Tribune. Pourquoi derrière le succès  de la ZI de Jarry, la ville de Pointe-à-Pitre est-elle en échec économique et sécuritaire ?

PAR JEAN-MARIE NOL

Le cœur de Pointe-à-Pitre se désagrège depuis le départ des entreprises et commerces vers la zone industrielle et commerciale de Jarry, de Dothémare et également vers les centres commerciaux, et par voie de conséquence une frange de la jeunesse de la Guadeloupe est désormais prise au piège de la pauvreté et de la violence.

C’est là un effet dû au temps long. Je veux dire par là que cela relève de la responsabilité de la rénovation urbaine ratée pour partie avec une erreur de jugement des municipalités successives qui a contribué à un urbanisme par trop social.

La récente escalade de violence entre adolescents dans le département a une fois de plus mis en lumière une réalité préoccupante : la jeunesse de Pointe-à-Pitre et des environs est confrontée à une violence endémique et à des défis d’ordre économiques majeurs, accentués par la pauvreté croissante et le manque de perspectives d’avenir.

Les difficultés budgétaires de la ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe ont pu contribuer à l’absence d’investissement dans des programmes sociaux et des infrastructures qui auraient pu contribuer à la prévention de la délinquance des mineurs. Les quartiers de Pointe à Pitre ont été depuis quelques années livrés à l’immigration caribéenne et se sont littéralement métamorphosés très récemment en théâtre de violences armées impliquant des mineurs.

Malheureusement, de tels incidents sont devenus monnaie courante dans le département, qui est particulièrement touché par la délinquance des mineurs et un couvre-feu n’arrangera rien à l’affaire.

Face à cette situation, le maire de Pointe-à-Pitre, Harry Durimel, a réagi en appelant à des solutions concrètes pour endiguer la violence croissante parmi la jeunesse et son coup de gueule a eu un écho jusqu’à la presse nationale.Alors il y a deux semaines, au lendemain d’une énième nuit d’émeutes urbaines, le maire écologiste a tapé du poing sur la table.

« Pointe-à-Pitre en l’état est un coupe-gorge. Sans forces de l’ordre à la hauteur des défis », a lancé Harry Durimel à la presse. « Si j’ai les moyens, je continue, si je n’ai pas les moyens, j’arrête ! »

L’élu exige que le gouvernement assume ses responsabilités dans tous les domaines. « On peut maquiller les vieux immeubles avec du street art, on a déjà commencé à le faire, mais on a surtout besoin de dispositifs qui nous permettent de passer au-dessus du caractère sacramentaire de la propriété pour détruire les habitations qui le nécessitent, explique-t-il à l’AFP. L’Etat doit nous aider là-dessus. J’ai aussi appelé, en août, à un plan Marshall sur la question de sécurité », rappelle le maire. Harry Durimel le reconnaît : la situation financière de la ville a commencé à se redresser grâce aux fonds de l’Etat. Son déficit a été ramené à six millions d’euros grâce à une subvention exceptionnelle, le contrat de redressement (Corom).

« Quand je suis arrivé à la mairie (en 2020), il avoisinait 80 millions: je passe mon mandat à redresser la barre. Le Corom a produit des effets très positifs sur les finances » de Pointe-à-Pitre, a déclaré à l’AFP le sous-préfet de Guadeloupe, Jean-François Moniotte. « C’est aussi pour cela, et du fait de l’engagement du maire, qu’il a été décidé de le prolonger jusqu’en 2026 ».

Les difficultés budgétaires peuvent entraîner des coupes dans les budgets alloués aux programmes sociaux destinés aux jeunes, tels que les activités parascolaires, les centres de loisirs, les programmes de mentorat et les services de soutien familial. En l’absence de ces ressources, les jeunes peuvent être laissés sans encadrement et sans alternatives constructives pour occuper leur temps libre, ce qui pourrait les pousser vers des comportements délinquants.

Dégradation des infrastructures urbaines : Le manque d’investissement dans les infrastructures urbaines peut contribuer à la détérioration des quartiers et à l’apparition de zones abandonnées ou mal entretenues. Ces environnements défavorisés peuvent favoriser le développement de la délinquance juvénile en offrant des espaces propices à la criminalité et à l’activité des gangs.

Que nenni tout cela , car c’est bien la dégradation de la situation économique de la ville de Pointe à Pitre qui s’avère être en partie responsable de la montée de la violence au sein d’une fraction de la jeunesse Guadeloupéenne désœuvrée et en pertes de repères . C’est aujourd’hui préoccupant car les auteurs sont de plus en plus jeunes, les actes de plus en plus graves.

Face à la rapidité d’une telle évolution, les réponses apportées dans le domaine de la prévention, comme dans celui du traitement de la répression, paraissent figées, et de plus en plus inadéquates. N’est-il pas aujourd’hui urgent d’innover, surtout lorsque l’on sait que ces actes de violence ne sont que la pointe émergée de l’iceberg. La crise inflationniste qui sévit en Guadeloupe menace de plonger de plus en plus de jeunes dans la pauvreté et l’incertitude de l’avenir. La déshérence économique de la ville de Pointe à Pitre peut certainement expliquer l’augmentation de la violence des jeunes dans les quartiers, mais elle n’est pas la seule cause.

La violence juvénile est souvent le résultat d’une combinaison complexe de facteurs socio-économiques, culturels, familiaux et individuels.

