Les gangs armés qui terrorisent la population et paralysent les activités dans le pays, notamment à Port-au-Prince, ont le soutien « des pouvoirs publics et d’autres secteurs de la nation », a accusé la Conférence épiscopale d’Haïti (CEH) dans une prise de position. L’Église catholique dénonce « l’inaction et le silence complice du gouvernement » face à la terreur des gangs armés.
L’Église catholique sort de son silence et pointe du doigt le gouvernement qui ne fait pratiquement rien pour protéger la population contre la fureur des gangs armés. « Nous exigeons que les pouvoirs publics et d’autres secteurs de la nation arrêtent en même temps leur complicité et leur soutien aux gangs armés, que la police devienne l’alliée de la population, que le dialogue politico-social se construise sur la base des vrais besoins du peuple. Que les formules de solution trop longtemps utilisées et qui n’aboutissent à rien cèdent de manière urgente la place à d’autres pour mettre fin à cette situation inhumaine à laquelle nous essayons de survivre et qui fait la honte d’une si grande nation », écrivent les évêques d’Haïti dans cette prise de position publiée le jeudi 14 septembre 2023.
Les leaders de l’Église catholique, qui sont en contact direct avec la population à travers tout le pays, décrivent la situation inhumaine et inacceptable dans laquelle vit la population. « Nous, Évêques de l’Église catholique en Haïti, faisons retentir ‘’ le cri de tout un peuple face à l’abandon’’, et vivons avec amertume et douleur les souffrances de notre peuple causées par la violence aveugle des bandits lourdement armés, le cynisme et l’indifférence des dirigeants politiques, et les hésitations de la communauté internationale », ont-ils dénoncé.
La CEH rappelle que depuis environ quatre ans, le pays vit l’une des crises sociopolitiques et sécuritaires les plus longues et les plus meurtrières de toute son histoire. « L’État a perdu le contrôle du territoire national. Le crime organisé a gagné tous nos départements, tous nos diocèses et presque toutes les grandes villes du pays. La région métropolitaine de Port-au-Prince est presque entièrement contrôlée par des bandits armés, organisés en gangs. Dans le département de l’Artibonite, des points stratégiques sont abandonnés à leurs actions terroristes », lit-on dans la prise de position de la CEH.
Les évêques disent constater que « la population est prise en otage par la violence impitoyable des gangs et leurs alliés ; elle est vissée dans l’inaction et le silence complice du gouvernement. Une guerre de basse intensité contre la population paisible et désarmée sévit çà et là dans le pays. Nous voyons avancer en Haïti les ombres épaisses « de la violence au service d’intérêts mesquins de pouvoir, de cupidité et de clivage. »
À titre d’exemple, les évêques ont cité les terreurs quotidiennes des gangs armés à Carrefour-Feuilles, à Lilavois, « … Le massacre dans la zone de Canaan, semblent confirmer qu’il est donné carte blanche aux gangs pour agir contre la population. »
Que devons-nous faire ? se questionne la CEH
« Il semble que nous ayons déjà épuisé toutes les voies ordinaires et normales. Que devons-nous faire comme Églises et peuple aux abois pour changer les données et empêcher les gangs armés de nous tuer, de nous massacrer tous ? Depuis plus de trois ans, aucun cri, aucune force morale n’a pu les arrêter. Et pourtant il nous faut briser cette chaîne et empêcher qu’on enfonce encore plus « le peuple dans le découragement ». Que devons-nous faire pour que notre pays retrouve la paix et le peuple, la sérénité ? », se demandent les évêques.
Selon la CEH, face à la barbarie qui s’installe dans le pays, la solution n’est pas dans la passivité. « Nous pensons qu’il est possible de transformer ces conflits déshumanisants en ‘’ maillon d’un nouveau processus’’. Certes, cela nous demande du courage. Et nous en avons déjà fait preuve quand il fallut réaliser l’indépendance. »
La CEH a appelé tous ses fidèles catholiques vivant en Haïti et ailleurs et ses institutions ecclésiales à demeurer « activement, en ces heures sombres de notre histoire de peuple, une Église qui sert, qui sort de chez elle, qui sort de ses temples, qui sort de ses sacristies, pour accompagner la vie, soutenir l’espérance, être signe d’unité […] pour établir des ponts, abattre les murs, semer la réconciliation ».
« Partout où nous sommes, même dans les coins les plus reculés, notre solidarité, notre proximité, notre prière, nos exhortations comme citoyens et comme peuple peuvent y contribuer. Nous invitons les prêtres dans toutes les paroisses des dix diocèses du pays, les religieux (ses) et les fidèles laïcs à organiser une véritable chaîne de prières, spécialement une neuvaine de prière à l’occasion de la fête de Saint-Michel Archange, pour la délivrance, la libération de notre cher pays de l’emprise et de la violence des gangs », ont demandé les évêques.
Les leaders de l’Église catholique en Haïti affirment qu’ils continuent à soutenir avec espérance les efforts vers la résolution pacifique de cette crise multidimensionnelle. « Nous encourageons toutes initiatives prises pour arrêter les robinets de sang qui coulent à flots et pour protéger la population vulnérable livrée à elle-même. Nous réaffirmons haut et fort à la face du monde qu’il faut arrêter ce génocide. Nous demandons aux actuels tenants du pouvoir de poser des gestes concrets et forts pour une vraie réconciliation historique ici et aujourd’hui en Haïti. »
Source : Le Nouvelliste