La campagne cannière sur l’archipel Guadeloupe touche à sa fin. Campagne en demi-teinte. Pourtant, l’usinier, Nicolas Philippot, directeur général de Gardel, est volontaire, avec des ambitions pour la filière.
Cette année, l’usine de Gardel, sur le continent*, va à l’issue de la campagne — prévue entre le 14 et le 24 août — produire environ 36 000 tonnes de sucre, dont 24 000 tonnes de sucre de consommation et 12 000 tonnes de sucre à raffiner.
A rapprocher de la moyenne sur les dix dernières années, qui est de 45 000 tonnes de sucre, dont 30 000 tonnes de sucre à raffiner.
Un décalage dans le temps fatal pour la production
Que s’est-il passé ? La campagne a démarré tardivement, en avril (au lieu de mi-février comme il se devrait), rencontrant depuis peu une période pluvieuse (dans la moyenne de la période saisonnière), ce qui fait que la canne est repartie en végétation, puisant dans ses réserves entraînant de ce fait un taux de sucre plus faible.
C’est classique : la période durant laquelle on peut couper une canne riche en sucre est limitée dans le temps, de mi-février à fin juin, tout décalage entraînant des conséquences. Or, il a fallu couper et broyer en juillet et août qui sont hors période traditionnelle.
La richesse saccharimétrique, à laquelle l’usinier paie la canne au planteur a été en moyenne de 7,78% (au lieu de 9% habituellement), avec une richesse de 6,50% sur les dernières livraisons.
La canne coupée hors période, qui est fortement dégradée, transforme la saccharose en d’autres sucres qui ne sont pas utilisables pour la cristallisation. Quand les autres sucres sont nombreux, ils empiètent sur la pureté du produit. « La pureté est très basse en ce moment », explique Nicolas Philippot.
Que faire ? « En dessous de 80%, il n’est pas possible de faire du sucre, sauf à multiplier les cuites. Nous sommes obligés d’employer d’autres techniques pour faire grossir le sucre. »
Technique. Oui, à 82%, l’usine fabrique du sucre spécial, de 82 à 80, c’est du sucre en vrac. « En-dessous de 80%, on n’a rien. Ou alors, on y arrive mais c’est nécessairement plus long », commente M. Philippot.
La campagne démarre plus tard, rencontrant une période pluvieuse, une canne qui repart en végétation, moins riche en sucre utile… La faute à qui ?
Quand on pose la question à Nicolas Philippot, il répond que ce serait bien si la filière était moins divisée. Il se dit attristé de voir cela. « Ce n’est pas au dernier moment qu’on doit s’accorder sur un discours commun. »
En fait, pour les observateurs, il n’est pas compliqué de constater que les syndicats parfois antagonistes qui sont à la manœuvre pour discuter le prix de la tonne de canne ont une base active peu importante mais active quand il faut faire pression, alors que la plupart des planteurs n’ont qu’une volonté, qui est aussi un besoin : que la campagne commence à l’heure avec un prix de la tonne de canne qui soit décent !
« Il y a eu un plan de relance, il y a 5-6 ans, qui n’a jamais été appliqué », regrette Nicolas Philippot qui espère que ce plan sera repris et mis en œuvre, ce qui permettra de pallier les difficultés de la filière, qui est fragile, avec des planteurs qui gagnent de l’argent, d’autres non…
De plus en plus de sucres spéciaux
A ce propos, si on demande à Nicolas Philippot pourquoi l’usine ne produit pas plus de sucres spéciaux, qui sont mieux rémunérés que le sucre en vrac (quasiment le double sur le marché international), il répond : « Le site de Gardel n’a pas été construit pour cela. Il faut des installations tout en inox et pas en fonte. De plus, il faut un stockage spécial, qui limite l’humidité. Il y a des exigences qui nécessitent des investissements. »
Ces investissements sont faits au fil des saisons.