Dans les quartiers défavorisés de la ville où l’emploi est rare, les opportunités économiques limitées peuvent engendrer un sentiment de désespoir et de frustration parmi les jeunes. Le chômage, la pauvreté et les inégalités socio-économiques peuvent créer un environnement propice à l’adoption de comportements violents comme moyen de survie, de revendication sociale ou de recherche d’identité.

Cependant, il est important de noter que la violence juvénile ne peut pas être entièrement expliquée par des facteurs économiques. Des problèmes tels que l’exclusion sociale, le trop plein de HLM, les problèmes familiaux, le manque de perspectives d’avenir et l’influence des pairs jouent également un rôle significatif.

Alors que le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin affirme que tout est sous contrôle, la réalité de la ville de Pointe-à-Pitre sur le terrain est bien différente.

Les indicateurs économiques sont alarmants, avec un recul historique des investissements en dépit d’une hausse sensible des dotations et subventions gouvernementales et une hausse des impôts. Les jeunes, déjà confrontés à des perspectives d’emploi précaires, sont les premières victimes de cette crise économique.

L’accès à la propriété, jadis un rêve réalisable pour de nombreux jeunes, est devenu une mission presque impossible. Les prix immobiliers ont explosé en Guadeloupe ces dernières années, tandis que les salaires stagnent. Il faut désormais économiser pendant des années pour espérer acheter un logement, et seuls les plus aisés peuvent se le permettre.

Cette situation a des répercussions profondes sur la jeunesse antillaise. Alors que leurs parents ont connu une période d’essor économique, les jeunes se retrouvent confrontés à un marché du travail saturé et à des salaires peu attrayants. Le chômage des jeunes notamment dans la ville de Pointe-à-Pitre atteint des sommets alarmants, frôlant les 75 %, et la compétition pour les emplois disponibles est féroce. Dans ce contexte, l’éducation devient un enjeu crucial.

Les jeunes doivent être encouragés à poursuivre leurs études et à acquérir des compétences pertinentes pour le marché du travail. Les parents et les enseignants doivent jouer un rôle actif dans cette transition, en motivant les jeunes à exceller à l’école et en les guidant vers des carrières prometteuses.

Pourtant, malgré tous ces défis, la violence continue de proliférer. Les autorités semblent dépassées par l’ampleur du problème, et les solutions proposées jusqu’à présent semblent inefficaces. La mutation sociétale et le défi de l’éducation à la fraternité échappe complètement à la classe politique de la Guadeloupe.

Dans le monde en mutation actuel, marqué par la révolution numérique, les jeunes sont confrontés à des changements profonds. Cette évolution, non seulement technologique mais aussi culturelle, bouleverse les rapports à l’espace, au temps et aux autres. Le primat de l’affectif sur l’institutionnel, de la culture de l’entre-pairs sur l’intergénérationnel, et de l’instant sur la durée caractérisent la jeunesse d’aujourd’hui.

Face à ces défis, l’éducation à la fraternité émerge comme un impératif majeur. Dans un contexte où les réseaux sociaux amplifient la violence et l’intolérance, cette éducation vise à promouvoir la découverte de la richesse de la différence, l’attention aux plus vulnérables et la gestion constructive des conflits. Au cœur de cette approche, le respect est la ligne directrice.

Cela signifie que la principale stratégie ou approche pour contrer la violence des jeunes est de mettre l’accent sur l’éducation au respect. En d’autres termes, il faut souligner que le respect, envers soi-même et envers autrui, doit être  considéré comme étant au cœur de la prévention de la violence chez les jeunes. En promouvant le respect mutuel, on cherche à créer un environnement où les conflits sont résolus de manière pacifique et où les relations interpersonnelles sont empreintes de tolérance et d’acceptation.

Dans un monde où les frontières s’effacent, où l’instantanéité règne et où les relations se nouent à travers des écrans, l’éducation à la fraternité devient essentielle pour construire une société harmonieuse et inclusive. C’est en cultivant ces valeurs que nous pourrons façonner un avenir où la diversité est célébrée et où chacun trouve sa place dans le tissu social.

Cela étant dit, force pourtant est de constater que la société guadeloupéenne est en train de se désagréger sous nos yeux, et seule une action de développement économique concertée et déterminée pourra inverser cette tendance inquiétante.En fin de compte, il est temps que les citoyens de la Guadeloupe  se mobilisent pour offrir un avenir meilleur à leur jeunesse.

L’éducation à la mobilité géographique et l’expérimentation de la mixité sociale ( la classe moyenne a déserté la ville de Pointe à Pitre) me semblent devoir constituer aujourd’hui les axes prioritaires des réformes à entreprendre pour changer le visage de la ville de Pointe à Pitre.

En résumé, les difficultés budgétaires de la ville de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe ont pu créer un environnement défavorable à la prévention de la délinquance juvénile en limitant les ressources disponibles pour les programmes sociaux, en négligeant les infrastructures urbaines et en réduisant les effectifs de sécurité.

Le redressement nécessitera donc des efforts soutenus dans les domaines de l’équilibre des finances, de l’éducation, de l’emploi et de la lutte contre la pauvreté. Sinon, le cœur de Pointe-à-Pitre et plus largement le tissu sociétal continuera de se désagréger, emportant avec lui les espoirs et les rêves d’une génération entière.

La ligne-force, ce devrait être désormais l’éducation au respect et à la méditation de ce proverbe chinois : « Ce que les yeux ne voient pas, le coeur ne s’en soucie pas. »

Jean marie Nol est économiste

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