Série. Espaces Limbo, Identités rhizomiques par Myriam Moïse

L’espace caribéen est riche de son histoire, de sa culture et de ses populations qui embrassent la diversité de la région. C’est un espace fait à la fois de fragments et de reliures, de diversité et de similarités.

C’est un espace limbo où les identités culturelles et les langues évoluent constamment au-delà des frontières géographiques et nationales. Le mot limbo vient du latin « limbus » (limbe, frange) et désigne un lieu de l’au-delà situé aux marges de l’enfer, un espace intermédiaire, un entre-deux.

Dans la Caraïbe anglophone particulièrement, le limbo est une danse pratiquée à l’occasion d’événements touristiques et pendant la période du carnaval, et consiste à passer et repasser sous un bâton horizontal sans le toucher.

L’écrivain et théoricien guyanien Wilson Harris rappelle que le limbo est né sur les bateaux négriers pendant la traversée transatlantique et le célèbre poème du Barbadien Kamau Brathwaite « Limbo » exploite la métaphore du mouvement chancelant du bateau et du danseur et imprime sur la page les rythmes et les sons liés à l’expérience du passage du milieu.

Ce chancellement est le propre du sujet caribéen contemporain qui oscille entre plusieurs espaces et identités culturelles, entre l’Afrique et l’Europe, entre l’ici et l’ailleurs, entre le passé et le présent. Avec ses multiples héritages — amérindien, africain, indien, syrien, chinois, européen — le concept d’identité caribéenne ne peut pas être associé à une terminologie aussi statique que celle de la pureté et de l’identité-racine.

Dans Mille plateaux, Deleuze et Guattari décrivent le rhizome comme un moyen de propagation qui opère sous terre, un principe de connexion, d’hétérogénéité, et de multiplicité, sans hiérarchies, reliant plusieurs points, lieux et identités. Le théoricien martiniquais Édouard Glissant applique ce concept de rhizome aux identités caribéennes en prônant l’identité-relation et la « créolisation » comme processus identitaire emblématique de la Caraïbe et de ses subjectivités fluides et plurielles. Dans la théorie du « rhizome » de Deleuze et Guattari et la « créolisation » de Glissant, la racine n’est plus conçue en termes d’unicité et de pureté mais plutôt en termes de multiplicité et de multi-racine. En contexte caribéen, la notion de racine perd donc tout son sens.

La Caraïbe est certainement l’une des premières régions du monde à avoir mis en œuvre le processus de créolisation et sans doute l’une des zones les plus riches en termes d’hybridation culturelle. Résultant de l’esclavage et de la colonisation, l’hybridité marque également la culture politique de la région.

Qu’il s’agisse de nations souveraines ou de territoires européens non-souverains, les communautés caribéennes tendent à dépasser les limites des frontières nationales pour mettre en exergue la «poétique de la relation» que définit Glissant, celle qui défie les identités normées et privilégie une vision transnationale, transculturelle et transpatiale.

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