Pourquoi ne produit-on pas de sucre bio, qui se vend bien sur le marché ? Nicolas Philippot explique : « Pour cela, il faut des parcelles en cannes bio. Il y a deux types de plantations, celles sans herbicides, qui vont produire de la canne bio, l’herbe étant arrachée à la main ou avec des herses, de l’engrais bio étant apporté, et celles où on épand des herbicides, qui vont produire de la canne traditionnelle. »
Ensuite, une fois cette canne bio apportée à l’usine, il faut utiliser un agent de floculation bio pour clarifier le jus avant la cristallisation.
« Quelques planteurs se sont engagés dans un programme bio. Cette année, nous avons 80 à 100 hectares en bio et 220 en conversion. Ce qui devrait donner, l’an prochain, 5 000 tonnes de cannes bio, soit 400 tonnes de sucre bio, si tout se passe bien. »
Pourquoi pas plus ? « Parce que certains agriculteurs ont renoncé : en attendant que les parcelles soient conditionnées pour faire du bio, donc avec un désherbage mécanique, l’apport d’engrais bio, le rendement a été moindre… En fait, il faut savoir attendre que le conditionnement de la plantation soit fait pour en tirer des rendements intéressants. Il faut être patient. »
La première sucrerie de canne française à produire du sucre bio
« Nous serons, à Gardel, la première sucrerie de canne française à sortir du sucre bio ! » Gardel sera devant la Réunion qui a abandonné toute expansion sur ce marché. Pour deux raisons : la Réunion ne croit pas au marché du sucre bio et il faut investir.
Ainsi, Gardel a créé des postes, modifié les équipes, acheté de la canne bio sans encore un réel rendement. « Il faut être convaincu ! »
Si la Guadeloupe produit 1 500 tonnes de sucre bio le gain financier sera à peine un retour sur investissement.
« Avec la canne bio, nous allons cependant pouvoir mieux payer le planteur ! »
Que devient le sucre produit par Gardel qui n’est pas vendu à l’export ? Il est ensaché pour la consommation locale (environ 7 000 tonnes) ou vendu pour les industries agroalimentaires.
Le marché local de la consommation est couvert à 50% par Gardel, 25% par la SRMG, les 25% restant étant de l’importation de sucre blanc ou d’autres sucres (y compris de la Réunion).
L’industrie sucrière ne pourrait subsister s’il n’y avait pas des aides financières. Celles-ci représentent 25 millions chaque année, pour un chiffre d’affaires de 25 millions et 50 millions de charges réparties en trois tiers : un tiers pour le site, un tiers pour la main d’œuvre, un tiers pour l’achat de cannes.
L’usine produit aussi du rhum !
« Il n’y a pas de dividendes versés aux actionnaires. 100% du résultat est injecté dans l’usine, 4,5 millions pour optimiser l’outil de production. C’est une marche en avant permanente, pour valoriser la canne, valoriser le travail de l’usine… »
Le sucre est un produit sorti de Gardel. Qui produit aussi de la mélasse et par le broyage de la canne, de la bagasse, mais aussi des écumes, du rhum. Comment sont valorisés ces produits dont les planteurs, on l’a vu lors de récentes négociations, voudraient avoir leur part ?
« Le prix d’achat de la tonne de canne aux planteurs est calculé en prenant aussi en compte ceci », tranche Nicolas Philippot.
Que devient la mélasse ? Elle est vendue à l’usine SIS Bonne Mère, qui en fait du rhum. La bagasse est vendue à ALBIOMA qui en fait de l’énergie électrique vendue à Gardel pour faire tourner l’usine. « C’est une opération financière neutre, équilibrée », commente Nicolas Philippot. L’écume est répandue sur les champs pour les amender.
L’usine de Gardel produit aussi du rhum : 7 770 hectolitres chaque année, qui rapportent environ 2,5 millions d’euros. « Gardel est le deuxième producteur de rhum de l’archipel ! »
« Tout ceci fait partie de l’équation économique. C’est pris en compte dans le prix de la canne achetée au planteur. »
André-Jean VIDAL
aj.vidal@karibinfo.com
*Il y a une deuxième usine, à Marie-Galante, qui appartient à la SA Sucreries et Rhumeries de Marie-Galante (SRMG) et produit environ 4 000 tonnes de sucre.