La Fondation et le Centre des monuments nationaux y travailleront de concert tout le temps de l’exposition.

Mais le message d’« Oser la liberté » nous concerne tous. Parce qu’il nous rappelle que, sous la Révolution, c’est outre-mer que les principes de liberté, d’égalité et de fraternité ont été portés au plus haut, dans cette « Liberté Générale » qui a réalisé l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme là où il était le plus vital de le faire : sur une terre de servitude. 

C’est dans ces combats que notre universalisme a été trempé, et nous avons plus que jamais besoin de l’exemple des femmes et des hommes qui les ont menés pour incarner cet idéal.

Voilà pourquoi il faudra continuer à raconter cette histoire après cette exposition. D’abord ici au Panthéon. Je suis heureux que, à partir de l’année prochaine, une visite thématique et des ressources numériques conçues par le CMN et la FME seront proposées de façon permanente, pour découvrir la place que tiennent les combats contre l’esclavage dans ce monument.

Cet investissement, nous le faisons aussi à l’Hôtel de la Marine dont l’histoire est étroitement liée à tous cette histoire, et je forme le vœu que cette collaboration entre la FME et le CMN, chère Marie Lavandier, puisse donner lieu bientôt à une convention-cadre de partenariat entre nos deux institutions.

Mais nous ne devons pas nous arrêter là. Car, une fois que nos yeux se sont ouverts sur la façon dont cette histoire a changé la France, alors nous retrouvons son empreinte partout, de Rochefort au Château de Versailles, de Fessenheim à Villers-Cotterêts.

Tous ces lieux portent un peu de l’histoire de la colonisation, de l’esclavage, des résistances et des abolitions. Ils conservent aussi les traces des premières personnes noires ayant vécu en France. C’est pourquoi j’appelle toutes les grandes institutions culturelles françaises à prolonger l’effort que nous faisons ici. 

Cette exposition ne doit pas être une initiative isolée, un geste de trois mois, et ensuite on oublie. Nous avons besoin d’autres expositions sur l’esclavage, plus grandes encore, plus riches encore en œuvres, dans les lieux les plus prestigieux. Nos voisins le font. Nos régions le font, en Guadeloupe, en Normandie, à La Réunion, sur la côte Atlantique… Les grandes institutions culturelles françaises ne peuvent rester en retrait de ce mouvement. J’espère donc que, en ouvrant aujourd’hui cet événement, j’ouvre aussi les portes à une nouvelle vague d’initiatives à venir. La Fondation ne manque pas d’idées en ce sens.

Et peut-être que, un jour, à force d’expositions temporaires, quelque chose de définitif finira par exister, ici à Paris. Un musée qui racontera l’histoire de la colonisation, de l’esclavage et de leurs héritages du 16e au 21e siècle dans la France entière, comme le font aujourd’hui, sur des territoires plus petits, le Mémorial ACTe de Guadeloupe, le Musée Villèle de La Réunion, le musée de Nantes, le musée d’Aquitaine à Bordeaux ou le le musée du Nouveau Monde à La Rochelle.

C’est le vœu que je forme. Je sais que, pour qu’une telle institution puisse exister un jour avec l’ampleur qu’on doit lui souhaiter, il faudra du temps et de l’énergie. Mais c’est aussi le message que je retiens de cette exposition : pour arracher les progrès nécessaires, la première chose est d’oser. C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Continuons à le faire demain.

Je vous remercie.

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